Métier d'antan qui fit la richesse de certains et le trépas des autres, l'empoisonnement tout comme l'espionnage, est une profession où règne un anonymat d'autant plus nécessaire que le praticien maîtrisera les rouages d'une mort sournoise et foudroyante. Certes mortifère, cette activité ludique allie pourtant à la découverte des richesses de la nature celle des faiblesses du corps humain.

En 2008, la maison de ventes allemande Hermann Historica mettait en vente un livre du XVIIe siècle. Un livre façon kinder, banal à l’extérieur, plein de surprises à l’intérieur.

Cabinet à poisons, XVIIe siècle. Couverture en parchemin ivoire, fermoirs en fer, véritables pages collées et creusées. Bouteille en verre, boutons de tirage en argent. À l’intérieur de la couverture, une gravure ancienne portant la date de 1682 © Hermann Historica
Cabinet à poisons, XVIIe siècle. Couverture en parchemin ivoire, fermoirs en fer, véritables pages collées et creusées. Bouteille en verre, boutons de tirage en argent. À l’intérieur de la couverture, une gravure ancienne portant la date de 1682 © Hermann Historica

Le poison : coup de pouce salutaire à une faucheuse débordée

Ce cabinet miniature présente onze compartiments portant chacun une étiquette sur laquelle est inscrit un mot en latin. Au revers de la couverture, une Allégorie de la mort – aisément reconnaissable à ce squelette vivement animé – creuse une tombe. Un grand compartiment accueille une bouteille en verre sur laquelle on peut lire « Statutum est hominibus semel mori », éloge ou critique de la fragilité de la vie humaine remarquant qu’« il est réservé aux hommes de mourir une seule fois ». Un aphorisme déjà apprécié à la lecture (naturellement quotidienne) de la Bible, Épître aux Hébreux, chapitre 9, verset 27 :

Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, de même le Christ, qui s’est offert une seule fois pour porter les péchés de plusieurs, apparaîtra sans péché une seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur salut.

Assurément, la mort ne laisse pas de seconde chance (et manifestement, Jésus non plus). Mais inscrite sur cette bouteille, l’admonition sonne ironiquement. Le malaise s’alourdit à la lecture des étiquettes renseignant le contenu des petits compartiments au-dessus et en-dessous du flacon en verre.

Cabinet à poisons. XIXe siècle. © Auktionshaus Michael Zeller

Empoisonnement et permaculture : les bienfaits de Dame Nature

De haut en bas et de gauche à droite, nous trouvons :

Hyoscyamus niger : de la jusquiame noire, plante attitrée des sorcières. Son ingestion en faibles quantités provoque l’assoupissement avec hallucinations cauchemardesques et une sensation de lévitation (ce qui expliquerait la curieuse habitude des sorcières d’enfourcher un balai pour baguenauder dans les airs. Elles seraient, en réalité, seulement défoncées à la jasquiame).
La plante est si toxique que le parfum de sa fleur fut longtemps réputé pour causer des étourdissements. La jusquiame blanche est la petite sœur psychopathe de la jusquiame noire puisque son taux d’alcaloïdes – des molécules s’avérant régulièrement toxiques – est presque 10 fois supérieure à celui de la jusquiame noire.

Papaver Somnif (papaver somniferur) : le pavot. Son suc est toxique et contient une palette panachée d’environ 25 alcaloïdes dont la morphine, la papavérine, la thébaïne et la très infréquentable narcotine qui provoque notamment des vertiges, des somnolences ou une confusion inquiétante ainsi qu’une dépression respiratoire – une manière élégante de décrire une incapacité soudaine à respirer avant de bêtement en mourir.

Aconitum Napellus : couramment appelée « herbe aux loups », l’aconite se trouve très facilement dans les bois et les prés humides de nos contrées tempérées. L’espèce présentée ici est notoirement dangereuse puisque seulement 2 à 4g de ses racines (et même de ses feuilles) peuvent tuer un adulte bien portant. Notons que la plante n’est pas avare en sensations fortes. Son poison provoque d’abord brûlures et picotements suivis de convulsions et d’anomalies du rythme cardiaque avant de tuer l’individu brutalement.

Cicuta Virosa : une sorte de ciguë nommée ciguë vireuse. Toutes ses parties sont toxiques et ses racines au printemps sont capables de faire passer de vie à trépas absolument n’importe quoi du moment qu’elles sont ingérées. La ciguë connut un âge d’or durant l’Antiquité où elle mit fameusement un terme à l’existence de Socrate.

