Histoire de son origine hawaïenne et de ses différentes formes, entre hiérarchisation de la société et mythologie, la planche de surf est un objet de pouvoir.

Aloha

Si cet été tu t’es essayé au surf avec la détermination d’une anorexique dont les parents seraient pâtissiers et l’élégance de Carlos en tutu, alors peut-être vaut-il mieux tout miser sur tes connaissances théoriques afin de sécher d’éventuels surfeurs moqueurs mais ignares qui auraient l’outrecuidance de juger tes médiocres prestations. Sinon tu peux essayer le paddle ou le yoga paddle ou encore le yummy paddle dont l’atout majeur est qu’il est aisément instagramable.

© SFO Museum

Tu n’ignores pas que pour surfer il faut des vagues, critère sine qua non éliminant d’emblée la Suisse comme pays berceau de la discipline. C’est donc en Polynésie que le surf naquit (note l’alexandrin). Hawaï en particulier est considérée comme l’île sur laquelle le surf prit racine pour devenir celui qu’on connaît aujourd’hui.

Alors pourquoi se déplacer sur une planche quand il y a de grosses vagues et risquer de se prendre une dérouillée dans les coraux quand on pourrait simplement utiliser un bateau et attendre gentiment que l’océan se calme ? D’autant que les surfeurs ne vont nulle part, ils partent en ramant au large pour finalement revenir très très vite grâce à une vague comme des personnes psychologiquement fragiles atteintes de TOC qui auraient besoin de constamment vérifier qu’ils ont bien emporté de la crème solaire indice 50.

Cette envie de surfer – qui se transforme vite en besoin d’après mes propres observations sur cobaye bio et consentant – découle probablement d’une pratique développée au fur et à mesure du peuplement de la Polynésie par vagues de migration successives il y a 50 à 70 000 ans.

Le terme « vague » est particulièrement bien adapté ici puisque les déplacements de population se firent essentiellement par voie maritime. Experts en navigation, les Polynésiens développèrent une culture où l’océan et notamment les vagues jouèrent un rôle mythologique et symbolique important. C’est à Hawaï que la houle prend toute son importance au sein de la société humaine.

S'envoyer en l'air

Les vagues étaient considérées par la population hawaïenne comme le fruit de l’interaction entre Lono, dieu de la fertilité résidant dans le ciel et Nu’akea déesse créatrice de la houle et résidant dans les eaux primordiales du dieu Kāne, eaux dont est issue toute vie, à savoir l’océan – comme quoi les mecs avaient de l’intuition. Chacune de ces deux divinités est incarnée dans des phénomènes naturels. Lono s’incarne dans les éclairs, les vents marins et tempétueux et tous les phénomènes violents qui agitent la surface de l’océan. Nu’akea s’incarne dans la houle. Lorsque Lono (considéré comme un principe mâle) éveille Nu’akea (principe femelle), en bousculant la surface de l’océan, la déesse exploite l’énergie cinétique du dieu (le vent) pour créer la houle et  les grandes vagues. La crête de ces vagues, parfois immenses, générées par le contact entre Lono et Nu’akea était considérée comme le point de création de la vie, celui qui concentrait toute l’énergie de la vie. Tenter de se placer au sommet de ces vagues c’était alors dominer la vie, absorber cette énergie électrique concentrée par les deux divinités sur un point instable, fugace revenant pourtant éternellement, comme la houle et le vent. Être au sommet de cette vague, c’est toucher à l’infini, à une sorte de perfection divine aussi éternelle pour les dieux qu’elle est brève pour les humains.

Le mot qui désigne l’action de surfer évoque d’ailleurs l’idée de vivre éternellement. En hawaïen, surfer se dit he’e nalu. He’e signifie fuir mais porte une forte connotation évoquant la capacité à se prévenir des maladies, à s’écarter d’elles tandis que nalu désigne à la fois les « vagues » (porteuses de vie) et le « liquide amniotique » (qui protège la vie du fœtus, de l’enfant à naître). He’e nalu signifie donc fuir / glisser sur les vagues mais également, dans un sens plus poétique, écarter les maladie de sa vie, vivre aussi longtemps qu’on est protégé des maladies. Et la planche de surf qui se désigne par papa he’e nalu, « quelque chose de plat pour glisser sur les vagues » est donc un moyen de parvenir à prolonger la vie. En revanche, c’est seulement réservé aux riches, au sang royal et pas aux prolos. Les prolos c’est nul et plus vite ça meurt mieux c’est.

