L’arrosoir a plus de délicatesse que le seau. Il ne noie pas les végétaux, mais reproduit une ondée, dès lors qu’il est moderne et bien solide. À ses fragiles débuts, il n’a pour ambition que d’imiter la rosée. Et comme elle, il annonce un jour nouveau.

La différence entre un arrosoir et n’importe quel autre récipient ou contenant tient toute entière à ces petits trous faisant chacun jaillir un filet d’eau, d’où l’on tient que cette extension du goulot se nomme « rose ». « What’s in a name ? » : tout, excepté ce qu’il signifie pour Juliette Capulet. La rose de l’arrosoir n’hérite pas de l’inflorescence d’une ronce mais du bas latin rosata, du latin classique ros, rosée, qui donne arrorare, « couvrir de rosée ».

David Clayton, arrosoir miniature en argent. Angleterre, circa 1720–30 © MET Museum
David Clayton, arrosoir miniature en argent. Angleterre, circa 1720–30 © MET Museum

L’arrosoir permet d’humecter légèrement, comme le fait si bien la rosée, de sorte que la quantité d’eau qu’il contient est mieux employée car distribuée avec parcimonie. D’aucuns argueront que l’arrosoir est aussi plus facilement manipulable que le seau, ce qui est vrai, mais cela n’a pas toujours été le cas.

Alors, quand la première édition de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert affirme, en 1751, que l’arrosoir « est un vaisseau à l’usage du jardinier, ou de fer blanc ou de cuivre rouge, en forme de cruche, tenant environ un seau d’eau, avec un manche, une anse et un goulot, ou une tête ou pomme de la même matière [de laquelle] l’eau sort en gerbe [tandis que l’autre] ne forme qu’un seul jet », l’ouvrage érudit ne témoigne que de la modernité de l’arrosoir. Car avant celui qu’il étudie, un autre objet rendait le même service, aussi décrit par l’Encyclopédie, et l’on s’en servait « pour arroser les fleurs, parce qu’il ne mouille que le pié, & épargne les feuilles qui, par délicatesse, seroient exposées à se fanner dans les chaleurs si elles étoient mouillées. » Pour comprendre cet objet d’antan, il faut faire un saut dans l’Antiquité.

L’Encyclopédie [23] de Diderot et d’Alembert, Agriculture : [recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques], Agriculture et jardinage, Planche II, 1751 - 1752 © Gallica
L’Encyclopédie [23] de Diderot et d’Alembert, Agriculture : [recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques], Agriculture et jardinage, Planche II, 1751 - 1752 © Gallica

Les civilisations antiques développent d’ingénieux systèmes d’irrigation, puis des systèmes d’abduction urbains (vers 2800 – 1100 avant notre ère), de la Mésopotamie à l’Égypte, de la Grèce à l’Empire romain. Mais ces canaux et aqueducs rapprochent l’eau des cultures, les inondant volontairement parfois, sans contribuer véritablement à un arrosage en surface précis et économe. OUI, il existe déjà des ollas ou oyas, ces poteries enterrées qui permettent d’économiser l’eau, mais je parle bien ici d’arrosage de surface ; il s’agirait de bien lire.

Quand ces systèmes, de surface donc, irriguent les villes, ou lorsque les habitants usent de citernes, des récipients sont nécessaires pour prélever l’eau et la porter là où on en a besoin, dans la maison ou le jardin. Des paniers tressés permettent de puiser l’eau qui s’écoule par le maillage, aspergeant ainsi les cultures sans les noyer. Mais un autre objet, ingénieux et polyvalent, va connaître une grande postérité.

La clepsydre, l’arrosoir pneumatique de l’Antiquité

Mieux connue par son nom médiéval de chantepleure, la clepsydre antique est basée sur un principe simple. Anticipons à nouveau les jappements hargneux : la clepsydre n’est pas seulement un objet de mesure du temps. Elle retient l’eau, la dérobe à sa fuite inévitable. C’est cette qualité qui lui vaut son nom, klepteín « dérober » et hýdôr « eau ».

Cruche chypriote avec le fond percé de petits trous. British Museum GR 1869.6-4.12
Cruche chypriote avec le fond percé de petits trous. British Museum GR 1869.6-4.12

Dans le cas qui nous intéresse, cette clepsydre prend la forme d’une poterie, souvent ovoïde, dont l’extrémité la plus étroite est un goulot tandis que la plus large est toute perforée. L’arroseur s’étant saisi de sa clepsydre, il n’a plus qu’à l’immerger dans l’eau de laquelle s’élève alors un gargouillis charmant : la clepsydre chante jusqu’à ce qu’elle soit remplie. Le jardinier émerge alors l’objet en prenant soin de poser son pouce sur le goulot, bloquant l’appel d’air et empêchant l’eau de s’écouler. Un simple mouvement de pouce permet de la libérer et la faire jaillir : la clepsydre pleure. Tour à tour chantant et pleurant, la clepsydre deviendra au XIIIe siècle chantepleure.

Ce principe savamment décrit dans les Pneumatiques d’Héron d’Alexandrie (Ier siècle de notre ère) est le même qui prévaut au fonctionnement de nombreux automates antiques.

Naturellement, la clepsydre par sa petitesse qui la rend manipulable ne permet pas de capter et de distribuer autant d’eau que ne le ferait un système d’irrigation ou un simple seau. Si elle est sans doute utile pour favoriser la croissance des jeunes plants en les arrosant de la quantité juste nécessaire et en préservant leur feuillage encore fragile, d’autres usages sont attestés. En fonction des lieux où ces objets ont été découverts, les archéologues ont pu émettre plusieurs hypothèses quant à leur utilisation dans des contextes domestiques ou religieux.

Dans la cuisine, la clepsydre pouvait assurément se rendre utile pour cuisiner ou laver. Et si elle était capable de laver des aliments, il n’y avait pas de raison pour qu’elle ne puisse laver avec tout autant d’efficacité celui qui les mangeait ; elle était alors comme un ancêtre de douche portative d’une « van life », par bonheur encore inconnue. Et dans un contexte cultuel, la clepsydre était évidemment appropriée aux libations.

