Histoire de la ventouse médicale, instrument que la médecine tour à tour aima puis conspua puis aima à nouveau.

De l'air !

Traditionnellement la ventouse est en verre, évoquant un temps d’impunité médicale où la médecine s’employait à tuer trouver empiriquement des remèdes sans aucunement être inquiétée d’une peu probable inculpation pour meurtres. À leur crédit, les médecins faisaient alors avec ce qu’ils avaient sous la main, comme aujourd’hui le quidam avec Doctissimo.

La pratique à l’origine de l’utilisation des ventouses consistait à aspirer le mal avec la bouche. La méthode est encore employée aujourd’hui par nombre de sorciers, chamans ou guérisseurs de différentes cultures, afin de retirer le venin des morsures de serpents par exemple. Cependant, certains maux ne sont pas aussi faciles à localiser et à retirer que du venin, d’où l’invention de la ventouse.

La ventouse fut inventée pour protéger et favoriser la respiration, respiration qui caractérise la vie.

Ventouse de médecin. Iran, Nishapur, IXe – XIe siècles. © MET Museum

Cet instrument apparait dans toutes les civilisations, depuis les Mésopotamiens jusqu’aux peuples d’Amériques. Il intervient en lien avec un concept également développé dans plusieurs cultures, un concept lié au bon fonctionnement du corps humain et de son âme : celui de fluide universel d’énergie vitale circulant entre tous et toutes les choses.

Tu aurais tôt fait d’associer ce concept à des néo-babos défoncés à l’herbe, pourtant il s’agit véritablement d’un concept très sérieux largement identifié dans de nombreuses cultures :

  • Ki au Japon氣
  • Qi en Chine (prononcez chi) 气
  • Prāṇa chez les Hindouistes
  • Ruh Al-Iman روح الإيمان (qui signifie « L’Esprit de la foi »)
  • Esprit Saint chez les Chrétiens
Ventouse en bronze découverte à Pompéi. Culture romaine, Ier siècle de notre ère.

Ce principe fondamental est considéré comme étant à l’origine de la vie : il anime l’inanimé. Il est toute chose et par conséquent toutes les choses sont « lui ». Il est particulièrement remarquable et intriguant de constater que le nom de ce concept est lié directement au souffle, à l’air ou au vent et ce quelque soit la culture étudiée :

  • En japonais et en chinois, le radical 气 provient dans sa forme ancienne de la représentation du soleil et du feu créant la vapeur. Puis cette représentation évolue vers le dessin de la fumée, de la condensation : une sorte d’air visible. C’est ce que ce caractère indique toujours aujourd’hui.
  • Le Prāṇa hindouiste se compose de āṇa signifiant le souffle, le vent ou encore la respiration. Le préfixe pra- indique une antériorité importante, une situation ou un mouvement initial. Associé à āṇa, le préfixe Prāṇ devient le nom Prāṇa que l’on peut comprendre (notamment) par « le souffle vital originel ».
  • En arabe, Ruh Al-Iman روح الإيمان se compose des mots ruwh (esprit) et ryh (vent) connectés étymologiquement puisqu’ils ont la racine commune (non voisé, c’est-à-dire sans vibration des cordes vocales, de l’air expiré par la bouche sans qu’il ne soit altéré par les dents, la langue ou le palais). Le lien avec l’air est dans sa prononciation même.
  • Dans le Nouveau Testament, l’Esprit Saint chrétien traduit le mot grec Pneuma signifiant littéralement « souffle ». Difficile de faire plus clair.

Ce principe fondamental lié au souffle s’incarne dans le corps humain par la respiration or la respiration caractérise la vie. Un corps dans lequel le « fluide universel d’énergie vitale » circule parfaitement est donc un corps qui respire bien, un corps qui vit sans encombre.

L’inverse est une mauvaise circulation cause de maladie. S’il y a mauvaise circulation, c’est que quelque chose n’est plus à sa place ou obstrue le passage. Pour remédier à ce problème, il faut donc aspirer l’élément négatif hors du corps ou bien le remettre à sa place naturelle.

Ventouse en verre, culture islamique. © Musée du Louvre

La médecine traditionnelle chinoise assimila la circulation de ce fluide – le Qi – à la circulation sanguine. Une belle intuition puisque c’est bien le sang qui fournit au corps l’oxygène dont il a besoin. Cette heureuse considération mena à l’utilisation de ventouses, utilisation attestée par le Bo Shu (un livre écrit sur soie découvert dans une ancienne tombe de la dynastie des Han (206 av. J.C. – 220 ap. J.C.) en 1973).