La plus ancienne planche de surf (à gauche sur la photographie) retrouvée est celle d’une chef nommée Kaneamuna La planche fut découverte en 1905 dans un tombeau situé sur la plus grande île d’Haïwaii ©nupepa-hawaii.com
Estampe de Wallis McKay, circa 1874 © Surfresearch

S’est alors posée la question de différencier les gens biens des pécores. La plus ancienne planche de surf retrouvée à ce jour étant datée de la fin du XIVe siècle, tu peux considérer que pendant que tes aïeuls (pas les miens) pataugeaient dans leur maison en bouse séchée, il y avait déjà des clanpins bronzés qui avaient la vie de Pamela Anderson, le plastique en moins.

Car dans la société hawaïenne, tout le monde surfe et tout le monde surfe à poil. L’épineuse question de différenciation entre le royal et le tout venant fut bien évidemment soulevée par les classes dirigeantes qui rechignaient à patauger dans la même flotte que leurs larbins, même si ces derniers devaient moins puer que leurs homologues européens à la même époque qui, rappelons-le, avaient tellement peur que l’eau les ronge de l’intérieur qu’ils préféraient mourir de la peste.

Le système de kapu (ou tapu, qui donnera notre mot « tabou », si t’avais lu l’article sur l’histoire du paréo j’aurais pas besoin de me répéter) permit vraisemblablement de réserver des aires de surf aux membres de la royauté. Mais pour bien montrer qui est le patron, les Hawaïens ont imaginé deux planches de surf différentes : celles que personne ne pouvait s’offrir sans renoncer à se nourrir pendant plusieurs années, et les autres.

Les planches Olo

Ces planches sont celles des membres de la royauté hawaïenne. Particulièrement longues et étroites (coucou le symbole phallique), les olo pouvaient atteindre 5 mètres de long et peser parfois jusqu’à 70 kilos. En tenant compte du fait que les membres de la royauté se devaient d’avoir un physique flirtant avec l’obésité, l’ensemble surfeur + planche devait parfois avoisiner voire dépasser les 100 kilos. Autant dire que c’est pas sur ces surfeurs là qu’il fallait compter pour taper dans le spectaculaire. Ce n’était d’ailleurs pas le propos. Les planches olo étaient avant tout conçues pour glisser le plus longtemps possible sur de grosses vagues arrondies, comme celles de Waikiki, même lorsque la vague s’aplatissait à la fin de sa course. Le but était de demeurer au sommet de la vague, au point d’interaction entre les deux divinités Lono et Nu’akea, au sommet de la vie. Parce que les chefs avaient évidemment tout intérêt à pouvoir justifier d’un lien privilégié avec les dieux. Leur corpulence compromettant sérieusement leur capacité à épater la galerie avec des prouesses athlétiques, les chefs hawaïens optèrent donc pour une solution consistant à ne rien foutre une fois leurs deux pieds posés sur la planche. Pour bien marquer le coup, ils nommèrent leur royale planche du même nom que la gourde ‘olo, calebasse symbolisant Lono (dieu de la fertilité) et contenant de l’eau représentant symboliquement les eaux primordiales de Kāne, dieu de la procréation. La planche olo avait ainsi la même forme que la gourde ‘olo, symbole phallique clairement assumé. Surfer sur une planche olo, c’était dominer virilement la houle incarnée par Nu’akea (principe féminin) et lui donner l’énergie pour créer la vie. Mais comme il y a une justice, la parité était adroitement rétablie lorsqu’un surfeur se faisait massacrer dans des vagues déchaînées.