Le philosophe, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile Empédocle fait déjà référence, au Ve siècle avant notre ère, à ces clepsydres comme outils de transfert des liquides. Le premier millénaire avant notre ère connaît ces objets sur tout le pourtour du bassin méditerranéen. Les formes, les matériaux (céramique, métal) et les décors varient autant que les usages. Ainsi en est-il de celles  de la période flavienne (69 – 96) retrouvées dans la zone portuaire d’Arles.

Fragments de céramiques creuses trouvés dans le Rhône à Arles. Dessin © A. Véléva, photographie © N. Camau
Fragments de céramiques creuses trouvés dans le Rhône à Arles. Dessin © A. Véléva, photographie © N. Camau

Ces petites clepsydres dont le diamètre de la panse oscille entre 3.7 et 4.5 cm sont à l’arrosoir ce qu’une prise de sang est au corps humain : indolores. Ne pouvant contenir qu’entre 25 et 30 cm3 de liquide, on peut s’interroger sur leur fonction qui relève davantage de la pipette que de l’arrosoir à proprement parler. Avec une telle quantité d’eau, on peut sans doute se servir un verre de picrate, mais pas envisager d’arroser une culture intensive de choux, alors jugés comme bougrement efficaces pour se prémunir de l’ivresse (conclusion qu’il serait tentant d’attribuer à la sagacité d’un Romain pleinement bourré). Justement, se pourrait-il que ces poteries aient pu contenir un liquide autre que de l’eau ? C’est fort probable. D’autant que dans le contexte de découverte de ces clepsydres dans le Rhône, « les dimensions des différents réservoirs des pipettes correspondent idéalement à l’ouverture ventrale des fûts antiques. De fait les seules représentations iconographiques de pipettes sont également liées aux tonneaux. De plus, le faible volume des réservoirs des pipettes s’accorde mieux à une dégustation qu’au service du vin pour consommation. » (in Les pipettes en terre cuite : preuve indirecte de l’utilisation des tonneaux sur Arles et Fréjus à la période flavienne, voir bibliographie). Si les clepsydres-pipettes étaient réservées à la dégustation du vin, nul doute que les orgies romaines ne devaient pas faire tant de manières et préférer s’hydrater le gosier directement au tonneau. C’est du reste une tradition qui semble s’être maintenue dans le Beaujolais, en novembre.

Pipette en terre cuite trouvée dans un puits à Madrid (Alcala de Henares ; Juan Tovar, Heras y Martinez, 2011)
Pipette en terre cuite trouvée dans un puits à Madrid (Alcala de Henares ; Juan Tovar, Heras y Martinez, 2011)

La clepsydre antique semble davantage relever de l’instrument spécialisé ou polyvalent (pour le quotidien privé et cultuel) et destiné à contenir toutes sortes de liquides (eau, vin, garum, etc). Plus largement, l’usage fait de cet objet est à mettre en regard avec les systèmes d’irrigation et d’adduction développés dans les sociétés antiques. Si l’eau circule facilement et alimente les groupes d’habitations – voire les habitations-mêmes – avec la régularité d’une garnison romaine en patrouille, alors la clepsydre peut se contenter de servir de dernière étape ou d’étape intermédiaire du parcours d’un liquide. D’autant que sa morphologie, ses matériaux (essentiellement céramiques), et le geste qu’elle exige ne permettent pas au potier de se perdre  en de folles extravagances plastiques.

Pipettes de l’épave du cap Lardier 4 © J.-P. Joncheray
Pipettes de l’épave du cap Lardier 4 © J.-P. Joncheray

L’irrigation à vau-l’eau : l’âge d’or de la chantepleure

Alors que les systèmes antiques de distribution de l’eau se détériorent après la chute de l’Empire romain, il semble que la clepsydre parte elle-aussi avec l’eau du bain. Au IXe siècle en Allemagne, le moine poète bénédictin Walafrid Strabon (808 – 849) décrit ses outils dans son Liber de cultura hortorum. Parmi ces derniers, le moine ne manque pas de compter ses propres doigts qui permettent un bien utile guttatim, un arrosage goutte à goutte sur ses semis, évitant ainsi de les trop asperger. S’agit-il d’une véritable disparition ou d’une absence de preuves matérielles ? Car au Garden Museum de Londres (premier et rare musée d’Europe consacré au jardinage, il fallait bien que les Britanniques en soient les inventeurs et gardiens), sont conservés quelques beaux exemples de chantepleures en céramique, allant du Xe au XVIIe siècles. Et, parfois, de rares pièces d’une pareille ancienneté passent en vente et s’acquièrent pour de coquettes sommes.

Chantepleure en faïence émaillée au plomb, Angleterre, XVIe ou XVIIe siècle. Vendue le 18 mars 2023 pour 2700£ © Lacy Scott & Knight
Chantepleure en faïence émaillée au plomb, Angleterre, XVIe ou XVIIe siècle. Vendue le 18 mars 2023 pour 2700£ © Lacy Scott & Knight
Chantepleure en faïence émaillée au plomb, Angleterre, XVIe ou XVIIe siècle. Vendue le 18 mars 2023 pour 2700£ © Lacy Scott & Knight
Chantepleure en faïence émaillée au plomb, Angleterre, XVIe ou XVIIe siècle. Vendue le 18 mars 2023 pour 2700£ © Lacy Scott & Knight

Leur usage diversifié autour de l’an mil fait écho à celui de l’Antiquité. Si la communauté bénédictine à laquelle appartient le sympathique Walafrid Strabo a jugé les doigts du moine aussi efficaces qu’une clepsydre, cette dernière ne tarde pas – si elle n’y est pas restée – à retrouver sa place au jardin. Jardin de subsistance d’abord, puisque la préséance favorise la nutrition avant le parfum des fleurs (sauf lorsqu’elles sont comestibles).

L’objet est également le plus approprié à l’arrosage des sols des habitations qui sont en terre battue ou jonchés, et forment de véritables nids de poussière qu’une aspersion maintient quelques temps au sol. Les sols pavés ou carrelés bénéficieront longtemps du même traitement.

Une seule image connue aujourd’hui plonge la chantepleure dans les gestes du quotidien de la maison. Ponce Pilate est représenté recevant d’un serviteur une ondée hygiénique qui lui donne l’occasion de se laver les mains, presque littéralement, de sa responsabilité dans ce qui deviendra bientôt le logo officielle de l’Église : Jésus crucifié.