Intérieur du cabinet à poison. Les tiroirs sont ornés de papier marbré © Hermann Historica
Intérieur du cabinet à poison. Les tiroirs sont ornés de papier marbré © Hermann Historica

Bryonia Alba : le navet du Diable. Son suc est fatal à quasiment tous les coups.

Datura Stram (Datura Stramonium) : la datura. Connue des hippies et des amateurs de Assassin’s Creed Revelations, la datura entraine des hallucinations souvent cauchemardesques, l’accélération du rythme cardiaque, des troubles visuels et une faiblesse musculaire qui va parfois jusqu’à l’incapacité à se tenir debout. Les pires cauchemars deviennent alors réalité, prenant des formes kaléidoscopiques. Le cœur s’emballe à la manière d’une double pédale hardcore quand parallèlement les muscles se liquéfient et qu’une crise de panique – résultat logique de cette sympathique expérience – amène, après plusieurs heures de calvaire, au coma et, pour les plus chanceux, à la mort. Seulement 5g de graines ou de feuilles sont nécessaires. Son rapport qualité prix est véritablement imbattable mais ne va pas sans éveiller quelques soupçons sur l’origine prématurée ou non de la mort de la victime.

Gravure appliquée à l'intérieur de la couverture du cabinet à poisons © Hermann Historica
Gravure appliquée à l'intérieur de la couverture du cabinet à poisons © Hermann Historica

Valerlana Off (Valerlana Officinalis) : la valériane. Inoffensive sur une mamie, la valériane infusée dans une tasse d’eau chaude n’accélère en rien l’entrée en possession d’un quelconque héritage. La valériane n’est pas mortelle, seulement sédative et anxiolytique. En revanche, si elle se trouve habilement couplée à des plantes autrement toxiques, elle peut s’avérer un petit plus appréciable capable d’accélérer le passage chez le notaire. Car à l’inverse de l’alcool, il est toujours bon de mélanger les poisons, les sédatifs et autres anxiolytiques.

Daphne Merzereum : le Bois-joli. Son nom aux accents bucoliques laisse trop facilement oublier qu’une dose suffisante – et s’avérant dans ce cas ridiculement petite – provoque des convulsions et des dommages aux voies orales et à l’intestin, prenant inéluctablement un bien funeste tournant.

Ricinus Comm (Ricinus Communis) : le ricin. Très à la mode en cosmétique car favorisant la beauté  des cheveux et de la peau, le ricin peut être bienfaisant aussi bien que parfaitement létal. Mâchez-en par exemple quelques graines et les molécules qu’elles contiennent vont méticuleusement bousiller les cellules de votre corps, entrainant une mort. Néanmoins, cette dernière est sans doute épargnée du teint cireux et des cheveux cassants grâce aux bénéfices cosmétiques du végétal. Les informations esthétiques manquent encore à ce sujet.

Colchicum Autumnale : le colchique. Certains lui ont dédié de charmantes chansons et si les ritournelles nous sont parvenues, c’est sans doute que leurs auteurs se sont contentés de regarder le colchique. Son bulbe toxique provoque par ingestion des nausées, vomissements et autres diarrhées hémorragiques avant d’entraîner une paralysie voire un coma puis l’arrêt cardio –respiratoire.

Atropa Bella : la Belladone. Son nom vient de Bella dona en souvenir des femmes italiennes de la Renaissance qui utilisaient une décoction de belladone en goutte pour dilater leurs pupilles, donnant beaucoup de profondeur à leur regard. La ravissante belladone contient de l’atropine, une molécule capable de bloquer les synapses neuromusculaires, ceux qui transmettent l’info « j’aimerais bouger » de tes neurones à tes muscles. L’info étant bloquée, te voilà paralysé. L’ingestion de belladone est synonyme de brûlures à la gorge, de l’augmentation du rythme cardiaque, de nausées et vomissements et de convulsions pouvant entraîner la mort.

Ces substances naturelles soignent ou tuent. Quasiment toutes sont aujourd’hui employées dans la fabrication de médicaments. Ce qui est loin d'être le cas au XVIIe siècle.

Montre en argent à forme de tête de mort par Jean Rousseau (1606 – 1684). Musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / image RMN-GP
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On peut sérieusement douter du capital sympathie du propriétaire de ce bouquin. D’autant qu’au XVIIe siècle, l’empoisonnement est une discipline très en vogue en Europe. En France, l’affaire des poisons va gangréner le règne de Louis XIV et le faire se méfier de sa cinglée de maîtresse, Madame de Montespan.

L'empoisonnement : le loisir lucratif des petites gens

Quelques personnages contemporains de l’époque à laquelle appartient ce cabinet à poison ont marqué l’histoire par leur dextérité à concevoir des poisons sinon foudroyants, au moins efficaces, et furent à l’empoisonnement ce que Steve Jobs fut au smartphone.

