Cette superbe « Nature morte aux boules de billard » faite par moi-même avec une humilité remarquable ne saurait pourtant camoufler le fait qu’il y a encore une semaine, j’étais aussi renseignée sur le jeu de billard qu’une palourde sur le système de télépéage.Faisons donc le point sur la boule de billard, secteur de niche s’il en est.

Croquet d'Intérieur

Dès l’époque romaine, le poème nommé Nux (« Le Noyer ») est attribué avec plus ou moins d’assurance à Ovide (43 avant J.C. – 17 ou 18 après J.C.) et évoque des jeux similaires à celui du billard. Dans cette élégie, un noyer évoque ses propres malheurs, notamment celui de se faire voler ses fruits pour servir les jeux des enfants. Ces jeux consistent à dégommer une file de noix en y projetant avec habileté une autre noix.

Le croquet médiéval semble par la suite être le concurrent le plus sérieux pour le titre d’ancêtre du billard. Joué en extérieur par les aristocrates (parce que les pécores ont suffisamment de quoi s’amuser avec le travail de la terre et la peste), le croquet supporte difficilement le mauvais temps ce qui contrarie rapidement ses adeptes.

Ni une ni deux, une version « d’intérieur » fut créée. Ainsi, vers le XVe siècle, de grandes tables faites de dalles de pierre recouvertes de tissu apparaissent dans les demeures des plus aisés. Ce plateau de jeu géant est l’ancêtre du billard tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Les boules utilisées sont le plus souvent en bois ou en ivoire. Elles mesurent entre 48 et 61 millimètres de diamètre. Les boules en bois de buis ou en gaïac sont façonnées par les tourneurs, artisans qui confectionnent de petits objets et ustensiles en bois. Elles peuvent aussi être l’œuvre d’un palemardier, un artisan spécialisé dans la fabrication des objets nécessaires au jeu du mail, un jeu ressemblant furieusement au croquet et qui se démocratise au XVIIe siècle (création de terrains publics dont certains noms de rues en France conservent encore le souvenir).

Les boules en ivoire coûtent bien évidemment une blinde car le matériau est précieux. Ce sont les tabletiers, aussi chargés de la fabrication des jeux d’échecs, qui pourvoient le gentilhomme en billes d’ivoire. Il semble que ce soit dans l’inventaire de 1588 du duc de Norfolk (1536 – 1572) que l’on trouve la plus ancienne mention décrivant une boule en ivoire.

Au Moyen-Âge et à l'époque Moderne, les tabletiers, artisans spécialistes de l'ivoire, fabriquent dés, pièces d'échecs et boules de billard

Un Sens de l'Analogie Déplorable

Je passe sur le billard, indien, anglais ou américain pour arriver directement à celui qui nous intéresse : le billard français joliment appelé billard carambole. Comme le fruit oui. Le billard carambole se joue à deux avec seulement trois boules. Chaque joueur possède une boule blanche et le principe est grosso modo de percuter la boule rouge – nommée carambole – et la boule blanche de l’adversaire à l’aide de sa propre bille.

Prend une seconde pour admirer la sagacité du mec qui a proposé que chaque joueur ait une bille de MÊME couleur. Comme le glorieux inventeur été certainement une personne de haut rang, nul ne lui opposa qu’il ferait mieux d’aller essayer d’attraper les flèches d’une arbalète avec sa tête. En lieu et place de cette remontage qui eu été bénéfique à tous, on décida de discrètement différencier une des boules en y apposant deux petits cercles ou deux petits points diamétralement opposés ce qui donna à cette boule le nom de « pointée ».

En revanche, le choix des couleurs est typique du Moyen-Âge puisque l’opposition chromatique la plus forte n’est pas comme aujourd’hui le noir et le blanc mais bien le rouge et le blanc. C’est un contraste que l’on retrouve également sur les jeux d’échecs à la même époque.

Ensemble de boules de billard en ivoire proposées à la vente par Live Auctioneers. © LiveAuctioneers
« Sphère parfaite et d’un rouge éloquent, ce fruit possède tous les atouts pour donner son nom à une bille » Chilpéric, manchot daltonien de l’époque médiévale ©leticiahoy

Certes les caramboles ne courent pas les étalages du Moyen-Âge d’où peut-être l’idée un peu erronée qu’on s’en fait ; mais quand même. Étymologiquement, ce mot – sous sa désignation de boule de billard – est à l’origine de plusieurs autres termes toujours utilisés aujourd’hui.

Le mot carambole vient du portugais carambola (1563) désignant le fruit venue d’Asie qui se nomme d’ailleurs karambal en Inde.  Puis le mot passe en Espagne quelques années plus tard avant de désigner la boule rouge du billard au début du XVIIe siècle. L’usage de ce mot dans le contexte du jeu se répand en France à la fin du XVIIIe siècle. Puis le verbe caramboler apparaît et signifie d’abord « toucher du même coup deux boules avec la sienne ». Au sens figuré, le mot s’emploie dans le domaine automobile pour désigner deux voitures qui s’entrechoquent comme les billes sur un billard : il y a carambolage.

Ce qui, je le concède, est plus joli que si le fruit élu avait été une pomme ou une prune.

  • Bourgeois Noëlle, Chauve Marie-Françoise, Guillaumin Jean-Yves. Jeux de noix de la Rome antique et jeux de billes de Franche-Comté. In: Dialogues d’histoire ancienne, vol. 33, n°1, 2007. pp. 71-84 EVERTON C., The History of Snooker and Billards, Partridge Press, 1986
  • PASTOUREAU M., Une histoire symbolique du Moyen-Âge occidental, Éditions du Seuil, Paris, Février 2004
  • http://www.cnrtl.fr/etymologie