Le cadeau de Noël unique, parfait - d'aucuns diraient "divin" - se trouve dans une humble petite chose. Néanmoins, il faut autant de témérité que de génie pour oser l'offrir.  Et j'entends que ce terme de génie ne soit pas ici galvaudé.

En 1610, la fête de Noël n’existe pas à proprement parler mais les étrennes en sont l’ancêtre élégant. Cette tradition antique rythme aussi sûrement la succession des années qu’elle assèche les cassettes et autres menues économies, si bien que seuls les pécores en sont – de fait – exemptés.

Ainsi, au cœur des cours royales d’Europe, les aristocrates ne regardent pas la dépense si tant est qu’ils l’aient jamais regardée. Les rivalités de cours occupent passionnément ces personnages désœuvrés aussi bien que les iPad occupent la cervelle molle des enfants du XXIe siècle. Et chacun de minutieusement s’engluer dans de dispendieux présents : bijoux raffinés, étoffes délicates, tableaux de maîtres ou œuvres érudites s’échangent à la vue de tous.

Rares sont les cadeaux désintéressés et cette redoutable période rebat en partie les cartes des hiérarchies sociales de l’année à venir tout en couronnant les grands vainqueurs de l’année passée. Parfois pourtant, certaines âmes tiennent à allier l’utile à l’agréable et entendent éblouir l’esprit de protecteurs puissants et régulièrement doctes sans avoir à vider leur livret A.

Photographie d'un flocon de neige par Wilson Bentley (1865 - 1931).
Photographie d'un flocon de neige par Wilson Bentley (1865 - 1931).

À la cour de Prague, le mathématicien Johannes Kepler (1571 – 1630) réussit le pari d’émerveiller les oisifs les plus riches du royaume en ne déboursant pas un seul thaler. À son ami et protecteur Matthäus Wacker von Wackenels (1550 – 1619), conseiller à la cour de sa majesté Rudolf II (1552 – 1612), Kepler offre une curieuse étrenne : un flocon de neige.

Kepler allia-t-il l’art savant des mathématiques à une pingrerie maladive ? Rien de cela. Kepler adopta une échelle de richesse inédite à l’époque, celle de l’Univers.

Un livret de 24 pages accompagnait l’inhabituel présent. Écrit dans un latin plein d’humour pour qui savait le lire, ponctué de jeux de mots désopilants et d’une légèreté seyant à l’esprit de fête qui rimait avec cette époque de l’année, Kepler présenta et justifia dans ce texte le choix de ce cadeau au puissant conseiller de Rudolf II :

Je sais bien à quel point vous appréciez le Rien. Et donc je peux facilement dire qu’un cadeau vous fera d’autant plus plaisir qu’il se rapprochera de rien.

Or Kepler a entrevu dans le flocon de neige :

une étrenne des plus désirables pour l’amoureux du Rien, digne aussi d’un mathématicien, puisqu’elle descend du ciel et ressemble à une étoile.

Une si charmante introduction semblerait anodine si Kepler ne démontrait pas habilement à Matthäus Wacker von Wackenels que son cadeau bien insolite n’était rien de moins qu’une réflexion sur la structure de la matière, un sujet qui fascinait alors le génial mathématicien.

Pour aborder ce problème avec autant de clarté que possible, il amorce son discours par l’étude de la forme hexagonale des flocons de neige car, tout comme Platon (Tonpla comme dirait Voltaire), Kepler pense que c’est la géométrie qui rend compte de l’univers.

Wilson Bentley (1865 - 1931), fermier américain passionné de photographie, fut le premier à immortaliser ces petits éléments gelés. Il réalisa plus de 5000 microphotographies de flocons de neige tout au long de sa vie.

Photographie d’un flocon de neige par Wilson Bentley (1865 – 1931) © Carl Hammer Gallery / Wilson Bentley

Photographie d'un flocon de neige par Wilson Bentley (1865 - 1931). Fermier américain passionné de photographie, il réalisa plus de 2000 microphotographies de flocons de neige © Carl Hammer Gallery / Wilson Bentley

À travers deux conjectures (c’est-à-dire des hypothèses sans démonstration, puisque le livret est sensé être un cadeau, pas une abstruse et angoissante épreuve de Math Sup), Kepler indique que la forme hexagonale est celle qui permet d’occuper un maximum d’espace en utilisant un minimum de matière. La forme du flocon de neige intègre ainsi une réflexion plus générale sur la forme de la matière qui structure l’univers.

Dans la pensée de Kepler, offrir un éphémère et infime flocon de neige à son protecteur, c’est lui offrir ni plus ni moins que l’Univers tout entier. Et si le défi ne t’effraie pas, je t’invite à découvrir ce texte remarquable de l’histoire des sciences en cliquant ici. 

Cette idée de cadeau si elle est économique – mais précaire, ses heures sont comptées à l’aune du réchauffement climatique – exige de manier aisément des concepts mathématiques d’une difficulté redoutable. Ce présent ne supportera donc rien de moins que d’être offert à la seule condition que tu sois un génie. Ou un hypersensible bienveillant en pleine conscience empathique de ta race.

  • AMEISEN J.C., Sur les Épaules de Darwin, Je t’offrirai des spectacles admirables, Les Liens qui Libèrent / France Inter, Paris, 2013
  • Johann Kepler, L'étrenne ou la neige sexangulaire, trad. Robert Halleux. In: Revue d'histoire des sciences, tome 30, n°2, 1977. pp. 174-175.
  • LUMINET J.P., Illumination, Cosmos et Esthétique, Odile Jacob, Paris, 2011