Histoire du pot de fleur, le paradis portatif du Moyen-Âge.

Jardinière médiévale figurant un homme et une femme entretenant un jardin. © Berkshire Home & Antiques

Du monde au balcon

Objet pour le moins anodin, le pot de fleur souffre d’être d’une affligeante banalité. À force de vivre avec, on ne lui prête plus l’attention qu’il mérite. C’est un bien grand tort. C’est le Moyen-Âge qu’il faut explorer pour redonner à notre vieux pot de fleur tout le lustre qu’il se mérite.

Le Moyen-Âge s’étire sur plusieurs siècles (du Ve au XVe) et il serait fort malvenu de prétendre couvrir l’intégralité de cette période en unique article sur ce sujet. C’est pourquoi, avec toute l’humilité qui me caractérise et que mes proches sauront reconnaître – non sans une certaine admiration – je ne traiterai que des XIIIe et XIVe siècle (éventuellement un peu du XVe siècle) bien que certains concepts se maintiennent sur cette vaste étendue temporelle qu’est le Moyen-Âge.

Le pot de fleur existait déjà durant l’Antiquité. Les braves gens du Moyen-Âge ne sont donc pas en transe comme nos contemporains dès la sortie du dernier IPhone à chaque fois qu’ils en aperçoivent un. Les enluminures attestent de l’existence de ces objets.

Les ordonnances judiciaires surtout témoignent de la présence de ces objets aux fenêtres des habitations citadines. Ainsi en 1388, une ordonnance parisienne réglemente l’usage des pots de fleurs placés au bord des fenêtres afin de prévenir les accidents malheureux. Et 250 ans plus tard, il sera même interdit de placer des pots de fleurs aux fenêtres, armes susceptibles d’occire un badaud malchanceux. Le pot de fleur faisait ainsi partie de la vie quotidienne sans répondre pourtant prioritairement au goût esthétique.

Le Moyen-Âge vit l’émergence de véritables centres urbanisés. Dans ces villes, les jardins n’eurent plus beaucoup de place et se regroupèrent naturellement à l’extérieur des murs des villes. Or, le jardin au Moyen-Âge tient un rôle primordial. Il est avant tout un jardin de subsistance, les plantes étant importantes pour tous les membres de la société, du plus humble au plus riche. Elles servent surtout à l’alimentation. Choux, poireaux, fèves et oignons prédominaient. Les « herbes à pots » regroupaient la laitue, la roquette, le cresson, la chicorée, la bette, la blette ou encore la moutarde. Cuites dans un pot, elles constituaient les ingrédients du « potage » et donnèrent son nom au potager. Les plantes étaient également les médicaments de l’époque à l’image des « simples » cultivées dans les jardins monastiques.

Les jardins urbains appartenaient à la noblesse et à l ‘Église. Saint Louis (1214 – 1270) installa par exemple son jardin sur la pointe de l’Île de la Cité. Au XIIe et XIIIe siècle, la bourgeoisie naissante initia le couple jardin-maison qui devint dès lors un marqueur de richesse.

Un jardin en ville exigeait de l’espace et les moyens de l’entretenir, raison pour laquelle ils appartenaient généralement à la noblesse et aux établissements ecclésiastiques.

Maugis et Orlando dans le jardin. Enluminure, Bruges, v. 1462/70. In : « Roman de Renaud de Montauban ». Ms. Arsenal 5072 fol. 71 v, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal. © Bibliothèque de l’Arsenal

Le pécore devait quant à lui sortir de la ville pour cultiver de quoi se nourrir, raison pour laquelle il utilisait les pots de fleurs lui permettant d’entretenir « à demeure » quelques herbes aromatiques comme par exemple le romarin qui « fortifie le cerveau » et « soulage de l’épilepsie » ou la marjolaine (qu’il faut entendre comme du basilic). On sait par les ordonnances judiciaires que des œillets étaient aussi plantés dans les pots de fleurs. Leur nom latin ancien carnatio renvoie au Christ et à son incarnation dans la Vierge. Les œillets évoquaient le jardin monastique médiéval, un jardin d’apparence simple mais dont la symbolique n’est pas étrangère à notre pot de fleur.

