Dans le nord-est de la France, le flâneur curieux découvre dans les noms des biscuits de Noël un réconfort qu'il ne pressentait par s'accorder à la langue teutonne. Histoire des moules à springerle.

Baptisés d’un nom dont la traduction serait « bondissant » ou « sautant », les biscuits ont l’étymologie belliqueuse et aiment à faire s’affronter deux camps, avec la hargne proverbiale des cercles intellectuels et chauvins de nos provinces françaises.

L’opiniâtreté de chacune des parties en présence n’a d’égale que la longévité du conflit qui les oppose. La première voit dans le nom des springerle un lien étroit avec le motif qu’on y imprime le plus souvent : un cavalier à cheval. L’autre partie, qui ne cache pas son mépris pour la première, considère que le springerle ne doit son nom qu’à la montée de la pâte qui le constitue, pâte jaillissant peu à peu du moule après qu’on l’ait versée dans ce dernier.

Cette querelle ne connaît ni fin ni repos et plonge régulièrement le pays tout entier dans un séparatisme des plus clivants.

Fruits et noix, moule à springerle allemand milieu XVIIe / début XVIIIe ©The Springerle Baker
Fruits et noix, moule à springerle allemand milieu XVIIe / début XVIIIe ©The Springerle Baker
Moule à biscuit springerle en bois fruitier, XIXe siècle.
Moule à biscuit springerle en bois fruitier, XIXe siècle.

On aurait pu penser pourtant que le temps adoucirait les mœurs ; car le springerle n’est pas un jeune premier en matière pâtissière. La fabrication de ces gâteaux est attestée depuis le XIIIe siècle dans le sud et le sud-ouest de l’Allemagne et dans l’est de la France. Certains moules découverts furent même datés du Moyen-Âge. Leur longévité tient au matériau dont ils sont faits.

Pour fabriquer ces objets, les sculpteurs préféraient en général le bois de poire pour sa résistance. Le temps ne leur donna pas tort et le bois résista. Aujourd’hui, ces moules sont de véritables raretés âprement recherchées par les collectionneurs. Comme c’est la cas pour la plupart des objets populaires – à de rares exceptions près – aucun des moules à springerle n’est signé.

Au Moyen-Âge, les motifs religieux dominent la production de ces moules et participent à l'éducation de ceux qui ne maîtrisent ni la lecture ni l'écriture. À partir du XVIIIe et XIXe siècles, les faveurs vont aux sujets de la vie quotidienne : activités artisanales, animaux, personnages du folklore sont fréquents.Une pratique consiste même à s’échanger les moules à springerle comme on s’échangerait aujourd’hui des cartes de collection.

Moule à springerle. Aucune datation disponible © Westport Auction

Quant aux gourmandises qu’ils permettent de confectionner, il s’agit de biscuits sablés parfumés à l’anis. Depuis l’Antiquité, l’anis vert est apprécié pour ses propriétés stimulantes et digestives, propriétés largement diminuées si on les noie dans le beurre, comme c’est l’usage dans les moules à springerle, mais passons.

Moule en bois fruitier pour biscuits de Noël Springerle.
Moule en bois fruitier pour biscuits de Noël Springerle.

L’anis est un incontournable de la pharmacopée médiévale ; de nombreuses recettes de biscuits l’emploient et figurent d’ailleurs dans des ouvrages de la Renaissance, comme celui de Thomas Dawson, The Good Huswifes Jewell, publié à Londres en 1585.

Ingrédient longtemps luxueux car lointain – comme les épices du vin chaud – l’anis était parcimonieusement utilisé pour parfumer les springerle, uniquement confectionnés entre le mois de décembre et le début du mois de janvier.

Les moules à springerle sont aujourd’hui de précieux outils permettant d’approfondir la connaissance de la culture populaire entre l’époque médiévale et le début du XXe siècle. Ils reflètent à la fois la vie quotidienne et la religion dans une région géographiquement bien définie ; une mine d’or aussi enrichissante qu’elle est savoureuse si le chercheur curieux décide de passer de l’étude à l’action.

Moule en bois fruitier pour springerle.
Moule en bois fruitier pour springerle.
Moule en bois fruitier pour springerle.
  • Chevalier Auguste. Notes sur l'Anis vert et sur l'Anis étoile ou Badiane. In: Revue de botanique appliquée et d'agriculture coloniale, 23ᵉ année, bulletin n°266-268, Octobre-novembre-décembre 1943. pp. 317-326.
  • Flandrin Jean-Louis. Le sucré dans les livres de cuisine français, du XIVe au XVIIIe siècle. In: Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 35ᵉ année,1988. pp. 215-232.
  • Laget Mireille. Les livrets de santé pour les pauvres aux XVIIe et XVIIIe siècles. In: Histoire, économie et société, 1984, 3ᵉ année, n°4. Santé, médecine et politiques de santé. pp. 567-582.
  • http://www.musee-sceau.com