Plafond de la basilique collégiale royale Saint-Isidore de Léon en Espagne, Ponce Pilate se lavant les mains. Détail d’une des fresques de la basilique, Xe – XIIe siècle.

Plafond de la basilique collégiale royale Saint-Isidore de Léon en Espagne, Ponce Pilate se lavant les mains. Détail d’une des fresques de la basilique, Xe - XIIe siècle.

Comment la clepsydre est-elle nommée entre l’an mil et le XIIe siècle ? Difficile à dire, car « le mot semble surgir de nulle part à peu près au même moment dans les domaines vernaculaires et scolastiques et peut désigner tant un objet concret qu’une notion abstraite, sans que l’on puisse aisément déterminer un ordre de priorité. » (in La clepsydre et l’oxymore : variations sur la chantepleure. Voir bibliographie).

Les mots de chantepleure ou cantaplora désignent parfois des choses très différentes, de la clepsydre aux rigoles creusées pour capter insidieusement l’eau d’une rivière, et l’on retrouve dans cette pratique répréhensible l’étymologie de la clepsydre, cette voleuse d’eau.

La chantepleure est aussi représentée sous la forme qu’on lui connaît désormais : cette poterie à col étroit et à panse ovoïde ou triangulaire. Elle est d’usage au quotidien pour prélever des liquides et dans les jardins où l’on comprend mieux l’avantage de son usage lorsqu’elle est associée à un seau d’eau :

Barthélemy l'Anglais (12..-1272), Livre des propriétés des choses, circa 1401 - 1500. Détail du folio 42r © Gallica
Barthélemy l'Anglais (12..-1272), Livre des propriétés des choses, circa 1401 - 1500. Détail du folio 42r © Gallica

Encore, il s’agit d’être économe et d’arroser intelligemment pour ne pas noyer les plantes. C’est aussi un moyen efficace d’épargner le jardinier puisque la chantepleure réduit le nombre de seaux à remplir, à déplacer aussi bien que les allers-retours entre la culture et le point d’eau.

Parallèlement, le jardin ornemental médiéval fleurit peu à peu au XIIe avant de s’épanouir au XIIIe siècle. La culture de plants en pépinière, l’art de greffer et de palisser a essaimé et une littérature spécialisée a commencé de voir le jour. À ce titre, le Traité d’économie rurale (Opus ruralium commodorum) de Pierre de Crescens (1233 – 1320) est un best-seller traduit en plusieurs langues, preuve de l’intérêt porté – par nécessité et par plaisir – à l’agronomie et à l’horticulture. Agrément de la cour ou du monastère, les fleurs reviennent en grâce, dans le jardin d’abord, puis en couronnes et en guirlandes. Alors que ces dernières avaient été conspuées et bannies en 392 par un décret de Théodose Ier qui leur reprochait leur trop grande promiscuité avec le culte des Lares, les arrangements et compositions florales sont à nouveau en odeur de sainteté. Au XIIIe siècle, leurs artisans forment à Paris une corporation essentiellement féminine qui manie artistiquement de belles fleurs – en majorité des roses – que l’on cultive à l’extérieur des murs de la ville avec d’autres espèces végétales dont l’usage va de l’ornement à la jonchée parfumée jetée au sol des habitations. Ainsi, la chantepleure occupe aussi bien le paysan que l’aristocrate ; l’eau ne fait pas de distinction de classe, mais ses usages s’y emploient.

Couple sous un dais. Tapisserie en laine et soie. Pays-Bas du Sud (Tournai ?), vers 1455 - 1460. Paris, musée des arts décoratifs.
Couple sous un dais. Tapisserie en laine et soie. Pays-Bas du Sud (Tournai ?), vers 1455 - 1460. Paris, musée des arts décoratifs.

La chantepleure de joie ou de tristesse

Sur l’image précédente, une tapisserie tisse un couple sous un dais. L’élégante femme au premier plan porte une ceinture brodée des lettres A et L et manie une chantepleure luxueuse en faïence au-dessus d’une jardinière qui retient une brassée de fleurs tenues dans un large plessis.

La belle arroseuse pourrait être Anne de Lusignan (1418 – 1462), dont les lettres de la ceinture seraient alors les initiales. Mais la chantepleure pourrait aussi jouer un rôle indirecte dans l’identification – toujours irrésolue – de l’élégante dame.

Couple sous un dais. Détails d’une tapisserie en laine et soie. Pays-Bas du Sud (Tournai ?), vers 1455 - 1460. Paris, musée des arts décoratifs.
Couple sous un dais. Détails d’une tapisserie en laine et soie. Pays-Bas du Sud (Tournai ?), vers 1455 - 1460. Paris, musée des arts décoratifs.

Comme les fleurs qu’elle arrose, la chantepleure se fait allégorie visuelle et allégorie sonore des sentiments. Le mot qui la désigne traduit la circulation de l’eau dans l’objet, de l’émotion, du latin emovere, littéralement « mettre en mouvement ». La chantepleure donne à voir et à entendre le mouvement de l’âme, puis l’expression des sentiments. Gazouille-t-elle une chanson gaie ou étouffe-t-elle un cri de douleur ? Pleure-t-elle des larmes de joie ou de tristesse ? Ces larmes versées en petite quantité sont-elles celles de la rosée matinale annonçant un jour nouveau, une renaissance, ou bien celle qui, au soir d’une vie, précède la mort ? Le mouvement de l’eau se fait le mouvement de l’âme et la chantepleure, bientôt, déclame un discours symbolique aussi riche et opposé que l’eau liquide et l’eau glacée.