La plus grande des planche exposée ici au Bishop Museum est la planche olo Les autres planches sont des planches communes nommées alaia ©Bishop Museum
Planches de surf Olo en bois Koa © Bishopmuseum.com

Les planches olo n’étaient pas équipées d’ailerons, tout comme celles des classes sociales inférieures. L’avant des planches (le nose pour ceux qui veulent se la raconter) était arrondi tandis que l’arrière (le tail) était droit. Les surfeurs se tenaient donc debout sur ces planches et attendaient d’arriver sur la plage en essayant d’avoir l’air aussi royal que possible. Plus la planche était imposante, plus le mec dessus était respecté mais des compétitions pouvaient parfois ridiculiser les différents chefs, un minimum de talent était donc requis quelque soit la longueur de la planche. Il semble même que certaines planches aient été conçues seulement dans un but ostentatoire étant trop lourdes et trop grandes pour être seulement dirigeables une fois dans la flotte. On peut avancer dans ce cas de possibles problèmes lié à l’ego, problèmes d’une banalité toujours d’actualité qui feraient le miel de n’importe quel étudiant en psychologie de première année.

Les planches Alaia

Ces petites planches plus facilement maniables étaient mieux adaptées aux vagues agitées et permettaient de se « déplacer » sur la vague. Elles autorisaient également le surf sur des récifs plus accidentés que ceux réservés à la pratique des olo. Les planches étaient conçues en fonction des aptitudes des surfeurs et tenaient compte de la morphologie, de l’âge et du talent du propriétaire. John Byron (1723 – 1786) grand-père du poète Lord Byron dont je ne doute pas que tu aies lu l’intégralité des œuvres, Johnny donc prêta attention aux us et coutumes des surfeurs hawaïens (sûrement pour pouvoir reluquer tranquillement les gonzesses à poil) et nota que pour un habitant des Îles Sandwich (ancien nom de Hawaï), avoir une planche soignée et bien entretenue était comparable en terme de fierté à la possession d’un cabriolet léger ou d’un tilbury par un jeune Anglais. So chic.

Ces planches utilisées par la majorité de la population hawaïenne (hommes, femmes et enfants) pouvaient mesurer de 1,5 à 3 mètres. Le nose était assez large tandis que le tail était plus étroit.

Traitement de faveur

Si les planches alaia pouvaient être fabriquées par n’importe qui un peu doué de ses mains, la fabrication des planches olo était confiée à un Kahuna, un expert dans ce domaine avec une spécialité dans la pratique religieuse de type prêtre ou sorcier. Bien évidemment les alaia pouvaient aussi être fabriquées par un Kahuna mais pour elles, la partie religieuse était en général évacuée.

En effet, la construction d’une planche de surf – et en particulier pour les planches olo – comportait un grand nombre de rites qui ponctuaient le processus de fabrication donnant à la planche toute sa valeur symbolique, religieuse et pécuniaire. Il fallait d’abord trouver un arbre approprié à abattre. Il s’agissait en général d’un koa un arbre dont le bois présentait un grain très fin qui pouvait être poli. Sa grande résistance aux chocs et aux dommages que pouvaient causer rochers, coraux et sable en faisait une matière privilégiée pour les planches de surf. Par ailleurs, le mot koa signifiant « guerrier » en hawaïen, on ne boudait pas son plaisir d’ajouter un peu de prestige au résultat final, une planche faite en « bois guerrier », ça claque. Le bois de wiliwili était également apprécié. Une fois l’arbre débusqué, on l’abattait et en échange un poisson rouge kumu était enterré dans un trou creusé près des racines. L’important semble surtout que le poisson ait été rouge, car le rouge était associé aux dieux et aux rois. Le mythe de création du premier homme précise bien que la tête de ce dernier était faite de l’argile blanche de la mer et de la terre rouge d’Hawaï. Par ailleurs, le mot ‘ula désigne à la fois la couleur rouge, la couleur de peau des Hawaïens, ce qui est sacré et royal et désigne également les esprits et les fantômes. Ça a l’air d’être une digression chiante mais ça explique pourquoi les planches olo étaient teintées en rouge tandis que les alaia étaient laissées en bois naturel.

