Unique matériau nécessaire à l’origami, le papier est au Japon un art millénaire qui se décline de multiples façons. Un peu comme l’art de râler en France.

L'humanité reconnaissante

Occidentaux que nous sommes, nous n’avons qu’un panorama médiocre et étroit de l’utilisation qui peut être faite du papier. Quand nous ne nous contentons pas bêtement d’écrire dessus, on s’en sert au mieux pour (mal) emballer des cadeaux. C’est pourri. Les Japonais, eux, ont leur papier classé au patrimoine immatériel de l’Unesco et s’en servent dans tous les domaines de la vie quotidienne. Et pour ne rien gâcher, ce papier est superbe.

Outils permettant d'étaler la préparation à papier et de décoller la feuille du tamis. © Nippon.com

Ce papier reconnu par l’Unesco se nomme washi 和紙. Le premier kanji 和 (wa) signifie « harmonie », « paix » et « japonais » car tout ce qui est paisible et harmonieux est nécessairement japonais. Pour rappel, « français » signifie seulement « qui vient de France », pour la poésie on repassera.

Le second kanji 紙 (shi mais se prononce aussi –gami ou kami) signifie papier (et il est homophone du mot dieu, une homophonie significative dont j’ai parlé dans l’article sur les origami).

Le washi 和紙 désigne le papier japonais. Son étymologie fait de lui le papier de la paix et de l’harmonie. Mais aussi le papier des dieux.

© Le Polyèdre

Son artisanat remonte au VIIe siècle. La technique est importée de Chine est adaptée aux fibres tirées du mûrier kôzo ou d’autres plantes nommées ganpi ou mitsumata.

Fabrication du papier washi : apprendre la patience

Les écorces de mûrier servant à la fabrication du papier font l’objet d’un laborieux et patient travail entrecoupé de longues périodes d’attente. C’est ce qui permettra d’obtenir un washi blanc, diaphane et doux.

Les écorces sont d’abord plongées dans l’eau pour les assouplir avant d’être séchées au soleil. Une fois parfaitement sèches, elles sont à nouveau plongées dans l’eau puis rincées pour retirer toutes les impuretés des végétaux.

Fagot d'écorces de mûrier séchées. © Matières à rêver

À chaque étape du processus, les écorces sont doucement battues pour les assouplir et mises à sécher afin de les blanchir. Une fois parfaitement propres, les écorces sont plongées dans une étuve dans laquelle elles demeurent plus longtemps que toi dans un sauna. Une fois retirées de leur bain, elles sont encore une fois minutieusement nettoyées à la main pour éliminer les dernières parties foncées de l’écorce. Les longues bandes souples ainsi obtenues sont alors broyées pour obtenir une pulpe que l’on mélange à de l’eau et du mucilage (neri en japonais). Le mucilage consiste en des substances végétales gonflant et devenant visqueuses au contact de l’eau. Ces substances servent ici de liant.

Le mélange eau-pulpe-neri est préparé dans la cuve qui va servir à produire les feuilles de washi. Au-dessus de cette cuve est placé un large tamis que l’artisan plonge dans le mélange de pâte à papier puis le répartit grâce à des mouvements précis. La feuille apparait à la surface du tamis. Encore humide, elle est délicatement décollée du tamis.

Les feuilles sont ensuite placées sur de grandes planches de bois et mises à sécher au soleil.

Le mélange eau-pulpe-neri est préparé dans la cuve qui va servir à produire les feuilles de papier. Au-dessus de cette cuve est placé un large tamis avec lequel l’artisan travaille, le plongeant dans le mélange de pâte à papier et répartissant la matière grâce à des mouvements précis (à 2:16 min dans la vidéo ci-dessous).

Les trois grands noms du papier washi

Ce sont trois communautés japonaises qui ont été reconnues par l’Unesco pour leur art du washi. Chacune produit un papier qui lui est propre.

Le washi Honminoshi de la ville de Mino, préfecture de Gifu : Particulièrement apprécié pour les shoji et les luminaires, le washi Honminoshi s’accorde magnifiquement avec la lumière qu’il sait adoucir sans éteindre. La maison du trésor de Shôsô du temple Tôdai-ji à Nara possède un papier Honminoshi vieux de 1300 ans qui, dit-on, a conservé sa douceur d’origine.

Luminaires en papier washi de la maison des hôtes d'État de Kyoto. © Uniqtable

La maison des hôtes d’État à Kyoto ne s’y est pas trompée et quand ton avenir glorieux te propulsera au rang de ministre invité par le Japon, peut-être auras-tu la chance de contempler l’élégant Honminoshi qui sert pour les shoji mais aussi pour l’éclairage. Sinon, il y a toujours Google Images.

Le washi du quartier Misumi-cho, à Hamada, préfecture de Shimane : ce papier nommé Sekishu-banshi est reconnu pour sa résistance et sa douceur.

Ce papier est utilisé dans la confection de vêtements, de sacs et même de chaussures pour enfants.

Chaussures pour enfant en papier washi. © Nippon Connection

Le washi Hosokawashi du village de Higashi-chichibu, préfecture de Saitama : celui que les artistes préfèrent. Brillant et solide, son épaisseur parfaite en fait un matériau de choix pour la restauration des livres anciens ou encore pour les livres d’impression d’art. Il est tellement agréable d’écrire sur ce papier que la famille impériale l’utilise pour sa correspondance, autant pour le papier à écrire que pour les enveloppes.

Feuilles de washi Hosokawashi, Japon © WanoKaze Washi
Détail de texture du washi Hosokawashi, Japon © WanoKaze Washi

Le papier washi – le papier de l’harmonie et de la paix – n’a pourtant jamais aussi mal porté son nom que durant la seconde Guerre Mondiale avec la mise en place du projet Fugo. Ce dernier organisa la réquisition du papier washi sans informer les artisans de la destination finale de leur création. Des ballons en papier furent fabriqués et équipés de bombes ; un millier de ces ballons incendiaires furent envoyés vers les Etats-Unis et causeront la mort d’au moins 5 personnes en Oregon.

En guise de conclusion, je te conseille de lire Monsieur Origami, le premier roman de Jean-Marc Ceci, paru chez Gallimard. À travers la retraite italienne de Kurogiku, chaque page écume le temps dans un dépouillement que seul peut rendre le papier washi. Paradoxalement, ce texte qui se lit vite est empli de silence et de lenteur.

Sorte de conte philosophique épuré, les images qui émergent de cette belle histoire sont aussi diaphanes que les feuilles de papier qu’elles évoquent et ce dans le décor verdoyant d’une Toscane bien loin de ses villes emblématiques. Vraiment, je te le recommande.

  • Beillevaire Patrick. Dieux et ancêtres dans l'espace villageois japonais. In: L'Homme, 1991, tome 31 n°117. Etudes japonaises. Dieux, lieux, corps, choses, illusion. pp. 34-65;
  • HERBERT J., Aux sources du Shinto, Albin Michel, Paris, 1964
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