L'origine des feux d'artifices n'est pas aussi festive qu'on pourrait l'imaginer. Invention chinoise, le feu d'artifice a vocation à éloigner les mauvais esprits avant même d'éloigner les ennemis. Histoire de la première arme à feu.

Une erreur paradoxale

Comme d’autres d’inventions bruyantes, le feu d’artifice fut inventé par des enfants ayant à cÅ“ur de pourrir la vie de leurs parents. Des enfants chinois qui portaient haut les valeurs de leur culture avec le goût de l’expérimentation, de la découverte (et du bruit) dans le sang, et ce dès le plus jeune âge.

Comme chacun le sait, le bambou est à la Chine ce que les rats sont à Paris, une omniprésence devenue aussi bien séculière que familière. À l’inverse des rats néanmoins, le bambou chinois sert un large éventail d’usages depuis fort longtemps.

Tes riches connaissances botaniques qui ne souffrent pas la comparaison d’un Jean Nicolas Collignon   (1762 – 1788) trouvent sans doute redondante c’est précision évidente : le bambou est un végétal robuste dont l’intérieur creux est conséquemment rempli d’air.

Loin de moi l’idée de remettre en question tes connaissances en physique, mais rappelons un principe simple : l’air froid lorsqu’il est chauffé se dilate et prend donc plus d’espace que l’air froid. L’air emprisonné dans le bambou, s’il est chauffé, va donc se dilater à tel point que le végétal ne pourra plus le contenir et finira par exploser. Ainsi naquit le premier pétard de l’humanité. Ce phénomène semble avoir été découvert autour de 200 avant notre ère et fut nommé bàozhú (de bàozha qui signifie « exploser » et de zhu qui désigne « bambou »).

Jeune garçon plaçant un chapelet de pétards dans la gueule d'un monstre dragon évoquant Nian. Nouvel an 1937. © Carbonated sur Flickr

Aux alentours de l’an 800 de notre ère, le bàozhú entend servir une toute nouvelle cause. Alors que l’alchimiste européen s’échine à trouver la pierre philosophale qui transformera les métaux en or et prolongera opportunément sa misérable vie déjà ruinée par l’utilisation excessive de mercure, le Chinois lui, homme raisonnable, s’obstine à rechercher l’élixir d’immortalité.

Plusieurs pistes de recherche s’offrent à lui mais l’alchimiste noichi consciencieux se concentre intelligemment sur des matériaux présentant de curieuses propriétés : l’or qui ne ternit jamais, le mercure qui est un métal liquide ou le sulfure capable de s’enflammer.

Parallèlement, l’alchimiste chinois maîtrise avec brio les effets du salpêtre – tous les manuels d’alchimie de la dynastie Tang (618 – 907) mentionnent sa préparation. Ce must-have de l’alchimiste néophyte ou aguerri est de tous les laboratoires dignes de ce nom.

Le salpêtre est un nitrate de potassium prenant la forme de cristaux blancs apparaissant sur les murs humides ou sur certains sols ; il sert alors comme engrais ou comme conservateur de produits alimentaires. Autrement dit, le salpêtre aide ou « prolonge » la vie des végétaux et des aliments. Le Chinois fin observateur ne s’y trompe pas, il s’agit là d’une piste majeure, il en est convaincu, menant tout droit vers l’immortalité. Le voilà qui mélange donc le salpêtre avec du sulfure. Et du carbone sous forme de miel séché. Puis, après quelques essais infructueux, le miracle se produit enfin : l’alchimiste chinois fait exploser l’entièreté de son laboratoire, amère leçon rappelant au téméraire que la mortalité et la finitude des choses sont encore règle d’or en ce bas monde.

L’alchimiste chinois – survivant ou pas – vient de créer la poudre noire, le plus ancien explosif chimique et le seul connu jusqu’au milieu du XIXe siècle, avant qu’on ne découvre les horizons étincelants et prometteurs de la nitroglycérine et de la nitrocellulose. La plus ancienne recette connue apparaît tardivement dans un manuel militaire chinois imprimé en 1044 bien que l’existence de la poudre noire soit attestée depuis longtemps déjà.

Illustration d’une bombe à fragmentation du XIVe siècle. Extraite du livre Huolongjing de la dynastie Ming. Les points noirs représentent les billes de métal expulsées lors de l’explosion de la bombe.

En plaçant un peu de cette poudre dans un bambou ensuite jeté au feu, le feu d’artifices n’en est qu’à ses débuts. Si au contraire la dose de poudre incorporée au bambou est grasse et généreuse, il faut apprécier la création de la toute première bombe artisanale made in China.

Trois grenades explosives de la dynastie Ming. Terre cuite, district de Jizhou, Tianjin. Musée de la Grande Muraille de Chine à Beijing

L'usage de la poudre noire s'étendit rapidement à l'art de la guerre mais ce ne fut pourtant pas son premier usage.

