Thème sensible pour de nombreuses municipalités, la crèche de Noël n’est pourtant qu'un amas grossier de rituels puisés ça et là dans les traditions païennes avant d'être recouvert d'un vernis monothéiste. Ironie de l'histoire, c'est en partie en réaction à l'anticléricalisme révolutionnaire qu'apparaissent les premières crèches et santons.

Berger endormi sur un tertre entouré de moutons, terre cuite polychrome. Naples, XVIIIe siècle ©Daguerre OVV

Réaffirmons une évidence nécessaire à la compréhension de cette histoire : les chrétiens ne furent jamais amateurs de polythéisme. Certains l’eurent tellement en horreur qu’ils préférèrent se faire dévorer par des lions plutôt que de rendre hommage à des dieux vivants à moitié nus et déclenchant systématiquement un désordre invraisemblable dès que leur prenait l’envie d’interagir avec les mortels.

Les Chrétiens se désintéressaient dédaigneusement de cette pléiade gréco-romaine pour la bonne et simple raison qu’ils étaient parvenu à synthétiser toutes ces caractéristiques païennes en un seul et même individu, lui-même peu porté sur les vêtement et responsable de troubles historiques sur la voie publique : Jésus.

Malgré de notables frictions avec les institutions et la population païenne antique, les amateurs de baignade en eau sainte et fondateurs de cette nouvelle église chrétienne parvinrent vaille que vaille à propager l’idée du Dieu unique avec le succès qu’on connaît.

Paire de santons Napolitains. Têtes en terre cuite peinte. Bois sculpté et laqué et tissu. Fin XVIIIe siècle © Hôtel de ventes d'Avignon
Paire de santons Napolitains. Têtes en terre cuite peinte. Bois sculpté et laqué et tissu. Fin XVIIIe siècle © Hôtel de ventes d'Avignon

Avec la même véhémence qu’un Start-upper, la jeune secte disrupta la forme des rites païens en en changeant le fond mais en prenant soin d’en conserver la forme. L’objectif larvé était d’entériner en douceur (pour un temps) la nouvelle croyance monothéiste sans bouleverser les habitudes rituelles ancrées depuis plusieurs siècles. Cette technique consistant à assimiler des croyances différentes pour nourrir l’avènement d’un culte majoritaire porta bientôt ses fruits. Avec un business plan aussi affuté que la lame d’un Croisé à Constantinople, les Chrétiens étaient en train de nous faire une Google : une monopolisation de l’espace rituel aussi perfide qu’inexorable.

Les grandes fêtes romaines antiques célébrant le solstice d’hiver – les Saturnales – rendaient hommage au Sol Invictus, traduction latine du « soleil invaincu », soleil qui – malgré les profondes ténèbres du mois de décembre – réapparait finalement, ragaillardi et bien déterminé à prendre l’ascendant sur la nuit. Or l’Ancien Testament qualifie le messie à venir de « Soleil de Justice » :

On prétendait que sa naissance devait coïncider avec le début d’un nouveau cycle solaire, c’est-à-dire le solstice d’hiver.

Histoire Véridique du Père Noël, p.163. Voir la bibliographie

Chameau, terre cuite et tissu. Naples XVIIIe - XIXe siècle © Delorme & Collin du Bocage OVV.
Chameau, terre cuite et tissu. Naples XVIIIe - XIXe siècle © Delorme & Collin du Bocage OVV.

Sans ambages, Jésus s’accapare ainsi les prérogatives autrefois liées aux cultes païens. Il est une personnification du retour de la lumière, et in fine de la vie, synonyme d’abondance et de joie. Lorsque le 6 janvier, nous fêtons l’Épiphanie de Jésus (de l’adjectif epiphanios : brillant, éclatant), nous ne nous embarrassons pas des détails de l’histoire car ce terme célébrait précisément à l’époque romaine les douze dieux de l’Olympe qui se devaient d’être honorés… le 6 janvier. Coïncidence ? Évidemment non.

Les santons apparaissent pour la première fois en Italie et sont désignés sous le nom de Santi Belli.

La Vierge Marie et saint Joseph. Terre cuite peinte au naturel,
yeux en verre, fin XVIIIe – début XIXe siècle © Fraysse & Associés OVV

La Vierge Marie et saint Joseph. Terre cuite peinte au naturel, yeux en verre, fin XVIIIe - début XIXe siècle © Fraysse & Associés OVV

Les Chrétiens ne se contentèrent pas de détourner les célébrations de leurs anciens oppresseurs. La scène de la crèche est une expropriation culturelle remarquable composant avec les sensibilités de chacun. La démarche est opportuniste mais il semble que personne n’ait eu son mot à dire.