Page (folio 1r) extraire de Il Filostrato, de Boccace (1313 - 1375), traduit par Louis de Beauvau, [Le Roman de Troyle] et présentant les armes de Marie de Clèves (1426 - 1487). Manuscrit daté de 1455 - 1456 © Gallica
Page (folio 1r) extraire de Il Filostrato, de Boccace (1313 - 1375), traduit par Louis de Beauvau, [Le Roman de Troyle] et présentant les armes de Marie de Clèves (1426 - 1487). Manuscrit daté de 1455 - 1456 © Gallica

Valentine Visconti s’empara fameusement de la chantepleure pour en faire son emblème, visuellement sonore, après l’assassinat de son époux Louis Iᵉʳ d’Orléans, en novembre 1407. L’image accompagne une devise en palindrome Nil mihi praetera, praetera mihi nihil, « Plus ne m’est rien, Rien ne m’est plus”. C’est ainsi que la professeur, traductrice et autrice Anna Kłosowska fait de la chantepleure, dans ce cas, « un palindrome oxymorique : « ce qui commence par le chant finit par les larmes, comme nous l’enseignent les pièces de morale et les farces. » (in Tearsong : Valentine Visconti’s inverted stoicism. Voir bibliographie). C’est en partie la raison pour laquelle les amours médiévales et courtoises ne font jamais de bons films de Noël. En ce sens, la chantepleure n’a plus rien de cet adorable objet éveillant le souvenir de joies enfantines et de jeux d’eaux, et ouvre grand les portes de la dépression, à grand renfort d’anxiolytiques.

Page décorée, avec les armes de Marie de Clèves. France, Carpentras, Bibliothèque inguimbertine, Ms. 375 f. 002. Armes et chiffre
Page décorée, avec les armes de Marie de Clèves. France, Carpentras, Bibliothèque inguimbertine, Ms. 375 f. 002. Armes et chiffre "M" de Marie de Clèves faisant partie de la décoration primitive, alors que sa devise "Rien ne m'est plus" et son emblème, la chantepleure, auraient été ajoutés après la mort de son mari Charles d'Orléans (CMD). Vers 1457 © Initiale, catalogue de manuscrits enluminés

Ah, la bonne ambiance que voilà. Ici, accablement et asthénie irriguent en plus une symbolique bercée entre deux lettres S, récurrentes dans l’univers de Valentine, l’une pour Soucy, l’autre pour Soupir, et c’est tout un horizon de tristesse qui enveloppent la célèbre dame, véritablement morte de chagrin en décembre 1408, soit à peine plus d’un an après le l’assassinat de son mari. Les chantepleures sont alors d’inépuisables fontaines de larmes, se nourrissant à un puits sans fin d’affliction. Et, après Valentine, toutes les raisons sont bonnes pour en faire son emblème. Marie de Clèves, sa belle-fille ne se fait pas prier, car la chantepleure prête désormais du romanesque à tout ce qu’elle touche, de la laitue à la jouvencelle.

À bout de souffle

La chantepleure oppose aussi bien qu’elle réunit. Elle oppose deux termes qui au premier abord semblent oxymoriques, mais dont la concomitance n’est pas absurde. Nous chantons aussi bien des odes impétueuses que des mélopées dramatiques, nous pleurons aussi bien de joie que de chagrin, et tout cela peut-être combiné.

La chantepleure semble contenir en germe toutes les émotions humaines, qui se déversent au contact de l’air, lorsque le pouce libère le goulot qui retient l’eau. Or, l’air, pneuma, n’est rien d’autre que la vie. Dans le Nouveau Testament, l’Esprit Saint chrétien traduit précisément et littéralement ce terme grec pneuma par « souffle ». Difficile de faire plus clair.  Et l’expérience que nous faisons tous de la vie confirme l’acidité ironique du défilé insensé de toutes sortes d’émotions. Une fois que toute l’eau s’est déversée du corps ou de la clepsydre, l’air s’enfuit à sa suite et le corps ou la chantepleure, à bout de souffle, meurent.

Chantecaille fleur des rues

Chantepie fleur des bois

Chanteloup fleur des eaux

Chantamour fleur des nuits

Chantemort fleur des pois

 

Pleurivresse fruit de l’aube

Pleurétreinte fruit des yeux

Pleuraccueil fruit des mains

Pleurémoi fruit des lèvres

Pleurez-moi fruit du temps.

Robert Desnos, Chantepleure

Chantepleure en PVC souple recyclable conçue par le Studio Idaë (Isabelle Daëron et Pauline Avrillon)  © Fabien Breuil

Chantepleure en PVC souple recyclable conçue par le Studio Idaë (Isabelle Daëron et Pauline Avrillon) © Fabien Breuil 

La vie est ainsi comparable à un meuble IKEA. Tout comme le mobilier suédois, elle est livrée dans une boîte (la chantepleure) et contient un kit (les mouvements de l’âme) dont on ne sait pas ce qu’il réserve (de la joie ou de la tristesse, des succès ou des échecs) et surtout, personne ne sait combien de temps tout cela tiendra debout, ni ce qu’il faut faire s’il manque des pièces ou, au contraire, si il y en a en trop. Et comme pour le chat de Shrodinger, on peut supposer que les émotions de l’âme, l’eau contenue dans la chantepleure ou le meuble dans son carton IKEA sont à la fois réjouissants et chagrinants. Tant que la chantepleure ou le carton ne prennent pas l’air, impossible de savoir ce que ces deux là réservent.

Si l’on considère comme nombre de mythologies que le premier Homme fut façonné de glaise, la chantepleure et l’humain sont quasiment le même objet. Comme un corps fait de chair, la chantepleure de terre s’anime au contact de l’air qui se fait son âme. Alors, elle fait s’épanouir les sentiments comme les fleurs, les assèche si la source est tarie, leur fait chanter ses allégresses ou ses regrets selon qu’elle est rosée de l’aube ou du crépuscule. C’est la parfaite vanité, la parfaite allégorie du temps qui passe, d’autant que le souvenir de la clepsydre comme outil de mesure du temps ourle la chantepleure d’une aura moins anodine que l’allure simple et modeste que l’objet ne laisse d’abord imaginer.

Un long poème anonyme daté des années 1230 ne s’y trompe pas. Il figure dans de nombreux manuscrits et joue l’oxymore en déclarant avec ferveur que ceux qui chantent ici-bas pleureront dans l’au-delà, et inversement. Encore une fois, et c’est une marotte du monothéisme, les gentils gagnent à mourir, ce qui est fort dommage. Heureusement, le monde oscille tièdement entre ces deux extrêmes et il y a fort à parier que s’il y a une suite à donner à cette aventure terrestre, elle est certainement pareillement tépide.

À la fin de l’époque médiévale, le dicton « Mieux vaut pleurechante que chantepleure » semble jouer sur un changement de situation qui appelle son contraire dans un futur post-mortem. Il est synonyme de manque de chance, d’une occasion ratée ou défavorable, mais qui sera remboursée, compensée dans l’au-delà. Il s’agit moins d’un lien avec l’objet qu’avec le mot qui le désigne. Pourtant, à la fin du XVIIe siècle, Gilles Ménage (1613 – 1692) rappelle dans son Dictionnaire étymologique qu’on « appelle à Rouen, par raillerie, chantepleure, un enterrement, parce que les Prêtres y chantent et les parens du mort y pleurent ».

