Le temps de lecture de cet article équivaut plus ou moins au temps de cuisson d’une brochette. Histoire courte du barbecue à la française ou du BBQ au relents texans.

Allumer le feu : genèse du barbecue

Sans doute, le barbecue peut s’octroyer la paternité du moyen de cuisson le plus primitif que l’homme ait jamais utilisé. D’après les scientifiques, nos lointains et néanmoins sympathiques aïeuls se lassèrent in fine de bouffer des charognes souvent faisandées et régulièrement crues. Une fois l’apprentissage du feu parfaitement acquise, d’heureuses intuitions menèrent les premiers aficionados de la brochette à entreprendre une aventure culinaire jusque là inédite : plonger des morceaux de barbaque dans le feu. La délicieuse expérience eut lieu, selon les nouvelles estimations, il y a environ un million d’années.

Heureuse entreprise dans l’histoire humaine puisque la viande et les végétaux cuits nous permirent de développer notre cerveau. Le premier bénéfice ne fut découvert que récemment mais son intuition ne manqua sûrement pas d’éveiller les esprits hagards des premiers gastronomes : la viande cuite fournit plus d’énergie que la viande crue.

Le second bénéfice, tout comme le premier, passa sans doute inaperçu, pourtant il joua également un rôle important. Car il se trouve que la cuisson des végétaux rend leurs nutriments davantage disponibles. Or ces nutriments contiennent des molécules importantes pour le développement du cerveau. L’humain gagna donc sans aucun doute possible à s’empiffrer de racines cuites.

Dernier détail, et non des moindres, les aliments cuits sont plus faciles à mastiquer. Un détail pour vous mais cela entraîna lentement une diminution de la taille de notre mâchoire au profit de celle de notre boîte crânienne. L’évolution est décidément une bien sympathique compagne.

Note également que, dans la majorité des cas, la nourriture est nettement moins déguelasse une fois cuite, ce qui probablement donna naissance au concept de gourmandise.

Pour la période préhistorique, il est malheureusement toujours difficile d’attester avec certitude qu’un ancien foyer, dans une grotte par exemple, ait pu servir de barbecue. Car bien qu’on y retrouve régulièrement des ossements, ces derniers ont tout aussi bien pu servir de combustible pour alimenter le feu et ne sont pas systématiquement le souvenir d’un samedi soir convivial. Néanmoins, une chose est sûre : toutes les populations de chaque continent ont utilisé le feu comme moyen de cuisson.

Grille de cuisson datée entre le Vie et le Ive siècle avant J.C. Exposée au Musée de l'Agora antique d'Athènes. © Giovanni Dall'Orto

Il suffit de lire l’Iliade pour se convaincre que les barbecues occupaient déjà les cuisines antiques et qu’Achilles (Akhilleus) n’était pas le dernier à faire griller des brochettes :

Il [Akhilleus] parla ainsi, et Patroklos [Patrocle] obéit à son cher compagnon. Et Akhilleus étendit sur un grand billot, auprès du feu, le dos d’une brebis, celui d’une chèvre grasse et celui d’un porc gras. Et tandis qu’Automédôn maintenait les chairs, le divin Akhilleus les coupait par morceaux et les embrochait. Et le Ménoitiade, homme semblable à un Dieu, allumait un grand feu. Et quand la flamme tomba et s’éteignit, il étendit les broches au-dessus des charbons en les appuyant sur des pierres, et il les aspergea de sel sacré. Et Patroklos, ayant rôti les chairs et les ayant posées sur la table, distribua le pain dans de belles corbeilles.

Iliade, Chant IX

Support portatif pour grillades, terre cuite. Influence minoenne (2700 – 1200 av. J.C.) retrouvé durant les fouilles d'« Akrotiri » Île Santorin. Musée Archéologique National d’Athènes.