Deux pots de fleurs en terre cuite découverts à l'hôtel de Brion. Région d'Avignon. © L'histoire pour tous 

Défense de marcher sur la pelouse

Le premier élément qui définit le jardin médiéval est sa clôture : il est impossible de concevoir cet espace sans qu’il soit ceint par une quelconque palissade. C’est l’élément commun à tous les jardins, qu’ils soient monastiques, aristocratiques ou paysans, urbains ou ruraux. La première raison d’ordre pratique visait à protéger les précieuses cultures des intrus, comme les cochons, les animaux sauvages ou les mecs bourrés, qui auraient vite fait de gentiment bousiller ce patient travail. L’autre raison était en lien avec la pensée chrétienne.

Bac en pierre dans le goût des éléments de jardins médiévaux. Jardin médiéval du vieux colombier, Aveyron © Château du Colombier

Prenons l’exemple du jardin monastique. Ce dernier réunit en son sein l’hortus (le potager), le viridarium (le verger d’arbres) et l’herbularium (le jardin des simples) et l’élitiste jardin d’agrément qui prend ici des allures de jardin de méditation. Ce jardin monastique était d’ordinaire constitué de plusieurs parterres réguliers et ordonnés autour d’un parterre central ou plus souvent d’une fontaine ou d’un puits. Les allées permettant de circuler étaient parfaitement droites et toutes les cultures contenues dans leur espace par des treillis d’osier, des pierres ou de gros pots.

Tout dans le jardin médiéval se devait d’être contenu et maitrisé : l’espace clôt regroupait des espaces délimités desquels ne pouvaient « s’échapper » les cultures. Cette conception rigoureuse traversa tout le Moyen-Âge. De là à conclure que nous sommes face à de gros maniaques, il n’y a qu’un pas.

Evrart de Conty, Livre des échecs amoureux moralisés. XVe siècle © Gallica
Valère Maxime, Dits et faits mémorables, traduction française de Simon de Hesdin et Nicolas de Gonesse. Circa 1450 - 1475. © Gallica

Cette conception aussi maniaque des jardins répond à la volonté de la chrétienté de se démarquer de la vision païenne de la nature qui avait cours avant que Jésus et sa clique ne viennent remettre de l’ordre dans ce bas monde. Partant du fait que l’homme est la créature créée à l’image de Dieu, la croyance chrétienne stipule que cette créature est par conséquent la plus parfaite. Et humble avec ça. L’homme est donc le seul à pouvoir (et devoir) maîtriser la nature, à l’image de Dieu tout-puissant.

Le jardin clôt symbolise l’image d’une nature parfaitement maîtrisée par l’homme, lui-même créé à l’image de Dieu. Ce jardin renvoie également à l’image du jardin d’Eden où résidaient Adam et Eve avant le péché originel. Ce même jardin clôt devint également l’image symbolique de la virginité de Marie qui donna naissance au Christ venu racheter le péché des hommes, dont le premier fut de s’être minablement fait virer…de l’Eden. Il s’agit tout bonnement d’une crise aigüe de nostalgie.

L'analogie des oeufs Kinder

Oui cher lecteur, le pot de fleur est au jardin ce que le Kinder surprise est au Kinder maxi : un microcosme voué à reproduire un macrocosme.

Découvrons d’abord l’étymologie du mot « pot » qui permet de comprendre ce qui lie le pot de fleur à la conception chrétienne des jardins. En ancien français, plusieurs mots permettent de désigner un pot comme par exemple vaissel ou test. Ce dernier vient de testum en latin qui signifie « pot de terre » et également « crâne ». Et il est un texte qui utilise test dans sa version italienne testo : le chant XXVII de la Divine Comédie de Dante (1265 – 1321) :

E come’l tempo tegna in cotal testo
Le sue radici, e negli altri le fronde
Omai a te puot’esser manifesto

(« C’est ici le vase où le temps plonge
ses racines, c’est ailleurs qu’il épanouit ses feuilles
tu le comprends maintenant »)

Dante et Béatrice contemplant l'Empyrée, là où est le Premier Mobile. Gustave Doré (1832 - 1883) pour une édition illustrée et en anglais de la Divine Comédie, Édition de 1892

Ce texte intervient dans la description du Paradis lors de l’exotique voyage de Dante.