Johann Lonicer (1499-1569), Illustration d’une chantepleure. Bois gravé colorié à la main, extrait d’une édition du Krauterbuch du XVIe siècle © Garden Museum de Londres
Johann Lonicer (1499-1569), Illustration d’une chantepleure. Bois gravé colorié à la main, extrait d’une édition du Krauterbuch du XVIe siècle © Garden Museum de Londres

Comme tous les « contenants », la chantepleure est symboliquement un vivier de possibilités. Si ce n’est qu’ici, le possible n’est pas seulement métaphorique. Dans la main du jardinier, la chantepleure est véritablement l’outil de futurs envisageables. Futurs abondants ou arides, les récoltes ne peuvent pas être moins ancrées dans la réalité des possibles.

L’arrosoir moderne et la vertu jardinière

Qu’est-ce qu’un arrosoir sinon une chantepleure plantée à l’extrémité d’un réservoir ? Dans ce cas, le renoncement à la pneumatique se fait au profit de la quantité d’eau que le jardinier peut distribuer sur ses cultures. Il fallait y penser.

Chantepleure Tudor (à gauche), arrosoir en faïence, XVIIe siècle (à droite) © Garden Museum de Londres
Chantepleure Tudor (à gauche), arrosoir en faïence, XVIIe siècle (à droite) © Garden Museum de Londres

Naturellement, l’arrosoir n’a pas immédiatement remplacé la chantepleure et les deux ont cohabité, jusqu’au XVIIIe siècle, comme plus récemment les cassettes vidéos et les DVD. Un autre objet a même pu faire office de transition de l’un à l’autre. Il s’agit d’une cruche dont le bec était perforé. Munie d’une anse, comme une aiguière, ce « pichet » souvent en faïence était considérablement lourd une fois rempli, mais contenait plus d’eau qu’une chantepleure. Toutefois, la contenance des deux était sans commune mesure avec celle de l’arrosoir moderne.

Thomas Hill, écrivain jardinier né dans la première moitié du XVIe siècle, en atteste dans son best-seller (autrement plus utile et moins dadais que ceux de la littérature Feel good) The Gardeners Labyrinth, dans lequel l’amateur se voit dispensé toutes sortes de recommandations, conseils et autres instructions pour cultiver et entretenir un jardin (potager, essentiellement). Des xylographies imagent avec clarté les différentes activités. Dans cet ouvrage, Hill décrit donc cette nouveauté révolutionnaire qu’est l’arrosoir en cuivre. Pourtant, ce sont davantage les arrosoirs en terre cuite qui prédominent d’abord, pour d’évidentes raisons économiques puisque le métal est cher. Ces nouveaux objets de céramique, ventrus et équipés d‘une rose et d’une anse, ont été produits en très grand nombre dans le sud de l’Angleterre.

Arrosoir en terre cuite émaillée, XVIe siècle © Tennants Auctioneers
Arrosoir en terre cuite émaillée, XVIe siècle © Tennants Auctioneers

Le tout jeune arrosoir, aussi bien que la chantepleure, ne doivent pas obturer la réalité : pour le commun des mortels, et partout en Europe, les paysans arrosent leurs cultures comme ils peuvent et usent pour ce faire de tous les ustensiles qu’ils ont à leur disposition. Du baquet au seau en passant par les outres ou les récipients en terre cuite, tout est bon pour arroser et l’on peut, selon les besoins, toujours trouver quelque parade pour moduler la quantité d’eau déversée.

Pieter Brueghel le Jeune (1564 - 1638), Le Printemps, détails. Huile sur panneau, Musée national d’art de Roumanie
Pieter Brueghel le Jeune (1564 - 1638), Le Printemps, détails. Huile sur panneau, Musée national d’art de Roumanie

Alors que l’arrosoir adopte peu à peu une forme qui nous semble familière, le jardin en fait tout autant. La Renaissance aidant, les discours changent et l’hortus médiéval, qui avait déjà commencé sa mutation, distingue de mieux en mieux deux types de jardins. Le jardin nourricier et utilitaire – notre potager – et le jardin d’agrément, propre à la contemplation et, in fine, à l’élévation morale. Ce qui écarte naturellement de ce spectre les jardins décorés de reproductions douteuses de têtes de Bouddha et autres nymphes antiques, toutes rapportées au même plan que des armées de nains de jardin polychromes.

Au cours des XVe et XVIe siècles, le jardin justement entre dans le giron des architectes, il se fait prolongation de l’espace bâti, sert une réflexion conceptuelle sur l’organisation du monde et sur la place que l’Homme y occupe. Cet espace mêlant nécessairement les saisons et les éléments – des puissances que l’on ne maîtrise pas ou peu – se prête à l’entrelacement du mythe et de la réalité alors que la mythologie greco-romaine renaît de ses cendres. Le jardin devient un décor et un ailleurs invitant à la réflexion ou à la surprise. Le labyrinthe de Charles V (1338 – 1380) dans les jardins de Saint-Pol à Paris et surtout les expériences horticoles (réussies) de René d’Anjou (1409-1480) sont notoirement le fruit d’un intérêt nouveau galvanisé par la culture intellectuelle de la Renaissance.

Arrosoir trouvé dans les jardins du musée de Cluny, daté de la fin XVe ou du début XVIe siècle. Céramique à décor sous glaçure © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / Michel Urtado
Arrosoir trouvé dans les jardins du musée de Cluny, daté de la fin XVe ou du début XVIe siècle. Céramique à décor sous glaçure © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen-Âge) / Michel Urtado

Dégagé de toute utilité pratique, ce type de jardin est naturellement aristocratique, bien qu’il n’exclut pas le potager ou le jardin de simples, déplacés et cultivés à côté ou dans un espace détaché. Le jardin d’agrément poursuit de manière laïque la forme du jardin monacale médiéval qui restituait un macrocosme dans l’espace clos d’un microcosme, à la manière des tapis d’Orient.

