L'ingéniosité pousse parfois les plus talentueux artisans à faire preuve d'une incroyable créativité. Si les systèmes de ces clefs sont admirables, la plupart sont néanmoins peu efficaces voire carrément inutilisables.

Bague clef gallo-romaine en or Entre 100 et 300 ap. J.C. Conservée au Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris © Petit Palais
Bague clef gallo-romaine en or Entre 100 et 300 ap. J.C. Conservée au Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris © Petit Palais

Florilège subjectif des clefs à système les plus originales

Déjà les antiques clefs romaines se firent remarquer par leur double fonction, fonction simple mais aussi bien efficace qu’esthétique. La clef traitée de la sorte par le talentueux artisan devenait le plus souvent une bague. Cette astuce permettait ainsi de ne jamais perdre la clé d’une cassette précieuse ou d’un coffre bien fourni. Il semble que les élégantes Romaines n’aient jamais manqué d’en porter à leurs doigts.

Clefs de coffret portées en bague (à gauche) et en pendentif (à droite), Ier-IIe siècles de notre ère. © Inrap
Clefs de coffret portées en bague (à gauche) et en pendentif (à droite), Ier-IIe siècles de notre ère. © Inrap

Il faut cependant attendre plusieurs siècles avant que les clefs à système comme nous l’entendons aujourd’hui face leur apparition et subjuguent toute une société alors incroyablement friande de nouveautés techniques curieuses ou extraordinaires (idéalement, l’objet réunissait ces deux qualités). Ces clefs uniques au mécanisme complexe sortent tout droit de l’imagination de leur créateur et il est aisé de comprendre en quoi elles séduisent encore aujourd’hui les écrivains de romans policiers ou d’espionnage.

La clef-pistolet

Mademoiselle Rose ne choisirait sans doute pas une autre arme pour dégommer le premier malotru croisé dans la bibliothèque du Cluedo. Les ayatollahs du pacifisme hurleront sans doute – c’est d’ailleurs d’ordinaire une réaction parfaitement appropriée lorsqu’on se trouve du mauvais côté d’un revolver – mais comment ignorer l’ingéniosité qu’il fallut à l’artisan-armurier pour réaliser pareil objet ?

Clef pistolet à décharge unique Début XVIIIe Museo de Industria Armera, Ayuntamiento de Eibar, Espagne © Jenö da Capo Pinterest
Clef pistolet à décharge unique Début XVIIIe Museo de Industria Armera, Ayuntamiento de Eibar, Espagne © Jenö da Capo Pinterest

D’ailleurs, ces clefs ne sont pas si rares à partir du XVIe siècle et, si elles n’ont pas la puissance de feu d’un dragon, on peut au moins leur reconnaître une capacité à blesser. À condition seulement de savoir viser. Les armes à feu de taille ordinaire sont déjà des merveilles d’imprécision et il est naturellement logique que leurs versions miniatures soient au moins aussi approximativement maniables – sinon plus.

La tige de la clef servait de canon et, du fait de sa petite taille, la clef-pistolet ne pouvait tirer qu’une seule et unique balle tout en étant d’une imprévisible et toute relative fiabilité.

Serrure et sa clef pistolet, Allemagne, vers 1750 En fer forgé et ciselé Conservée au musée de l’Armée à Paris © RMN-Grand Palais / Christophe Chavan
Serrure et sa clef pistolet, Allemagne, vers 1750 En fer forgé et ciselé Conservée au musée de l’Armée à Paris © RMN-Grand Palais / Christophe Chavan

La clef-poignard

De fabrication plus simple et dépourvues de système mécanique complexe, les clés poignard n’en étaient pas moins dangereuses ! Une lame effilée, aussi petite soit-elle, fait au moins autant de dégât qu’une balle minuscule pour autant qu’on prenne soin de l’employer avec célérité tout en ménageant un certain effet de surprise. Cet effet nécessaire rendra d’autant la scène dramatique que l’agresseur aura gardé tout du long son sang froid.

Clef poignard vénitienne, XVIIIe siècle © Conforti Collection
Clef poignard vénitienne, XVIIIe siècle © Conforti Collection

La clef-marteau et la clef-pipe

La clé marteau éveille sans doute davantage la curiosité que la clef-pipe. Il est assez facile de s’imaginer comment tirer profit de la cavité des clefs pour y faire passer toutes sortes de fumées odoriférantes. L’évidence ne se fait pas de manière aussi limpide pour la clé marteau.

Éloignons tout de suite l’hypothèse qui avancerait que ce genre de clef ait servi à de quelconque travaux. La solution n’était pas dans la qualité de masse de l’outil mais plutôt en sa qualité de frappe. À l’instar des marteaux frappants les cloches (aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur quand il s’agit d’automates ou de jacquemarts), la clef marteau permettait au tenancier d’auberge d’estimer la quantité de nectar restant dans un tonneau :  en frappant d’un coup sec le contenant, le brave homme estimait au son rendu aussi bien le taux de remplissage du contenant que celui approximatif de son portefeuille.