Canon à main de la période Chong, Chine. Daté de 1424. © MET Museum

La thérapie "sons et lumières"

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le premier usage de la poudre noire dans son étui de bambou ne fut pas de cramer le quidam offensant et à l’impudence crasse, en désaccord avec les Chinois. Ces derniers, sages mais superstitieux – comme les sont d’ordinaire les humains d’antan – s’en servirent d’abord pour effrayer les mauvais esprits, une préoccupation majeure en Chine et ailleurs. Car en plus d’être effrayants, les mauvais esprits sont néfastes et occasionnent de graves maladies ou malédictions qui vont notoirement à l’encontre de la recherche de l’immortalité.

Tandis que les esprits bénéfiques de la culture chinoise visitent la Terre en profitant de la lumière du soleil, les esprits néfastes kouaï ne se déplacent que dans l’ombre. Plus l’endroit est ténébreux, isolé ou désert et donc silencieux (c’est important), plus les kouaï sont audacieux et moins l’envie de croiser leur chemin se fait ressentir.

Or d’après le Yi-Jing (易經), le Livre des Mutations (un corpus de divination de la Chine antique)  – dont tu as déjà vu le schéma sur des housses de canapés moches sans savoir ce que c’était – propose une solution pour se prémunir de ces êtres malfaisants qui, manifestement, ne sont pas de « belles personnes ».

Yi Jing "Le livre des mutations" © Jardin de Chine

D’après le Yi-Jing, les esprits bénéfiques procèdent du principe mâle de la vie Yang qui est l’éclair (la lumineuse force indivisible) tandis que les esprits malfaisants sont issus du principe femelle Yin, l’ombre, que Yang traverse et féconde. Ainsi, la lumière Yang peut traverser et « transformer » l’ombre Yin. En prenant exemple sur ce Yang capable de traverser et de transformer le Yin, le feu d’artifice très lumineux (Yang) trouva naturellement son utilité première dans sa capacité supposée à faire fuir les esprits malfaisants (Yin) tapis dans l’ombre.

Feu d'artifice du Nouvel An chinois. © Thing Link

Jeter au feu un bambou rempli de poudre noire, c’est créer de la lumière dans l’obscurité – le principe du feu d’artifice – et troubler violemment le silence angoissant des lieux déserts dans lesquels s’épanouissent les kouaï.

La technique semble avoir été pertinente puisque l’objet en bambou fut bientôt remplacé par du papier dans lequel on déposait un peu de poudre noire avant de jeter l’ensemble au feu. Les premiers feux d’artifices ne furent donc pas aériens et leur utilité s’appuyait sur des croyances et des superstitions. Les Chinois les utilisèrent d’ailleurs lors des mariages et des naissances pour porter chance aux héros du jour. Aujourd’hui, la tradition perdure toujours.

Les feux d’artifices en Chine au IXe siècle étaient par conséquent très différents de ceux auxquels nous sommes habitués. On est d’ailleurs encore loin des gerbes d’étincelles colorées. Mais cette pratique s’est transmise intacte dans la célébration du Nouvel An chinois en s’appuyant sur la légende du terrible Nian.

Nian le terrible, monstre terrifiant résidant toute l’année au fond de la mer, émergeait la dernière nuit du dernier jour de l’année et s’en allait dévorer bétail et hommes pour son unique festin de l’année, une sobriété décroissante qui n’émut nullement ses contemporains humains de l’époque. Le dernier soir de la douzième Lune, les gens s’enfuyaient dans les montagnes, espérant échapper au monstre. Un jour pourtant un vieillard engagea les habitants à se défendre et à lutter contre le monstre, idée contre laquelle ils n’étaient pas fondamentalement opposés mais qui se heurtait à un cruel manque de pratique.

Le vieillard, en fin observateur que sont les personnes à la retraite, n’avait pu que constater l’aversion et la peur des bêtes prises entre le bruit et (la fureur) le feu. Le désÅ“uvrement inhérent à sa condition lui laissa tout le loisir d’élaborer un stratagème pour effrayer Nian.

À la nuit tombée, au soir fatidique, les villageois illuminèrent leur village de milliers de lanternes, éclairant également chaque pièce de leurs maisons avant que Nian ne sortit de la mer pour se ruer vers le village. Parvenu à l’orée du village, les lumières brûlèrent les yeux du monstre. Hors de lui, les yeux aveuglés par cette désagréable surprise, le monstre chargea les maisons. Le vieillard téméraire surgit alors devant lui, brandissant devant le monstre un long bambou qu’il enflamma rapidement. Le bambou rempli de poudre noire explosa dans un bruit assourdissant, terrorisant Nian qui, affamé autant qu’il était apeuré, retourna fissa dans les abysses océanes.