Sortant de son cadre commun et prosaïque, le jardin comme projection d’une pensée philosophique et politique associe inévitablement son épanouissement végétal au jardinier. L’un est le reflet de l’autre et le jardin bien ordonné, esthétiquement fleuri et produisant avec autant de démesure qu’une corne d’abondance sous acide, renvoie volontiers aux qualités toutes semblables de son propriétaire, ce tout premier gentleman farmer, arrosoir à la main et modestie au compost.

Le propriétaire du jardin moderne est rarement celui qui laboure, sème,  arrose, récolte, taille et bouture. C’est pourtant lui que l’on félicite de la beauté de ses jardins, tandis que l’arrosoir devient l’un des emblèmes du discret jardinier.

Nicolas de L’Armessin, Habit de jardinier. Gravure, vers 1695 © Musée Carnavalet, Paris

Nicolas de L’Armessin, Habit de jardinier. Gravure, vers 1695 © Musée Carnavalet, Paris

L’arrosoir est alors un outil en cuivre raffiné et rare comparé à ses comparses de terre cuite plus souvent employés, mais moins picturalement élégants. Contrairement à la chantepleure médiévale, l’arrosoir est moins un objet poétique qu’un outil au service d’une rationalité distinguée, d’une compréhension pragmatique de la nature et de son organisation ordonnée,  esthétique, civilisée. Il n’est que dans le domaine de l’Église que l’arrosoir porte encore une poésie qu’il conserve jusqu’au XXe siècle ; il fait ainsi du prêtre le « jardinier des âmes ». Et Dieu sait que dans ce domaine, les mauvaises herbes sont légion.

Faire croître sans corrompre : du bon usage de l’arrosoir

Maîtriser, canaliser et user de l’eau selon ses besoins est un pouvoir jalousé. Depuis une prière du Livre des morts égyptien permettant au défunt d’affirmer fièrement « n’avoir jamais détourné un canal, ni détruit un barrage, ni percé le fossé d’autrui » (ce qui devait donc être aussi courant qu’un portrait de profil) jusqu’aux lois et décrets médiévaux récurrents (donc jamais respectés) interdisant de détourner les cours d’eau pour son propre usage, et encore aujourd’hui les débats des anti et pro « méga-bassines », l’eau est assurément un objet de pouvoir. Son bon usage, doit donc être réglementé par une autorité que l’on espère raisonnable et pondérée. Espoir déçu lorsque Louis XIV commence à la détourner pour la faire jaillir et gicler en tous sens dans les délirantes et superbes fontaines de ses jardins (alors que l’accès à l’eau est à Versailles – et ailleurs – un problème récurrent sous l’Ancien Régime), mais espoir retrouvé lorsque le prêtre se fait jardinier. De gré ou de force.

L’arroseur arrosé : la passion parfois forcée du jardinier pour son arrosoir

L’époque moderne offre une variété d’arrosoirs, une toute aussi large palette d’arroseurs et une symbolique riche touchant à ce qui est arrosé. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les arrosoirs en cuivre, en laiton ou en fer blanc sont respectivement fabriqués par les dinandiers de France et des Pays-Bas et les ferblantiers d’Angleterre. Ces derniers n’ont rien à craindre de la médiocre concurrence française, qui est pourtant bel et bien organisée, comme cela est rappelé en janvier 1642, dans le Statut des taillandiers-ferblantiers « Que nul taillandier en fer blanc et noir ne fasse […] enrosoirs […] que le tout ne soit de bonne matière et manufacture bordée partout de fil de fer et que tous les fonds et chapiteaux soient sans cassure et bien conditionnés. »

Alexandre-François Desportes, tenture des Enfants jardiniers, détails. Tapisserie tissée par la Manufacture des Gobelins XVIIIe siècle, après 1717. Laine et soie, 309 x 253 cm © Musée national et domaine du château de Pau
Alexandre-François Desportes, tenture des Enfants jardiniers, détails. Tapisserie tissée par la Manufacture des Gobelins XVIIIe siècle, après 1717. Laine et soie, 309 x 253 cm © Musée national et domaine du château de Pau

Ces métaux sont courants et accessibles jusque dans la petite bourgeoisie d’Europe de l’ouest, tandis que les classes populaires usent de poteries ; l’Italie des riches cités ou des campagnes fait exception car, en matière d’arrosoirs, elle préfère longtemps la céramique au métal.

Pour les plus aisés, certains modèles très chics présentent un corps en cuivre et une rose en laiton, depuis que la rose est devenue amovible dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Adoptant ainsi différentes formes et présentant plus ou moins de petits trous, elle permet d’adapter le débit de l’arrosoir aux cultures que l’on abreuve.

Quatre arrosoirs en métal de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle © Christie’s
Quatre arrosoirs en métal de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle © Christie’s

Cette diversité n’est pas moins grande parmi ceux qui s’engagent à servir l’Église. Du cardinal au curé de campagne, tous sont réunis par l’arrosoir, adapté aux moyens et au rang social de chacun. Car si tout commence dans le Jardin d’Eden, les serviteurs de l’Église ont manifestement pour ambition de le rappeler, invités qu’ils sont à se faire les jardiniers exemplaires d’un hortus comme la promesse d’un paradis bientôt retrouvé. Un Eden nuancé qui s’adapte à chaque échelon de la hiérarchie de l’Église.

Aux prêtres des petites paroisses de campagne des parcelles modestes et frugales, et aux cardinaux enrichis par leurs titres les domaines exploités en leurs noms par une armée de gueux qui se seraient bien passés de ces corvées. Certains religieux ont véritablement la main verte et trouvent un véritable intérêt au jardinage, se passionnent pour l’horticulture et l’arboriculture, travaillent à améliorer les cultures, acclimatent des espèces ou s’essaient à en créer de nouvelles. « Le soing du jardin est bien séant à un curé de village » rappelle le chanoine Dognon dans Le bon curé ou advis à messieurs les curez publié en 1630.

C’est dans cet idéal de labeur heureux et de recherche d’amélioration permanente que le parallèle entre la culture des plantes et celle des âmes voit le jour. Transformer ce fumier que sont les pécores imbéciles et rustres en des plantes épanouies et raisonnables, voilà bien une mission pour le pouvoir ecclésiastique. Le prêtre se fait ainsi jardinier des âmes. Armé de sa Bible et de ses prêches comme d’un arrosoir ou d’une chantepleure, le voici abreuvant ses paroissiens, faisant croître la communauté des bons chrétiens afin que le Jugement dernier ne soit qu’une récolte aussi qualitative qu’abondante.

