Aux yeux candides, la couronne de fleurs célèbre joliment le primus tempus (le premier temps, le printemps). Ce symbole de la renaissance de la nature fut toujours considéré avec attention jusqu'à l'invention d'Instagram.

La couronne de fleurs romaines : à Rome, on fait comme les Romains

Le printemps est dans l’esprit romain la première des saisons. Le Romain n’a pas notre préférence trop généralisée pour l’été avec son lot de plages bondées et de toiles de tentes astucieusement dépliables. Et si le Romain a le goût du camping, c’est dans un tout autre contexte et plutôt sous forme de garnison que de cellule familiale délocalisée dans un habitat sommaire.
Pour une humanité dépendant encore – et pour longtemps – de la vitalité de la nature pour survivre, la renaissance annuelle du printemps est l’occasion de réjouissances. La belle Flore, nymphe du printemps aux pieds jardiniers, fait d’ailleurs éclore des milliers de fleurs à chacun de ses pas.

Cette divine Flore de René Fremin (1672 – 1744) est un modèle de 1706 – 1709 pour la sculpture en marbre (aujourd’hui au Louvre) qui orna autrefois la cascade rustique du parc de Marly.

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René Frémin, 1672 - 1744 La Flore de Marly, modèle de 1706-1709. © Sotheby's

La légende veut que les premières couronnes de fleurs soient l’invention de Glycera, fleuriste et amante du peintre Pausias (actif à Sicyone dans le Péloponnèse vers 380 – 370 av. J.C). L’artiste amoureux fit d’elle un superbe portrait, la tête ornée d’une couronne de sa création. Mais Glycéra était peut-être simplement une femme d’affaires avertie qui profita opportunément des talents artistiques de son fiancé pour sa propre campagne de publicité. Habile.

Hélas, les couronnes de fleurs sont aussi éphémères que ce qui les constitue. Une triste constatation annuellement répétée. Pour pallier cette fugacité vexante, les Romains y allèrent de leurs goûts esthétiques et savants et créèrent des coronae hibernae, des couronnes de fleurs d’hiver, faites de copeaux de corne teints de différentes couleurs. L’ornement de tête devait alors être aussi remarquable qu’onéreux et initiait des expérimentations qui allaient mener vers des couronnes impérissables d’une préciosité inédite.

D’abord, ce sont les corollaria, des couronnes de fleurs faites de très fines lamelles de bronze doré, d’argent ou d’or. Il semble néanmoins que les Romaines n’aient pas été les premiers dans ce domaine et reprenaient à leur compte les créations étrangères et antérieures, une manie romaine qui ne leur passa jamais. Les couronnes de fleurs imposables à l’ISF ceignaient déjà la tête Méda :

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Couronne en or de la reine Meda découverte dans l’antichambre de la tombe de Philippe II (382 – 336 av. J.C.), 336 avant notre ère Musée des Tombes Royales d’Aigai, Vergina © Alain Truong

L’engouement pour les couronnes de fleurs, s’il n’était pas nouveau dans les cultures du bassin méditerranéen, fut particulièrement développé dans la culture romaine et les témoignages d’époque en témoignant ne manquent pas. Romaines et Romains apprécient les corona rosacea, les considérant comme les incarnations emblématiques du réveil d’une nature colorée de fleurs roses et violettes, ce dont Pline rapporte :

Les Romains n’avaient dans leurs jardins qu’un très petit nombre d’espèces de fleurs à couronnes, et presque uniquement les violettes et les roses.

Histoire naturelle, livre XXI, X

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Fleurs en terre cuite peintes et dorées. Seconde moitié du IVe - IIIe siècle avant J.C. © 2000 RMN / Hervé Lewandowski

Il fallait que toute la société soit sensible aux fleurs et à leur ornement sur les cheveux pour que soient fabriqués des éléments de couronne en argile peinte, plus accessibles que les copeaux de corne ou de bronze, afin de satisfaire un goût vain pour des fleurs qui fanaient inéluctablement. Ces couronnes impérissables, conçues dans toutes sortes de matériaux, témoignent donc bien d’un trait culturel notoire et loin d’être anodin.

Couronne de feuilles d'olivier en or. Grèce, circa IVe siècle avant J.C.© Sotheby's

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Les fleurs printanières, au parfum (presque) inimitable furent-elles bientôt remplacées par les couronnes factices et scintillantes ? Non. Toujours, les couronnes de fleurs fraîches – les coronae floribus – remportaient un succès bien supérieur à leurs pâles ou dispendieuses copies.
Elles donnaient aussi l’opportunité au commun des mortels de faire montre de son talent dans la composition florale car si des variétés de fleurs remportaient plus de faveurs que d’autres, aucune règle ne régissaient leur arrangement en couronne. Dans ce domaine, toutes les excentricités étaient permises car la fatalité finirait par les faire oublier.

Ces couronnes se composaient de fleurs cultivées ou sauvages parmi lesquelles l’épine (ou rose sauvage), le liseron des haies, le souci, le chèvrefeuille ou cyclamen, le mélilot, le bellium, le genêt, le laurier-rose et l’anthémis.