Trois lanceurs à feux d'artifices en fer. Chine, XIXe siècle. © Be Primitive

Depuis lors, Nian signifie « année » car la veille du Nouvel An scande le souvenir de ce monstre terrifiant vaincu par le bruit et la lumière. Par tradition (et peut-être aussi par superstition) chaque famille illumine sa maison à cette occasion, s’amusant à faire pétarader les petits explosifs rouges vendus dans tous les commerces et supposés auspicieux.

Allumer le feu, un art martial chinois

Une fois que les Chinois eurent réglé leur compte aux kouaï, ils s’occupèrent de leurs ennemis naturels. Avant même le début du XIe siècle, la Chine possédait déjà un bel arsenal de bombes. Et si ces dernières étaient relativement grossières, souviens-toi qu’en ces temps-là, les combats étaient somme toute assez silencieux. Exceptés les gémissement lancinants des mourants et des blessés, les bruits des armes s’entrechoquant, les champs de bataille n’étaient pas aussi bruyants que ceux qui forment le souvenir douloureux d’un passé encore proche.

Or l’arrivée d’une arme explosant dans un bruit dont le volume sonore n’avait sûrement jamais été atteint auparavant avait de quoi faire flipper les forces opposées. D’autant que les Chinois – qui eurent toujours le goût du spectaculaire et de l’innovation – accrochaient également de petits pétards à leurs flèches. Douce mélopée meurtrière que ce « son et lumière » d’un genre inconnu jusque là.

La mise au point de projectiles explosifs ouvrit la voie à un certain nombres d'inventions dans le domaine de la poliorcétique pour de nombreuses cultures asiatiques.

Détail d’un canon birman (1771-1799) © Royal Armouries Collections
Détail d'un canon birman (1771-1799) © Royal Armouries Collections

La belle bleue !

La poudre noire et son utilisation militaire ou « festive » – avis laissé au jugement de chacun – s’exporta finalement grâce aux Mongols qui subirent l’invention avant de se délecter de la faire subir à d’autres. Petit à petit, la poudre se répandit d’Asie en Europe avec le succès qu’on lui connaît, développant l’inventivité chez beaucoup d’enthousiastes des nouvelles technologies.

Il faut attendre la première moitié du XIXe siècle italien pour voir apparaître les premières fusées colorées bien que quelques expériences aient eu lieu dès le début du XVIIe siècle. Dans le cadre de spectacles pyrotechniques, la fusée se présentait sous la forme d’un cône dont la base contenait de l’essence et l’extrémité était remplie de petites boules faites de produits chimiques – des poudres métalliques nécessaires pour produire la couleur – et d’une charge explosive, de la poudre noire.

Feu d'artifices donné le 15 mai 1749 sur la Tamise en l'honneur du Duc de Richmond.

Lorsqu’un élément brûle, il dégage une énergie sous forme de lumière. Si ton attention en classe était  aussi inébranlable que tu l’affirmes, ce qui suit ne sera pas une découverte mais d’insipides évidences qui ne font qu’ajouter à la longueur de cet article. Puisque que tous les éléments ne brûlent pas de la même manière, l’énergie dégagée varie selon le matériau et, de fait, les longueurs d’ondes lumineuses émises sont différentes. En choisissant soigneusement les éléments métalliques en fonction de la longueur d’onde qu’ils dégagent en brûlant, on obtient une couleur du spectre lumineux.

Les éléments composés de strontium et de lithium produisent du rouge, le cuivre produit du bleu. Le titane et le magnésium permettent d’obtenir de l’argent ou du blanc, avec le calcium on obtient de l’orange, avec du sodium du jaune et avec le barium du vert.

En adaptant judicieusement cette connaissance à l’art des explosifs, les pyrotechniciens obtinrent toute une gamme de couleurs propre à enchanter les nuits estivales de spectacles lumineux sur des musiques de Jean-Michel Jarre.

Anciens feux d’artifices chinois. XIXe siècle © Enabdullahu

Aujourd’hui la ville de Liuyang dans la province de Hunan est la plus grosse productrice de feux d’artifices au monde. Il y a de fortes chances pour que la plupart des feux d’artifices que tu as vu dans ta vie aient été mis au point en Chine. On ne rigole pas avec ce business dans l’Empire du Milieu, particulièrement à Liuyang. La ville fournit près de 60% des 600 millions de dollars annuels que rapporte l’exportation chinoise de feux d’artifices dans le monde.

On notera tout de même l’ironie de l’histoire : la poudre noire nécessaire au développement des feux d’artifices fut avant tout une des premières armes chimiques mortelles quand son inventeur cherchait désespérément à vivre éternellement. BOOM.