La clef-pipe n’eut d’autre usage que de servir lors d’occasions particulières comme lors des cérémonies de réception d’un nouveau compagnon au sein d’une corporation de serruriers. Le nouvel élu avait le privilège, pour célébrer sa réussite, de tirer quelques « bouffées d’honneur » sur la dite clef qui, on l’imagine, ne pouvait pas contenir beaucoup de tabac.

Clef marteau de caviste, baroque © Collection Hanns Schell Collection, Graz, Autriche
Clef marteau de caviste, baroque © Collection Hanns Schell Collection, Graz, Autriche
Clef pipe de corporation en fer forgé Vers 1800 © Deutsches Schloss und Beschlägemuseum, Velbert, Allemagne
Clef pipe de corporation en fer forgé Vers 1800 © Deutsches Schloss und Beschlägemuseum, Velbert, Allemagne

La clef à message ou à poison

Indispensable gadget d’espion des meilleurs films du genre au siècle dernier, la clef à message ou à poison servit d’abord la réalité avant de servir la fiction. La tige laissée creuse permettait d’abriter un message sans empêcher le mécanisme de la serrure de fonctionner. Particulièrement employée durant la Seconde Guerre Mondiale, elle fut détournée de son usage premier pour renfermer des doses de poison souvent destinées au porteur de la clef plutôt qu’à ses ennemis. Dans la plupart des cas en effet, il s’agissait de choisir la mort plutôt que de divulguer les informations que la torture ne manquait pas de faire avouer.

Plus légèrement, les clefs à message furent aussi bien appréciées par les amants que par les gouapes aux activités interlopes, les deux ayant pour commune nécessité d’être discret.

Il existe un grand nombre de clefs à système, certaines uniques et d’autres plus communes. Elles sont un défi aussi bien qu’un amusement éprouvant les talents du maître serrurier qui s’y essaie. La nécessité dicte rarement la fabrication ou l’invention de ces clefs, raison pour laquelle on appréciera aussi bien leurs subtilités techniques que leur régulière inefficacité.

Les ateliers « clefs minute » – déjà d’un ennui mortel malgré la promesse de brièveté qu’ils affichent fièrement – apparaissent soudainement bien fades. Et que dire des clefs numériques aussi tristement insipides qu’elles sont affreusement banales ? L’inventivité mécanique a décidément un je-ne-sais-quoi de bien plus fascinant que l’abstraction numérique.

Clef à message ou à poison anglaise, XXe siècle Fer ciselé © The Sun
Clef à message ou à poison anglaise, XXe siècle Fer ciselé © The Sun
  • AMBLARD Émile, Guitard Eugène-Humbert. L'histoire merveilleuse de la clef de saint Hubert. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 48e année, n°166, 1960. pp. 369-371
  • BLOMART Alain. Frugifer : une divinité mithriaque léontocéphale décrite par Arnobe. In: Revue de l'histoire des religions, tome 210, n°1, 1993. pp. 5-25
  • BOMBARD Mathilde et ESCOLA Marc, Clés et usages des clés : pour servir à l’histoire et à la théorie d’une pratique de lecture, Littératures classiques 2004/2 (n°54), p. 5-26
  • BRUNNER Jean-Josep, Les Clefs, Éditions Vial, Corlet, 2006
  • Sous la direction de CULOT Maurice, Ouvrez la porte, la serrurerie décorative, AAM Éditions, Bruxelles, 2005
  • DEONNA W. Clef et hache. In: Revue des Études Anciennes. Tome 21, 1919, n°3. pp. 219-222
  • GUIRAUD Hélène, Bagues et anneaux à l'époque romaine en Gaule. In: Gallia, tome 46, 1989. pp. 173-211
  • GUILLIAUD Maximilien, Rudiments de Musique pratique, reduits en deux briefs traictez, le premier contenant les preceptes de la plaine, l'autre de la figurée, Paris, Nicolas du Chemin, 1554 [préface de 1552], 1er traité, chapitre 3 [s.p.]. Fac-simile Minkoff, Genève, 1981
  • HERTEL, Carola. Les clés en musique : signes et métaphores In : Les clefs des textes médiévaux : Pouvoir, savoir et interprétation [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006
  • LINLAUD Mathieu,Serrures médiévales, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2014
  • PASTOUREAU Michel, Une histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Éditions du Seuil, Collection Points hitoire, Paris, 2004
  • (Sous la direction de) POMEL Fabienne, Les clefs des textes médiévaux: Pouvoir, savoir et interprétation, Presses Universitaires de Rennes, 2005
  • SCHILLING Robert. Le dieu introducteur. Le dieu des passages. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 72, 1960. pp. 89-13