Mais avant d’envisager les divines moissons, les nécessités de la vie des mortels trouvent d’abord un réconfort substantiel et bienvenu dans ces jardins de curé. Ces modestes exploitations sont d’abord la première source de nourriture pour garnir la table du presbytère, auquel sont souvent attachés des aides, serviteurs ou journaliers qui sont autant de bouches à nourrir. Les années prospères transforment le surplus de la production potagère en monnaie sonnante et trébuchante sur la place du marché du village. Pratique que l’on veut discrète, mais pourtant bien attestée lorsque se pose, en octobre 1789, la question de la redistribution des biens du clergé ; comment survivre lorsqu’on est curé si l’on a même plus l’usufruit du potager ?

École de François Boucher (1703 - 1770), Vertume et Pomone. Huile sur toile, 1763 © 2010 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
École de François Boucher (1703 - 1770), Vertume et Pomone. Huile sur toile, 1763 © 2010 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Dans les bourgs, les campagnes ou les grands domaines, l’arrosoir (auquel la fable du Pot de terre et du pot de fer n’est pas sans faire écho) est donc partout et participe à une économie bien implantée. Utile à tous quand ce système vient renflouer les étals des marchés ou fournir les plantes médicinales, il prend la forme de la domination lorsqu’il exige du peuple la corvée due à la noblesse d’Église et enrichit une minorité.

Qui aurait pu soupçonner que l’innocent arrosoir métallique se ferait le symbole discret d’un système inégalitaire ?

Nicolas Lancret (1690 – 1743), Allégorie de l’été. Huile sur toile © © Bonhams, London/Bridgeman Images

Nicolas Lancret (1690 - 1743), Allégorie de l’été. Huile sur toile © © Bonhams, London/Bridgeman Images

La théière et l’arrosoir

L’engouement des élites pour ce que l’on nommera plus tard le jardinage ne va pas nécessairement avec les tâches ingrates inhérentes à l’entretien d’un jardin. Bêcher, arracher les mauvaises herbes, marcher dans la terre retournée et collante, transpirer n’est pas du goût des élégants et des belles dames. L’arrosoir charmant convient mieux dans son usage réel et symbolique au sein des classes aisées. Car l’arrosoir prend soin de la plante déjà en terre et veille à lui donner la quantité d’eau qui lui est juste nécessaire pour sa croissance, ni trop, ni trop peu. Il est éclairé par son sens autoproclamé de la mesure et assure le bon développement de ce qu’il arrose. Il fait un bruit délicieux, ses aspersions ont la grâce d’une pluie d’été et non pas le manque de délicatesse des baquets d’eau jetés en nappes épaisses. L’arrosoir verse une libation propice au développement harmonieux de la vie, le seau noie sous un déluge aléatoire et indomptable. L’arrosoir est, dans ses formes métalliques, l’apanage des privilégiés à qui toute peine est épargnée.

Portrait à l'aiguille d'un jardinier de la fin du XVIIIe siècle. Vers 1780 © 1stdibs
Portrait à l'aiguille d'un jardinier de la fin du XVIIIe siècle. Vers 1780 © 1stdibs

L’engouement pour la botanique et l’horticulture distingue véritablement au XVIIIe siècle les cultures nobles de celles, frustres et par trop communes, des paysans. Cela avait déjà pris une ampleur considérable au XVIIe siècle avec la culture des agrumes qui exigeait d’avoir à disposition une orangerie, architecture spécifiquement étudiée pour garantir aux arbustes de passer l’hiver européen au chaud. Mais le phénomène prend une ampleur sans commune mesure aux XVIIIe et XIXe siècles, et cela est particulièrement vrai en Angleterre.

Alors que s’étend l’empire colonial, les espèces végétales exotiques alimentent les intérieurs les plus raffinés de nos voisins britanniques. Car ces spécimens fragiles exigent un intérieur douillet. Jacinthes, narcisses puis tulipes sont cultivées en pot et font naître un véritable marché autour de cette nouvelle passion nationale ; Josiah Wedgwood s’emploie d’ailleurs à la satisfaire.

Au XVIIIe siècle ce sont ainsi plus de 5000 espèces végétales provenant de tous les continents qui ont été introduites en Europe depuis le XVe siècle. Et ce n’est qu’un début. Alors que l’empire colonial britannique s’étend d’année en année, les plantes importées vont bientôt signer les deux parangons de l’art de vivre anglais : les jardins et le thé.

Or, l’arrosoir et la théière sont pour ainsi dire les deux mêmes objets. Un potier, d’ailleurs, ne s’y trompe pas : il conçoit théière et arrosoir de la même manière et reconnait que l’un et l’autre présente le même niveau de difficulté. Leur fonction aussi est identique puisqu’ils arrosent des plantes, vivantes pour l’un, sèches pour l’autre. L’arrosoir les fait grandir et s’épanouir, la théière, les ravive et les fait exhaler. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’aux XVIIIe et XIXe siècle, le thé est jeté dans l’eau de la théière et filtré dans une petite écumoire, disposée en travers de la tasse. Parfois, le thé est placé dans l’écumoire, l’eau de la théière versée dessus, et l’infusion se fait directement dans la tasse. Comme l’arrosoir, le bec de la théière se place au milieu ou en bas de la panse, c’est à cela qu’on la différencie de la cafetière avec son bec haut perché. Ci-dessous, la silhouette de Jane Parminter l’illustre parfaitement : l’arrosoir dont elle se sert pour abreuver ses plantes pourrait aussi bien être une théière si l’artiste n’avait pas pris soin de figurer le bouquet de fins jaillissements dictés par la rose.