Une fois abattu, l’arbre était taillé en planche grossière qui était alors poncée grâce à des roches ou des coraux abrasifs et subissait encore un tas de rites et de prières avant d’être teintée en rouge grâce à la plante ti (joliment appelée « l’épinard hawaïen ») ou grâce à l’écorce du kukui (aussi appelé « Noyer des Moluques » et arbre officiel de l’État d’Hawaï alors que les Moluques sont en Indonésie mais bref, passons).

Répliques de planches alaia en koa ©shapercloud.com

Une fois la planche olo teintée en rouge, elle était enduite, comme les planches classiques alaia, d’huile de noix ou de coco pour rendre sa surface imperméable. La fabrication d’une planche olo ou alaia était un réel investissement de temps et d’argent. Elles étaient considérées comme un cadeau particulièrement valeureux et donc comme des objets précieux. Les surfeurs les plus méticuleux pouvaient ainsi envelopper leur planche dans du tapa (tissu fait à partir d’écorce et qui dans certains contextes conféraient une valeur sacrée aux objets qu’il protégeait).

Le surf imprégnait toute la vie des Hawaïens. Entre octobre et février, le festival de Mahakili était célébré en l’honneur du dieu surfeur Lono. À cette occasion – qui tombait en même temps que la saison des pluies – les Hawaïens passaient leur temps à se défier lors de jeux athlétiques et en particulier durant des compétitions de surf durant lesquelles hommes et femmes pouvaient surfer ensemble. Une des seules occasions de draguer de l’année puisqu’il s’agissait d’une des seules activités « mixtes » de cette société. Les planches de surf devenaient alors un moyen matériel d’étaler sa richesse ou son talent manuel mais le mieux était encore de s’en servir correctement pour impressionner l’assemblée.
Les missionnaires blancs ayant débarqué à la fin du XVIIIe siècle à la suite de James Cook (1728 – 1779), la pratique du surf failli disparaitre pour cause d’indécence (tout le monde était à poil souviens-toi). J’ajouterais que mon hypothèse personnelle soulève la possible jalousie des enfants du Saint-Esprit de voir des mecs tout bronzés concurrencer Jésus en matière de déplacement sur surface aqueuse. Une hypothèse hautement scientifique qui n’engage bien sûr que moi.

  • BORNE G., PONTING J., Sustainable Surfing, Routledge, New-York, 2017
  • Collectif, Surfing, Sex, Genders and Sexualities, Édité par Lisa Hunter, Routledge, New-York, 2018
  • Elbert, Samuel H. “The Chief in Hawaiian Mythology.” The Journal of American Folklore, vol. 69, no. 272, 1956, pp. 99–113. JSTOR, JSTOR, www.jstor.org/stable/537269.
  • FINNEY B.R., Surfing in Ancient Hawaii, The Journal of Polynesian Society, Volume 68 1959 > Volume 68, No. 4 > Surfing in ancient Hawaii, by Ben R. Finney, p 327-347
  • HOLT Robert Anthony, Cape crusaders : an ethnography investigating the sur ng subculture of Cape Naturaliste, Western Australia, Thèse pour l’université de Edith Cowan University, Australie, 2012 (Holt, R. A. (2012). Cape crusaders : an ethnography investigating the sur ng subculture of Cape Naturaliste, Western Australia. Retrieved from h p://ro.ecu.edu.au/theses/510)
  • KAWENA PUKUI M., H. ELBERT S., Hawaiian Dictionary, University of Hawaii Press, Honolulu, USA, 1986
  • WARREN BECKWITH M., Hawaiian Mythology, University of Hawai’i Press, Hawaï, 1982
  • WARSHAW M., The History of Surfing, Chronicle Books LLC, San Francisco, USA, 2011
  • https://www.bishopmuseum.org
  • https://naturalhistory.si.edu
  • https://mauimagazine.net/shades-of-the-past/
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