Il faut pourtant se garder d’imaginer le glorieux peuple romain gambadant en toge, une fois le printemps venu, coiffé d’une couronne fleuri et s’empiffrant de pancréas de biche à la gelée de pruneaux, se prélassant sous les prémices du soleil d’été. Ce serait une grossière erreur. L’autorité publique et morale ne plaisantait pas au sujet des couronnes de fleurs et le port de cet accessoire était strictement réglementé.

La sensibilité de ce sujet fut telle qu’elle envoya sans état d’âme de dangereux citoyens impudiquement fleuris dans les geôles de L’Empire. Le banquier, L. Fulvius, à l’époque de la seconde guerre punique (218 – 202 av. J.C), en fit les frais. Pline se fait encore ici journaliste d’investigation pour nous rapporter les mésaventures du banquier aux fleurs couronnées. L’anecdote aurait pu être oubliée si elle n’avait pas pris un tournant tragique lorsque l’habile financier osa porter une couronne de roses – probablement durant la période des « jeux sacrés » au cours de laquelle lesdites couronnes étaient considérées comme de prestigieux objets. L’allure nonchalante et le pied alerte, le banquier se montra aux yeux de tous couronné de roses ce qui ne fut pas du goût des autorités. Ces dernières contraignirent promptement Fulvius à aller cueillir des pâquerettes dans un lieu pourtant peu propice à leur culture : la prison.

Si Fluvius souffrit d’une sévérité à nos yeux excessives, c’est que les couronnes de fleurs jouaient alors un rôle essentiel dans les pratiques religieuses païennes de l’antiquité. Un rôle si important que nous en conservons aujourd’hui encore l’héritage, sans en avoir véritablement conscience.

Tout au long de l’époque romaine, les couronnes de fleurs paraient les objets ou accompagnaient les sacrifices consacrés aux divinités. Certains jours de l’année parfaitement définis, hommes et femmes devaient ceindre leur tête d’une couronne de fleurs en l’honneur des dieux ; la couronne de fleurs n’était donc en aucun cas un accessoire à prendre à la légère.

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Détails d’une fresque de la villa des Mystères à Pompéi

Les fresques pompéiennes portent d’ailleurs le souvenir de la considération dont les couronnes de fleurs étaient l’objet. Cette pratique élégante relevait du symbolisme de renaissance qu’incarnaient le printemps et la jolie Flore. Or la renaissance est alors intrinsèquement liée au concept d’immortalité dans une société où il est entendu que seuls les dieux sont immortels.

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Détail de la fresque figurant la mort d'Isard à Pompéi. © Pinterest

Ce lien organique entre renaissance et immortalité fut décliné au travers de nombreuses pratiques antiques – et pas uniquement romaines – impliquant des couronnes de fleurs. Notamment celle consistant à offrir des couronnes florales aux défunts. Le culte romain faisant de ses ancêtres – éminents et anonymes – des divinités, une tradition que l’on retrouve toujours dans plusieurs pays d’Asie.

En Europe, le souvenir de cette pratique perdure encore aujourd’hui : les couronnes mortuaires déposées sur les tombes et cercueils ne sont rien d’autre que l’héritage des croyances et cultes antiques.

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Couronne funéraire grecque. Or, IIIe siècle avant notre ère. © J. Paul Getty Trust

Les couronnes florales, de l'enluminure à Instagram

Cette pratique païenne dû emprunter un chemin bien tortueux pour échapper au courroux chrétien dont la tolérance envers les pratiques romaines se résumait à peau de chagrin, rancunier qu’il était à la simple évocation des chrétiens mal en point envoyés contre leur gré affronter des lions affamés mais toujours lestes.

Faire avaler la pilule du Dieu unique n’avait déjà pas été une mince affaire et les chrétiens fatigués mais spirituellement vainqueurs acceptèrent – dans une mansuétude toute chrétienne – de fermer les yeux sur une ou deux activités manuelles, souvenirs du temps où les païens pataugeaient naïvement dans la fange polythéiste.

Ainsi fut conservée l’inoffensive couronne florale qui accompagnait traditionnellement les mariages et en particulier l’épousée païenne qui portait sous son voile une couronne de sa composition. La jeune fille avait elle-même cueilli et choisi les fleurs qui ornaient sa tête.

La mode n’étant décidément pas une superficialité historique, elle se mêlait aussi du choix des fleurs. À l’époque romaine, les variétés favorites penchaient vers celles dont on savait qu’elles annonçaient de beaux fruits. On aimait aussi les branches toujours vertes à l’odeur agréable (comme le laurier, le myrte et le romarin) et l’herbe des champs fraîchement semés. La couronne tressée par la jeune fille et qui ornait son front était gage de sa pureté et devait attendrir les divinités de la nature – dont la divine Flore – de manière à favoriser la fécondité de la future épouse. Car il était de coutume de ne pas exiger d’elle davantage. Ce qui eut parfois des répercussions inattendues.