Ainsi la crèche entre en scène dans l’histoire lorsque Marie et Joseph, peu prévoyants et confrontés à une pénurie d’Airbnb, ne trouvent pour refuge qu’une étable : c’est la métaphore du dépouillement de l’hiver. Marie, enceinte jusqu’aux yeux par un miracle qui ne se reproduira pas lors de la naissance des frères et sœurs de Jésus, accouche dans des conditions d’hygiène rudimentaires et couche son enfant dans une mangeoire remplie de paille. Les mêmes tiges séchées des dernières récoltes – celles utilisées pour fabriquer des Joulupukki – qui, placées dans la mangeoire, ne sont rien moins qu’une promesse d’abondance.

Enfin le bœuf et l’âne auxquels ont été par la suite attribuées toutes sortes de symboliques chrétiennes sont avant tout deux animaux dont la symbolique universelle est encore vivante à la fin de l’Antiquité. Le bœuf qu’il faut assimiler au taureau est considéré dans les sociétés humaines comme un principe de génération : il est la force sexuelle, le vivant emblème de la fertilité, reconnu et respecté dans les cultures antiques, de l’Égypte aux terres froides du nord de l’Europe.

L’âne est déjà durant l’Antiquité le compagnon de travail des classes populaires. Il est aussi courageux et déterminé qu’on lui prête la réputation d’être stupide et obstiné. Mais on le décrit aussi comme patient et fidèle.

Réunis près du Christ, le bœuf et l’âne sont la promesse de jours glorieux s’ils parviennent à s’entendre et à équilibrer leurs force et caractère pour servir leur seigneur. Rattachés aux symboles de l’étable, de la paille et de la mangeoire, ces deux animaux ancrent un peu plus dans cette scène l’idée du Sol Invictus et des autres traditions païennes liées aux célébrations du solstice d’hiver. Si ce n’est que dans ce cas, Jésus incarne en toute modestie la lumière salvatrice.

Au Moyen-Âge, cette scène de la crèche était jouée par des acteurs sur le parvis des églises, c’était une des représentations très appréciées de ce que l’on nommait les Mystères, un genre théâtral interprétant des histoires et des légendes parmi lesquelles des épisodes bibliques.

Cette tradition très vivante au Moyen-Âge perdura tant bien que mal jusqu’à l’époque révolutionnaire, époque peu encline à apprécier les subtilités d’une religion dont les représentants étaient accusés – souvent à juste titre – de se servir grassement et depuis bien trop longtemps sur le dos de leurs ouailles amaigries. Durant cette période tourmentée, les célébrations religieuses entraînaient ainsi plus souvent la mort que la rédemption (surtout pour les officiants réfractaires à tout changement) L’ambiance n’était plus aux Mystères.

Santon napolitain. Tête en terre cuite peinte. Bois sculpté et laqué et tissu. Fin XVIIIe siècle © Hôtel de ventes d'Avignon
Santon napolitain. Tête en terre cuite peinte. Bois sculpté et laqué et tissu. Fin XVIIIe siècle © Hôtel de ventes d'Avignon

Mais il en va ainsi chez l’humain qu’il est bien difficile de le faire déroger à ses petites habitudes. Et, de la même manière que Kant était solidement attachée à sa promenade quotidienne à heure fixe, on vit sporadiquement des volontés de faire revivre ces Mystères médiévaux et en particulier cette scène de la naissance du Christ.

Les premiers santons de Provence (santoun en provençal signifie « petits saints ») apparurent au gré de la circulation des traditions, empruntant à celle napolitaine des Santi Belli. En France, il furent s’abord réalisés en mie de pain avant d’être fabriqués en argile crue puis en argile cuite.

Un temps concurrencés par les santibelli italiens, les santons de Provence s’imposèrent finalement dans les crèches françaises notamment grâce à Jean-Louis Lagnel (1764-1822). Ce santonnier s’inspira des tenues de ses proches et de ses voisins pour façonner des santons qui devinrent les modèles incontournables de nos santons contemporains. C’est la raison pour laquelle la plupart des personnages sont encore aujourd’hui vêtus à la mode en vogue sous le règne de Louis-Philippe (1773-1850).

Les noms changent mais l’habit ne faisant pas le moine, force est de constater que nous célébrons encore aujourd’hui toujours les mêmes rites païens antiques.

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Grand santon de crèche napolitaine. Perruque, mains et jambes en bois peint au naturel, les yeux sont en verre. Habits anciens. XVIIIe siècle. (hauteur : 38 cm) © De Baecque et associés
  • BERTRAND R., Quand les santons entrent au musée… La collection de Jean-Amédée Gibert, Édisud, Marseille, 2003
  • UELTSCHI K., Histoire véridique du Père Noël, du traineau à la hotte, Imago, Paris, 2012