© www.minoanatlantis.com

Tour du monde du BBQ ou l'international de la brochette

Si la brochette est internationale, pourquoi diable use-t-on partout du mot barbecue ? Il semble que ce mot ait fait fortune après qu’il ait été emprunté par les Espagnols à un terme arawak, un groupe de langues d’Amérique latine préhispaniques. Bien que l’habitude de faire griller ou rôtir des bestioles ne soient pas étrangère aux Hispaniques, ces derniers déformèrent – involontairement, pour une fois sur ce continent – le mot maya Baalbak’ Kaab signifiant littéralement « viande recouverte de terre ».

Cette technique de cuisson sous terre est tout sauf étrangère à ton cher BBQ. À l’inverse de ton rudimentaire grill, la technique Baalbak’ Kaab permet une cuisson lente et douce n’exige aucune forme de surveillance. Les aliments cuits de cette manière ont aussi l’avantage de se conserver plus longtemps que tes brochettes poivrons-viande de porc.

Depuis la civilisation maya, la technique rejoint les Caraïbes où l’ethnie amérindienne Taïno désigne du mot barabicu la viande cuite sur un échafaudage en bois élevé au-dessus d’un foyer.

Ces deux mots sonnant joliment à l’oreille précèdent de quelques centaines d’années le barbacoa (enregistré en 1518) des belliqueux Espagnol ainsi que notre adorable barbecue.

Grille de cuisson, probablement espagnole, XVIIe siècle. © MET Museum

En 1578, Jean de Léry (1536 – 1613) dans son Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, dite d’Amérique décrit également un système de cuisson sur grille de bois observé au Brésil et, ô surprise, la grille bienfaitrice est communément appelée boucan par les indigènes.

Ce terme accouchera du mot « boucaner » par lequel on entend aujourd’hui faire sécher une viande ou un poisson par la fumée. L’expression « faire du boucan » n’est pas moins étrangère aux expéditions brésiliennes puisqu’elle se rapporte au vacarme des boucaniers qui ne savent alors savourer autrement que bruyamment leur festin longuement préparé.

Pour élargir ta connaissance parcellaire (mais non moins négligeable) du barbecue, sache qu’il existe toutes sortes de façon de cuire la viande sur un gril à travers le monde.

En Inde, la viande tandoori est une viande cuite dans un four cylindrique en argile placé au-dessus d’un foyer ardent. Les broches tenant la viande sont piquées directement dans le foyer et prennent appui contre la paroi du four ou sont accrochées à une barre déposée à l’horizontal au sommet du four. La cuisson des aliments dans ce four à feu vif permettait aux jus et matières grasses des viandes de se mélanger et de s’égoutter sur le charbon de bois ou le bois lui-même, donnant aux viandes, pains et légumes une saveur plus riche. Cette méthode de cuisson se retrouve dans plusieurs pays : Pakistan, Bangladesh, Iran, Turquie, Afghanistan, dans la région du Caucase, les Balkans, au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Brochettes piquées dans le foyer et appuyées contre la paroi du four. ©Foodista
Brochettes cuites à la verticale ©Season with Spice

Dans les régions méridionales d’Asie, la viande ou le poisson sont cuits au barbecue ou parfois selon la méthode maya, dans la terre sur un foyer. En Indonésie, les pepes ikan sont des morceaux de poissons ou des poissons entiers accompagnés de condiments et d’épices placés dans des feuilles de bananier que je ne saurais trop de recommander si par bonheur tes pas te mènent dans ces régions hospitalières.

Pepes ikan, spécialités indonésiennes de poisson au barbecue © ulianwarblog
Pepes ikan, spécialités indonésiennes de poisson au barbecue © ulianwarblog

Des morceaux de poissons et des aromates sont placés à l’intérieur de feuilles de bananier puis les feuilles sont pliées et placées sur un gril. Les pepes ikan cuisent ainsi doucement en absorbant les arômes des feuilles pour donner plus de saveur au poisson.

Bulgogi coréen. Un brasier est placé sous la partie centrale et bombée puis la nourriture à cuire sur le dessus. © Healthy food recipes to gain weight
Bulgogi coréen. Un brasier est placé sous la partie centrale et bombée puis la nourriture à cuire sur le dessus. © Healthy food recipes to gain weight

Au Japon, le yakiniku – littéralement « viande grillée » – est particulièrement apprécié pour la cuisson du bœuf mariné.