Doucement, cet usage chez les Chrétiens prit une signification nouvelle, devenant le symbole de la victoire sur les passions (dixit Saint Chrysostome, Hom. IX in 1 Tim.), une hymne à la chasteté qui, une fois encore, était davantage exigée des jeunes filles que des jeunes hommes.

Au cours du Moyen-Âge et par le biais de l’Amour Courtois, la guirlande de fleurs replongea avec délectation dans la symbolique florale liée à l’épanouissement de l’amour. Les enluminures regorgent d’exemples superbes dans lesquels la couronne de fleurs est le témoin de trois étapes chronologiques dans la relation amoureuse.

D’abord, l’amour naissant à l’occasion duquel la Dame tresse des fleurs offertes par son chevalier (que l’on aperçoit à la fenêtre).

Émilie dans son jardin (Théséide de Boccace, vers 1340). Barthélémy de Eyck (1415-1472), dit le Maître du roi René entre 1460 et 1465. Vienne, Bibliothèque nationale d’Autriche
Émilie dans son jardin (Théséide de Boccace, vers 1340). Barthélémy de Eyck (1415-1472), dit le Maître du roi René entre 1460 et 1465. Vienne, Bibliothèque nationale d’Autriche

Puis, l’amour s’affermit : les personnages sont couronnés de fleurs mais encore séparés.

Bernger von Horheim, Le seigneur Dietmar von Aist et sa dame. Codex compilé et illustré entre 1305 à 1340, à la demande de la famille Manesse. Conservé à la Bibliothèque de l'université de Heidelberg en Allemagne. 
Bernger von Horheim, Le seigneur Dietmar von Aist et sa dame. Codex compilé et illustré entre 1305 à 1340, à la demande de la famille Manesse. Conservé à la Bibliothèque de l'université de Heidelberg en Allemagne. 

L’amour confirmé, figuré par le couronnement de l’amant.

Codex compilé et illustré entre 1305 à 1340, à la demande de la famille Manesse. Conservé à la Bibliothèque de l'université de Heidelberg en Allemagne. 
Codex compilé et illustré entre 1305 à 1340, à la demande de la famille Manesse. Conservé à la Bibliothèque de l'université de Heidelberg en Allemagne. 

Presque toujours, ces couronnes compatibles avec Jésus sont faites de roses et leur symbolisme repose sur le nombre de pétales de la fleur. Les roses à cinq pétales sont les plus fréquemment représentées : chaque pétale trouve une correspondance dans un des cinq sens et la fleur entière symbolise ainsi l’amour sensuel.

Puisqu’il serait dommage de ne pas coller un peu de religion dans une si jolie métaphore, la tradition exégétique chrétienne considère que les cinq sens sont autant de degrés vers l’amour de Dieu. La couronne ainsi remise dans le droit et divin chemin ignore avec mépris la libidineuse réalité.

Aujourd’hui encore les jeunes mariées ne manquent pas d’égayer le blanc (parfois trop blanc) de leur robe d’une joyeuse couronne florale sans qu’aucune ne soit foutue d’expliquer pourquoi se fleurir les cheveux apparaît comme une entreprise parfaitement naturelle et allant de soi quand celle de porter un entonnoir sur la tête est nettement frappée du sceau de la folie. L’ornement ne manque en tous cas pas de sel (la couronne autant que l’entonnoir).

Diadème d'époque victorienne, circa 1870. Fleur de chardon en argent doré (vermeil) et cornaline © DSF Antique Jewelery
Diadème d'époque victorienne, circa 1870. Fleur de chardon en argent doré (vermeil) et cornaline © DSF Antique Jewelery

Car la couronne de fleurs moderne est toujours le souvenir du printemps et de la renaissance de la nature mais surtout de la nécessaire fertilité des femmes en passe de procréer sous les liens sacrés (et pénibles) du mariage. Je n’irai pas à dire que la couronne fonctionne comme un attribut de Flore transformant toutes celles qui en portent en nymphe printanière (j’ai de fameux contre-exemples) mais il faut reconnaître que l’esthétique contemporaine des couronnes fleuries est aujourd’hui davantage proche de la conception païenne que de la vertu chrétienne.

Diadème floral en diamant et platine par E. Wolfe & Company. Créée en 2021 © 1st Dibs
Diadème floral en diamant et platine par E. Wolfe & Company. Créée en 2021 © 1st Dibs

Malgré les injonctions religieuses séculaires liées à cet ornement, la simplicité touchante de la couronne de fleurs séduit encore par sa délicatesse et sa poésie. Devenue accessoire, elle s’adapte aux modes et se débarrasse peu à peu du symbolisme sacré au profit de croyances par trop contemporaines ; le narcissisme numérique allant jusqu’à éliminer la matérialité végétale et odorante de la couronne pour lui préférer d’impérissables couronnes digitales sous forme de filtres à selfies.

Les fleurs originellement associées à la renaissance et à l’immortalité divine sont aujourd’hui ironiquement condamnées à orner les crânes creux d’instagrameuses avides d’une reconnaissance éternelle. Dieu merci, les story Instagram étant éphémères, l’immortalité numérique l’est tout autant.

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