Leur utilisation devait permettre de corriger les déséquilibres du corps. Il suffit d’observer l’effet produit par une ventouse pour comprendre leur utilité : la peau est aspirée et forme une bosse puis une marque rouge se forme à sa surface, une trace visible du passage d’un élément (d’un mal) aspiré du corps vers la ventouse. S’ajoute à cela l’effet bénéfique ressenti après un pareil traitement, effet aujourd’hui expliqué par la science.

La thérapie par ventouses entraîne à la fois une chute de l’hémoglobine (Hb = élément des globules rouges ayant pour fonction de transporter l’oxygène vers les cellules) et une élévation significative du taux d’oxyhémoglobine dans les tissus entourant l’endroit où la ventouse a été placée.(HbO2 = partie de l’oxygène qui se fixe sur l’hémoglobine pour être transportée vers les tissus).

L’hémoglobine fut célèbrement incernée par ces personnages des années 80/90. © Dessins-animes
Les ventouses existent également en version bambou.

En résumé, la pose d’une ventouse aspire la peau créant une congestion sanguine (un embouteillage de bonhommes globules) augmentant immédiatement l’irrigation sanguine de la zone concernée et par conséquent l’apport d’oxygène. Les ventouses sont disposées à des endroits stratégiques du corps, sur le mal ou à son opposé. Au mieux, elles font disparaitre – au pire elles atténuent  – le mal en « attirant » le souffle vital là où il ne pouvait plus circuler naturellement.

Ventouse en bronze. Culture grecque, 400 - 100 avant notre ère.

Dans la médecine chinoise, les ventouses sont disposées sur le corps selon quatorze méridiens en lien avec les cinq organes principaux. Chacun de ces organes (foie, cœur, rate/pancréas, poumon, rein) est associé à un des cinq éléments (eau, feu, bois, métal et terre). Ces cinq éléments incarne aussi un mode d’action : l’eau la gestation, le feu l’animation, le bois la croissance, le métal la condensation et la terre la fécondation).

Toute cette géographie corporelle évoque déjà une idée de régénérescence puisque chaque organe lié à un élément engendre un mode d’action, un mouvement créateur.

L’homme est donc un microcosme reflet du macrocosme. Le corps est l’Univers tout entier car il est aussi une de ses parties. Souviens-toi, le « fluide universel d’énergie vitale » est à l’origine de toute chose et constitue également toute chose. Fais un effort, c’est logique.

En assimilant le corps humain aux éléments de l'Univers, la médecine chinoise fait de l'homme un microcosme reflet du macrocosme.

Ventouse en verre. Culture islamique, entre 1000 et 1400. © The Board of Trustees of the Science Museum, London

La pensée hindouiste brahmanique postule plus ou moins le même principe : le corps est un microcosme (Atman) reflétant et constituant d’un macrocosme (Brahman). La maladie est considérée comme un obstacle potentiel à la réalisation de l’Atman en Brahman, objectif ultime des hindous.

La maladie est comprise comme un déséquilibre entre les différentes humeurs (tridosa) du corps :

  • la bile pitta,
  • le souffle vāyu
  • le phlegme kapha 

Et les éléments : l’eau, l’air, le feu, le terre et l’askasha (l’éther).

La pose de ventouses permet là encore de rétablir la bonne circulation du Prāṇa qui favorisera la vie. Et permettra de réaliser l’Atman en Brahman tranquillou.

La mauvaise circulation du souffle vitale est donc la principale source d’inquiétude, une inquiétude justifiée puisque cette mauvaise circulation peut entraîner la mort.

Les ventouses en aspirant la peau et en laissant à sa surface les traces visibles d’un « passage » sont rassurantes mais aussi bénéfiques : les blocages sont dissous, les douleurs sont diminuées, la circulation du sang est de fait améliorée et les muscles se décontractent.

Un air connu

Cette théorie brahmanique des humeurs influencera fortement la médecine grecque hippocratique avant de nous parvenir sous la forme d’une fumeuse médecine occidentale (jusqu’au XIXe siècle) qui inspira à Molière la célèbre réplique du Malade Imaginaire :

Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.

Tout un programme.

Certains « parallèles frappants » (dixit Jean Filliozat (1906 – 1982) existent entre la pathologie de la médecine indienne et celle de la médecine grecque. Je t’épargne les exemples qu’il apporte à son raisonnement pour en arriver au plus intéressant : le choc des cultures. Filliozat, un érudit en matière de culture indienne, rappelle que l’empire achéménide (550 av. J.C. – 330 av. J.C.) étendit sa domination à la fois sur des villes grecques d’Ionie mais aussi sur le bassin de l’Indus. Cet empire perse très puissant donna naissance à des cours prestigieuses dans plusieurs villes qui devinrent the place to be si ton souhait le plus cher était d’avoir, un jour, ta propre page Wikipedia.