Excepté que cette technique n’est peut-être pas complètement japonaise. Dans l’archipel, la consommation de viande de bœuf fut longtemps interdite et cette prohibition seulement abolie en 1871. Bien entendu, les Japonais ont pu cuire sur le hibachi (le gril) d’autres mets que le bœuf mariné mais sans doute, rendons à César ce qui lui appartient, la célèbre spécialité nippone doit probablement beaucoup aux bulgogi coréens.

Hibachi japonais en bronze à motifs chinois. Circa 1890 © Edo Arts
Hibachi japonais en bronze à motifs chinois. Circa 1890 © Edo Arts

Durant la première moitié du XXe siècle, une importante communauté coréenne s’installe au Japon, important transmettant ses traditions culinaires aux insulaires (par ailleurs peu accueillants mais c’est un autre sujet). Le bulgogi coréen, une grillade de viandes marinées, le plus souvent du bœuf ou du porc, prend donc peu à peu ses quartiers au Japon. Quoi qu’il en soit, notons la semblable particularité des barbecues, aussi bien japonais que coréens, dont le gril et le foyer sont le plus souvent placés au centre de la table, même en intérieur !

Hibachi japonais en bois et métal. Les braises étaient placées dans le compartiment de métal et une grille placée au-dessus. Circa 1890 © Pamono
Hibachi japonais en bois et métal. Les braises étaient placées dans le compartiment de métal et une grille placée au-dessus. Circa 1890 © Pamono

Je t’épargnerai ici les artefacts démesurés de la culture américaine en matière de BBQ, tradition culinaire pratiquement élevée au rang de symbole patriotique et d’art de vivre. En revanche, jetons un œil ému sur nos joyeuses contrées européennes où l’inventivité le dispute à la légèreté.

Gril portatif de campement militaire américain, XVIIIe siècle Morristown National Historical Park, États-Unis ©Morristown National Historical Park
Gril portatif de campement militaire américain, XVIIIe siècle Morristown National Historical Park, États-Unis ©Morristown National Historical Park

Qui d’autre que Saint Laurent de Rome (circa 210 – 258) pour vanter les mérites de tes meilleurs souvenirs de repas estival et familial ? Ce saint martyrisé à Rome fut attaché à un gril puis cuit à petit feu jusqu’à ce que mort s’en suive. Ce gril allait connaître une destinée inattendue en devenant l’attribut de Saint Laurent de Rome, objet grâce auquel on le reconnaît à coup sûr dans les œuvres d’art religieux.

Te voilà toujours doutant du second degré insoupçonné de l’Église catholique, et pourtant… Bien après son martyr, Laurent de Rome fut fait Saint patron des cuisiniers et des rôtisseurs ! Alors ? L’inventivité ne le dispute-t-il pas à la légèreté là ?!

Le Martyre de Saint Laurent par Le Bernin. Réalisé entre 1613-1617 et exposé à la Galerie des Offices à Florence © Valéry Hugotte
Le Martyre de Saint Laurent par Le Bernin. Réalisé entre 1613-1617 et exposé à la Galerie des Offices à Florence © Valéry Hugotte
  • AUBERGER Janick. Malheur à celui qui « fait fête aux viandes et au vin délicieux… ». In: Φιλολογία. Mélanges offerts à Michel Casevitz. Lyon : Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2006. pp. 45-55. (Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique, 35)
  • DUMAS Cécile, L’homme faisait-il griller la viande il y a un million d’années ? In Sciences et Avenir, le 4 avril 2012.
  • SORDI Michele M., Grain and Glory : Eating Practices in Homer’s Iliad, University of California, Santa Cruz
  • TOCZYSKI, Suzanne. “Jean-Baptiste Labat and the Buccaneer Barbecue in Seventeenth-Century Martinique.” Gastronomica, vol. 10, no. 1, 2010, pp. 61–69. JSTOR
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