Les chats. Tu les aimes beaucoup et eux veulent seulement bouffer. Histoire courte d’une vénération mondiale unilatérale avec le Maneki Neko japonais.

Ni Dieu ni maître ni croquette

Le Maneki Neko est probablement le souvenir le plus rapporté du Japon ainsi que le porte-bonheur officiel de nombre de restaurants japonais. Avec sa patte (souvent) articulée qui bascule d’avant en arrière, d’aucuns le trouvent « kawaï » (mignon). Mais le chat, en réalité – et particulièrement pour les Japonais – n’est pas kawaï. Il est tout son contraire.

Je te laisse le loisir de lire la foultitude de légendes soit disant à l’origine du Maneki Neko. Aujourd’hui, je m’en vais t’expliquer pourquoi cette sculpture de chat est un symbole auspicieux mais aussi une marque de déférence. Car le chat est au Japon un animal aussi mignon et fascinant que cruel et effrayant. Un peu comme ces saloperies de loutres.

À travers le monde, le chat occupe dans chaque société une place particulière (pense aux chats durant l’Antiquité égyptienne) qui tient aux caractéristiques physiques chelou du félin. Pour rappel, ton chat aussi mignon soit-il est capable de se mouvoir sans faire aucun bruit, il fait montre d’une agilité hors du commun et voit dans l’obscurité. Qui n’a jamais croisé les deux yeux brillants d’un chat la nuit ? Sous-entendant que la bestiole te voit, ce qui n’est réciproquement pas le cas. Ces trois seules caractéristiques sont également celles des tueurs à gage.

Autre caractéristique mystérieuse, ses iris changent de forme selon la luminosité. La science explique aujourd’hui cette plasticité mais on comprend aisément à quel point elle a pu être flippante dans des époques pas si éloignées. Ajoutons à cela des dents et des griffes particulièrement nettes et aiguisées, une vie nocturne mystérieuse, une fourrure parfois électro-statique en hiver et on obtient un personnage Marvel.

L'allure et le caractère mystérieux du chat inspirèrent les artistes japonais imaginant les félins dans toutes sortes de vies parallèles...Chats mimant le chapitre 10 des Dits du Genji. Circa 1842

©kuniyoshiproject.com

Au Japon, on utilisa d’abord le chat pour chasser les rats. Dans les temples bouddhistes, ils protégeaient les précieux manuscrits importés de Chine de la voracité des rongeurs. L’animal fut ainsi reconnu au Japon – comme partout dans le monde – pour son aide auprès des humains dans la chasse aux nuisibles. Il était donc un animal favorable à la bonne tenue d’un foyer, il protégeait les réserves de nourriture favorisant la prospérité de ses propriétaires.

Le Maneki Neko est en cela représentatif de ce caractère auspicieux du chat. Placé à l’entrée d’un bar ou d’une maison de thé, c’est la patte gauche qui est levée. Placé à l’entrée d’un commerce, le chat lèvera sa patte droite. La patte levée, droite ou gauche, est synonyme de protection et favorise le changement d’un état négatif à un état positif : la patte gauche est synonyme de fortune tandis que la droite est synonyme de santé.

En récompense de son aide précieuse et pour le garder auprès de lui, l’humain s’est mis à nourrir le chat. Cependant, un fois le chat nourri, ce dernier se cogne bien de savoir quel humain estime être son propriétaire. Il passe à la baraque suivante sans se soucier de savoir s’il a fait le job qu’on attend de lui.

C’est précisément ce caractère ambivalent du chat qui inspira la mythologie japonaise. Jamais tout à fait domestiqué, le chat oscille entre douceur et cruauté, entre nature et civilisation, entre monde des hommes et monde surnaturel.

Notons deux types de chats surnaturels dans la mythologie japonaise : le Nekomata et le Bakeneko. Le premier est associé aux esprits errants ou maléfiques ainsi qu’au royaume des morts. Le second qui peut-être traduit par « chat déguisé » (du verbe bakeru « changer » de forme, sous-entendant un changement de manière surnaturelle) se transforme selon son bon vouloir en humain. Sous cette forme, il ensorcelle les gens, les menant à leur perte. Le mot « chat » est aussi un qualificatif des geishas car elles ont, comme les félins, l’habileté nécessaire pour séduire et ensorceler un homme.

Cette capacité de métamorphose du chat en fait un animal aussi bénéfique que dangereux. Toutes ses attitudes sont étudiées et interprétées, on y lit l’ambivalence de la nature du félin. Ses faits et gestes prédisent logiquement un changement à venir sans qu’on puisse préciser lequel.

Ainsi durant la période Edo (1603 – 1868), voir un chat lécher l’huile d’une lampe était synonyme de mauvais présage. Or si les chats léchaient cette huile c’est que les familles les plus modestes utilisaient pour la combustion des lampes de l’huile de poisson. Pour l’atteindre, les chats s’étiraient de tout leur long sur leurs pattes arrières ce qui, pour un observateur extérieur, leur donnait l’allure d’un humain, renforçant l’idée que les chats se métamorphosaient à volonté.

Il était aussi commun de croire que les félins parlaient le langage humain. Chaque personne ayant eu simultanément chez lui un enfant en bas âge et un chat témoignera de la singularité du miaulement du chat qui tend à imiter les pleurs d’un bébé et ce dans l’unique but de se faire servir plus vite ses croquettes. De la même manière, certains miaulements du chat ont pu évoquer des phonèmes de la langue japonaise donnant l’illusion que les chats pouvaient parler.

Le Maneki Neko est ainsi un objet auspicieux rappelant le rôle protecteur du chat au sein d’un foyer. Mais sa patte basculant d’avant en arrière, si elle fait d’abord penser à un chat passant sa patte derrière son oreille, n’est pas sans rappeler l’ambivalence de la bête qui peut rapidement basculer du côté obscur et venir te bouffer si tu lui as acheté de la pâté prix pouce.

Hatsutatsu-san en argile et un chat vêtu comme un moine bouddhiste en cuivre martelé. XXe siècle. © Mingei International Museum
  • TURNER Dennis C., The Domestic Cat: The Biology of its Behaviour, Cambridge University Press, 2013
  • VOLKER T., The animal in Far Eastern art and especially in the art of the Japanese netsuke, with references to Chinese origins, traditions, legends, and art, publiée par E.J. Brill, 1975
  • VON KRENNER W., Creatures Real and Imaginary in Chinese and Japanese Art: An Identification Guide, McFarland, 2015
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