Cette première journée de la Museum Week est dédiée aux femmes. En cette occasion, je te présente Hildegarde de Bingen (1098 – 1179), la bénédictine allemande reconnue aujourd’hui comme la première chercheuse européenne sinon allemande en matière d’histoire naturelle.

Libérée, Délivréééééeeeeeee

À 8 ans, Hildegarde qui est issue d’une famille aristocratique du Palatinat (à l’ouest de l’Allemagne) entre au couvent des bénédictines. Il faut bien se rendre compte qu’à l’époque, entrer au couvent n’est pas la pire chose qui puisse arriver à une femme. D’ailleurs, ce sont celles issues de la sphère noble et aristocratique qui y sont majoritairement autorisées. En plus de pouvoir recevoir une certaine éducation, elles n’ont pas à se marier (puisque leur mec, c’est Dieu) et n’ont donc pas à engendrer une descendance (sans aucun planning familial cela va sans dire) au risque d’y laisser leur peau.

Hildegarde va pleinement profiter de ce semblant de liberté pour devenir une femme savante, musicienne et poétesse respectée, proche de Bernard de Clairvaux (1090 ou 1091 – 1153) fondateur de l’abbaye de Clairvaux et moine cistercien qui n’était pas du genre à rigoler. Et d’autant moins avec une femme.

Hildegarde reçoit l’inspiration divine
Miniature du Codex de Ruppertsberg du Liber Scivias illustré par Hildegarde de Bingen et décrivant ses visions mystiques. Copie du manuscrit de Ruppertsberg conservé à la bibliothèque de Heidelberg, Allemagne

hildegarde-von-bingen

C’est surtout l’ouvrage Physica qui fait d’Hildegarde un précurseur dans le domaine de la botanique et de la médecine par les plantes. Cet écrit révèle une très grande connaissance de la bénédictine en matière de soin par les plantes, et certaines de ses intuitions – avec entre autres l’action chimique et magnétique de certaines substances sur le corps humain, la circulation sanguine, la place centrale du soleil– seront vérifiées par la suite.

Au Moyen-Âge, on n’ignore pas les vertus (réelles ou fantasmées) des plantes mais ces savoirs sont souvent mémorisés à l’aide de poèmes et ne font aucunement l’objet de ce que l’on nommerait aujourd’hui une certaine rigueur scientifique. Nombre de ces connaissances sont néanmoins héritées des savants de l’Antiquité dont les textes sont redécouverts petit à petit.

Il se trouve également qu’au Moyen-Âge, les bénédictins sont considérés comme de véritables connaisseurs des plantes médicinales et des simples qu’ils cultivent dans de superbes jardins. Hildegarde a donc tout le loisir de s’adonner à sa curiosité pour la nature au sein même de son couvent.

Le manuscrit de Voynich rassemble de nombreuses illustrations et des textes dont la langue demeure aujourd'hui indéchiffrable. Les nombreuses planches figurant des plantes ont laissé penser à un herbier sans qu'on puisse en être tout à fait certain.

Pages du manuscrit de Voynich, vélin, entre 1404 et 1438.
voynich-manuscrit-herbier-fleur

J'vais ranger la forêt

Dans son ouvrage, Hildegarde s’intéresse à toutes les plantes, utiles et inutiles, donnant à son travail un premier caractère encyclopédique. Son intérêt ne se limite pas seulement aux plantes les plus connues. Elle explore la flore locale pour répertorier toutes les espèces qu’elle rencontre. Cette démarche se heurte rapidement à son latin, langue scientifique de l’époque, qui ne sait nommer toutes les plantes qu’elle décrit. Hildegarde mêle ainsi au matin un haut-allemand vernaculaire quitte à passer pour une ignorante, mais Hildegarde s’en fout, elle est rock’n roll.

Sa manière de présenter les plantes est également originale puisque la bénédictine présente chaque espèce avec une sorte de mode d’emploi pour que la plante puisse être « préparée » dans des recettes ou des mets.

La vocation de l’ouvrage tend ainsi à une meilleure compréhension de la nature par un grand catalogage qui doit permettre à l’homme de s’en servir pour son bien et son mieux être physique. Terminé les dessins de fleurs enluminés, Hildegarde n’est pas là pour trier les lentilles.

En femme de son temps, elle applique également la maxime similia similibus curantur (les semblables se guérissent par les semblables) qui propose que les vertus thérapeutiques d’une plante, d’un fruit, d’une racine se lisent dans leur aspect extérieur. Pour le cerveau par exemple, on recommandera la consommation de noix.

Les écrits d’Hildegarde de Bingen sont toujours étudiés aujourd’hui et forment un corpus historiquement importants dans l’histoire de la botanique, de la phytothérapie et même de la cuisine. La médecine par les plantes lui doit beaucoup. Cette femme savante du XIIe siècle eut une influence telle qu’en 2012 le pape Benoît XVI la fit quatrième femme docteur de l’Église (contre 32 hommes).

hildegarde-de-bingen-physica
Hildegarde de Bingen, Sempervivium. MS. Ashmole 1462, Roll 186H, Folio 43r. © Bodleian Library