En encerclant, en restreignant la nature, l’homme médiéval traduit ainsi sa vision du monde : la recherche de la singularité plutôt que la vision d’ensemble. L’homme du jardin médiéval ne regarde pas les fleurs, il regarde la fleur. Il l’observe et la contemple pour ce qu’elle est dans sa particularité. Le pot de fleur est en cela un moyen de limitation de la nature. Il permet de faire pousser à sa guise et de restreindre pour observer le végétal naître, vivre et mourir tandis qu’une plante coupée mourrait immédiatement. La relation au temps, à la vie et à la mort, est donc importante.

Dante utilise le pot pour faciliter la compréhension de l’essence divine à l’origine du temps. Dans la Divine Comédie, le pot de fleur doit être compris comme le Premier Mobile c’est-à-dire la première sphère céleste, celle qui impulse le temps à l’Univers. Et celle dans laquelle vit Dieu.

Le pot est donc le temps tandis que la plante dont les feuilles s’épanouissent « ailleurs » représente la vie. Cette dernière s’incarne dans des êtres particuliers (les feuilles). Nous retrouvons ici cette spécificité de l’homme médiéval à regarder la vie dans le détail.

Dans la pensée médiévale, le pot de fleur n’est donc pas seulement un objet banal du quotidien. D’ailleurs, sa présence de plus en plus fréquente dans les enluminures à partir du XVe siècle est la preuve de l’intérêt que cette culture lui porte.

Le jardin médiéval s’efforce de contenir, il restreint le végétal en l’entourant d’une palissade, d’un mur ou d’un treillis. De cette manière, l’endroit est préservé, il est symboliquement vierge de toute nature « païenne » foisonnante, rampante, bref incontrôlable.

Pot de fleurs et pot à bulbes en terre cuite découverts à l’hôtel de Brion Région d’Avignon © L’histoire pour tous

Le pot est à l’image du jardin médiéval parfait. Nourrissant, soignant et invitant l’homme à la méditation, le pot de fleur est un espace où règne la beauté et l’ordre. Il est l’espace contrôlé par l’homme, aucun désordre naturel ne permet sa destruction. Il est à l’image du paradeisos ou pairi-daéza, terme persan signifiant « lieu protégé par un rempart ».

Le grand roi perse Cyrus (Circa 600 – 530 avant notre ère) répandit tout au long de ses conquêtes ce mot « paradeisos » qui devint notre Paradis chrétien, tant par le mot que par la forme.

Espace terrestre inviolable, le pot de fleur est comme le jardin la matérialisation d’une quête utopique de perfection et d’éternité. Deux qualités qui caractérisent Dieu et à quoi tendent les hommes.

Tâche de t’en souvenir la prochaine fois que tu plantes des tomates-cerises sur ton balcon.

Paire de jardinière en terre cuite. Circa 1890 © UK Heritage
  • ALIGHIERI Dante, La Divine Comédie, traduction de M. Mesnard, Amyot, Paris, 1854 – 1857 (disponible sur Gallica)
  • BARIDON M., Les Jardins, Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, Paris, 1998
  • BOTINEAU M., Les plantes du Jardin Médiéval, Éveil Nature, Angoulême, 2001
  • QUELLIER F., Histoire du Jardin Potager, Armand Colin, Paris, 2012
  • TREFFORT C., De L’écrin au Cercueil : essais sur les contenants au Moyen-Âge, PU Paris-Sorbonne, Paris, 2007
  • ZABBAL F., « Jardins Secrets », Qantara, Numéro 98, janvier 2016, première pp. 26-27