On sait ainsi que plusieurs médecins grecs – dont Ctésias (médecin grec au service d’Artaxerxès II et mort en -398) – se sont informés des sciences de l’Inde à la cour de Suse. Ces lieux ont ainsi été l’occasion historique d’échanges d’idées « qui expliqueraient mieux que le hasard la similitude constatée entre […] les Grecs et les Indiens. »

L’Empire perse achéménide entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère.
Coffret pour soins par ventouses. Fabriqué par S. Maw & Son, Londres, 1860 – 1875 © Medical Photographic Library, Science Museum London

Ajoutons que l’usage des ventouses était courant dans le monde arabe et mésopotamien depuis déjà fort fort longtemps, ce qui donne une idée de la manière dont les ventouses sont parvenues en Europe. Une fois arrivées en Grèce, elles conservèrent leur pouvoir d’aspiration ou de dérivation du mal. Hippocrate nous offre une manière précise d’envisager le rôle des ventouses dans son traités Les Vents, traité qui fait l’éloge de l’air en montrant sa puissance dans l’univers et dans le corps de l’homme (tiens, tiens, comme par hasaaaard) :

Les contraires sont les remèdes des contraires, car la médecine est supplément et retranchement : retranchement de ce qui est en excès, supplément de ce qui est en défaut.

Or qu’elle est le principe de la ventouse ? De créer un environnement vide d’air capable d’aspirer un corps, créant ainsi un afflux d’oxygène à un endroit où il y en avait peu ou pas assez. Le vide de la ventouse s’oppose à l’air circulant dans le corps, l’afflux d’oxygène s’oppose au manque d’oxygène.

La ventouse est l’instrument qui permet de faire revenir ou de faire affluer l’air dans le corps humain, le fameux Pneuma grec qui sera traduit par Esprit Saint ! Et attend, c’est pas fini.

Même si les chrétiens primitifs allèrent jusqu’à se vanter d’être ignorants pour le seul plaisir de ne pas utiliser une connaissance dite « païenne » (puisqu’elle vient des Grecs), ils intégrèrent finalement peu à peu cette science à leurs dogmes (reconnaissant qu’il est parfaitement idiot de mourir à cause d’un rhume).

Va donc pour la Pneuma, du moment qu’on passe bien le terme au Google Translate et qu’on parle bien de l’Esprit Saint et pas d’un truc païen de ces tarés de Grecs (dixit les Chrétiens primitifs). Mais la tentation fut trop forte et les voilà incluant une Jesus touch ; « les théologiens fabriquent, avec les débris antiques, les explications scientifiques qui leur conviennent » (George MINOIS, L’Eglise et la science, histoire d’un malentendu.)

Cette petite cuisine linguistique et culturelle entraina tout un tas de pratiques délirantes souvent fatales aux malheureux malades.

Ventouse en bronze découverte près de Damas. Entre 1500 et 1930. © The Board of Trustees of the Science Museum

Les ventouses connurent un certain déclin à la fin du XIXe siècle et durant le XXe siècle avant de revenir à la mode chez les athlètes olympiques au début du XXIe siècle.

Si Michael Phelps, nageur olympique ventousé de son état, ignore probablement tout de leur fonction ancestrale, les ventouses médicales restent liées – dans nombre de civilisations – au souffle primordial traversant et animant le corps humain et le monde vivant. Un ensemble qui forme l’univers dans lequel vivent les hommes.

  • FAZZIOLI E., CHAN MEI LING E., Les caractères chinois, du dessin à l’idée, 214 clés pour comprendre la Chine, Flammarion, Paris, 2011
  • HIPPOCRATE, Des vents – De l’art, Éditions des Belles Lettres, Paris, 1988
  • El-Wakil A., Observations of the popularity and religious significance of blood-cupping (al-h ̇ ija ̄ma), as an Islamic medicine, Contemporary Islamic Studies
  • Huijuan Cao, Mei Han, Xun Li, Shangjuan Dong, Yongmei Shang, Qian Wang, Shu Xu and Jianping Liu, Clinical research evidence of cupping therapy in China: a systematic literature review, BMC Complementary and Alternative MedicineThe official journal of the International Society for Complementary Medicine Research
  • Jouanna Jacques. Médecine grecque et médecine indienne dans l’œuvre de Jean Filliozat. In: Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 150e année, N. 4, 2006. pp. 1917-1925;
  • Li T., Li Y., Lin Y., Li K., Significant and sustaining elevation of blood oxygen induced by Chinese cupping therapy as assessed by near-infrared spectrosc Biomedical Optics Express.
  • Marganne Marie-Hélène. Sur l’origine hippocratique des concepts de révulsion et de dérivation. In: L’antiquité classique, Tome 49, 1980. pp. 115-130;
  • https://www.franceculture.fr/histoire/leglise-et-la-science-un-probleme-decritures
  • http://www.qantara-med.org/qantara4/public/show_document.php?do_id=1520
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