Marie Bosse (décédée en 1679, et pas de sa belle mort), amicalement surnommée « la Bosse », fut dans le domaine de l’empoisonnement une spécialiste reconnue et appréciée aussi bien par le peuple que par les plus hautes sphères aristocratiques. Pour ses recettes, point n’était besoin de laboratoire sophistiqué. Aussi se contentait-elle d’un creuset, de vif-argent (du mercure), de l’eau-forte (de l’acide nitrique obtenu par distillation de salpêtre) et de la ciguë qu’elle ramassait dans les champs. Ses potions étaient joliment qualifiées de « bouillons de la rue Saint-Denis ».

Pierre, berger du Roule, donna lui dans la décoction d’herbes vénéneuses et avait la réputation d’être « le plus habile et grand empoisonneur de France ». L’épithète de berger n’étant pas un surnom mais bien la profession du ci-devant Pierre, il est évident que le brave homme n’avait pas besoin d’être agrégé de chimie pour que son talent soit reconnu.

Catherine Monvoisin, dite La Voisin (circa 1640 – 1680), résidant derrière la rue de Cléry à Paris, fut une des plus célèbres empoisonneuses parisiennes de son temps. Elle s’enrichit d’ailleurs grâce à sa petite entreprise de services. Comme ses confrères, elle utilisait ce qu’elle avait sous la main pour concocter ses potions. Contrairement à d’autres, son anonymat ne dura pas. Compromise dans l’Affaire des poisons, elle fut brûlée vive le 22 février 1680.

Si d’aventure un ingrédient venait à manquer à ces professionnels de l’intoxication, ils pouvaient le plus simplement du monde se le procurer en rendant visite à ceux qui étaient en mesure de les dépanner : apothicaires, épiciers et droguistes. Aucune loi ne réglementait alors la vente des herbes, épices et autres dangereuses poudres ; l’imagination n’était à cette époque que la limite à l’innovation.

Ce cabinet d’alchimiste miniature dissimulé à l’intérieur de ce livre ne ressemble donc en rien à une trousse de premiers secours. Sinon, pourquoi se donner tant de mal à cacher son contenu ? Pourquoi le propriétaire se serait-il évertué à faire passer pour un livre anodin une pharmacie létale portative ?

Est-il nécessaire de rappeler l’exigence de discrétion en matière de meurtre ? La mort par empoisonnement doit encore moins éveiller les soupçons qu’une vulgaire noyade et ce dans le but peu louable de se prémunir de toutes accusations. C’est d’ailleurs ce dont témoigne le peu de traces laissées par les objets qui servaient à cacher les substances toxiques : les cornets de papier ou de parchemin étaient facilement destructibles quand le poison n’était pas tout simplement caché sous l’ongle du tueur. Idem pour les objets intermédiaires : verres, couverts, vêtements, objets du quotidien, nourriture et boissons sont particulièrement indiqués pour servir la volonté de l’empoisonneur sans éveiller de soupçons. D’autant que les médecins – souvent plusieurs fois meurtriers par les « remèdes » qu’ils préconisaient – n’avaient pas les outils nécessaires pour identifier un mal ou même sa provenance extérieure.

Ce livre-cabinet de la mort possède donc précisément les caractéristiques de l’ordinaire : discret, presque indétectable s’il est placé dans une bibliothèque, il passe pour un inoffensif objet du quotidien.

En même temps que la police scientifique s’est perfectionnée, la pratique du poison s’est complexifiée. Toujours très appréciée aujourd’hui, cette méthode séculaire dont on peut reconnaître la valeur patrimoniale, laisse émerger ça et là, et par le témoignage de rares rescapés, les reliefs de sa présence.

  • BERTRAND B., L’herbier toxique : codes secrets pour plantes utiles, Éditions Plume de carottes, Toulouse, 2009
  • LEBIGRE A., 1679 – 1682, L’Affaire des Poisons, Éditions Complexe, Paris, 2006
  • PELT J.M. et LIPPMANN P., Les vertus des plantes, Éditions Chêne, Paris, 2004
  • PETITFILS J.C., L’Affaire des Poisons, crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil, Éditions Perrin, Paris, 2009
  • RICHARD D. et DOUX Y., Poisons et venins dans la nature, Delachaux et Niestlé, Paris, 2008
  • Dossier « Les Poisons dans l’Histoire », publié le 12 janvier 2017 dans la version numérique de Futura Sciences (http://www.futura-sciences.com)
  • http://www.hermann-historica.de