Francis Torond (1743 - 1812), Jane Parminter, Elizabeth Parminter, Mr Frend, John Parminter and Mrs Frend. Silhouettes peintes sur carte postale, d’après l’œuvre originale réalisée en 1783 et conservée dans la collection A la ronde, Devon © National Trust Images/David Garner
Francis Torond (1743 - 1812), Jane Parminter, Elizabeth Parminter, Mr Frend, John Parminter and Mrs Frend. Silhouettes peintes sur carte postale, d’après l’œuvre originale réalisée en 1783 et conservée dans la collection A la ronde, Devon © National Trust Images/David Garner

Quel jardinier digne de ce nom emploierait effectivement un arrosoir d’une si petite contenance ? C’est ici assurément un arrosoir raffiné, de luxe, un objet charmant qui permet aux femmes de se passionner pour la botanique et l’horticulture sans risquer de ce fouler le poignet, de transpirer ou, pire, de ressembler à une paysanne sale et sans manière.

Daniel Ridgway Knight (1839 - 1924), Les porteuses d’eau. Huile sur toile, 1892 © Artvee
Daniel Ridgway Knight (1839 - 1924), Les porteuses d’eau. Huile sur toile, 1892 © Artvee

Would you like a cup of tea ?

Cette phrase commença de devenir la devise officieuse britannique à partir du XVIIe siècle. Lorsque Catherine de Bragance (1638 – 1705) épouse le roi Charles II d’Angleterre (1630 – 1685), elle ne vient pas les mains vides. Elle apporte notamment en dot les sept îles de Bombay – qui passent ainsi sous contrôle britannique – et du thé. Or, en Angleterre, il fait froid et il pleut, ce qui fait une raison et un ingrédient dont les insulaires disposent en abondance pour transformer le thé en blason culturel. D’autant que les nouvelles îles indiennes vont jouer un rôle important dans le développement de l’Empire britannique, ce dernier faisant du thé une marchandise emblématique de son pouvoir. Au XVIIIe siècle, l’importation du thé est aux mains de la Compagnie néerlandaises des Indes orientales. D’ici la fin du siècle, cette dernière aura presque tout perdu au profit de la Grande-Bretagne.

Le thé anglais, son commerce puis sa culture suivent un chemin parallèle à l’engouement grandissant pour la botanique, l’horticulture, la fabrication et la spécialisation des arrosoirs. En un siècle, ces plantes exotiques vont devenir le reflet du basculement du pouvoir économique mondial. Le premier krach boursier de l’histoire a pour décor la bourse d’Amsterdam en 1637 et pour sujet la spéculation sur les bulbes de tulipes par une bourgeoisie citadine enrichit directement ou indirectement par le commerce de la Compagnie néerlandaises des Indes orientales. Au XVIIIe siècle, la jacinthomanie prend le relais, les Hollandais se distinguent toujours, mais plus pour longtemps. Les expéditions scientifiques et botaniques se multiplient durant le siècle des Lumières et en 1763, les Anglais ravissent l’Inde aux Français. Une cinquantaine d’années plus tard, à la chute de l’Empire napoléonien, la Grande-Bretagne accapare rapidement nombre de territoires en Afrique, en Asie et en Océanie notamment. La prochaine fièvre florale convoitera les orchidées dont les plus beaux spécimens se trouveront en Angleterre et ne s’admireront pas sans une bonne tasse de thé.

David Comba Adamson (1859–1926), Five o'Clock Tea; Huile sur toile, date inconnue © Dundee Art Galleries and Museums Collection (Dundee City Council)
David Comba Adamson (1859–1926), Five o'Clock Tea; Huile sur toile, date inconnue © Dundee Art Galleries and Museums Collection (Dundee City Council)

L’arrosoir et la théière ou la domination par les plantes

Comme la soie et la porcelaine, le thé chinois fut l’objet de toutes les convoitises européennes. La Chine parvint pour ce dernier a conservé jalousement le secret de sa culture, et donc le monopole de son commerce sur son territoire jusque dans le première moitié du XIXe siècle.

Interdits dans les plantations de thés chinoises, les Britanniques découvrent d’abord un théier sauvage poussant dans la région d’Assam, au nord-est de l’Inde. Le premier lot de thé qu’il fournit fut vendu aux enchères en 1838 à Londres à un prix plus élevé que le thé noir chinois. Mais ce dernier vivait sa dernière décennie sous l’emprise de l’Empire du Milieu, puisque le botaniste Robert Fortune (1812 – 1880) était sur le point de le faire basculer dans l’escarcelle de l’Empire britannique. En 1848, Fortune parvient à dérober des théiers chinois après avoir appris clandestinement la manière de les cultiver. Ce que l’on nomme aujourd’hui The Great Tea Robbery (Le grand vol du thé) signe la fin du monopole chinois et marque le déclin inévitable de son empire. Robert Fortune ne se contenta pas de prélever des théiers et de prêter son nom à l’horizon glorieux du Royaume-Uni ; à travers ses voyages en Asie, il rapporta de nombreuses espèces végétales qui furent acclimater avec succès en Angleterre, et plus largement en Europe. Des pivoines, des chrysanthèmes ou des azalées, le dragonnier ou le rhododendron furent parmi ses prises les plus prestigieuses. Ce sont aussi tous ces végétaux exotiques qui composent l’indémodable jardin anglais.

Ils furent des centaines comme Robert Fortune, botanistes professionnels ou amateurs, à enrichir la Grande-Bretagne d’espèces végétales nouvelles. Les jardins botaniques de Kew recevaient par leur intermédiaire des spécimens du monde entier et les récoltes des voyageurs alimentaient parallèlement les jardins britanniques avec une parfaite régularité.

Dans les intérieurs anglais, la théière versait une eau infusée du goût des colonies tandis que l’arrosoir faisait croître leurs parfums et leurs couleurs dans les jardins et les serres. L’une et l’autre ont ainsi contribué à rendre familières et domestiques les lointaines possessions de l’Empire au sein des foyers britanniques. La littérature abondante dédiée au sujet des jardins dans la seconde moitié du XIXe siècle traduit un engouement devenu populaire, tandis que les œuvres des sœurs Brontë, de Dickens, de Lewis Carroll ou de Conan Doyle racontent dans toutes les classes de la société une formidable consommation de thé. À compter de la seconde moitié du XIXe siècle, le jardin anglais et l’afternoon tea sont définitivement la signature de l’anglophile averti. C’est évidemment à la même époque que l’un des fleurons de l’industrie britannique voit le jour.

John Haws, l’empereur de l’arrosoir

En 1894, la très distinguée National Chrysanthemum Society, fondée en 1846, décerne sa médaille d’or à John Haws (1809 – 1858), inventeur d’un arrosoir à l’aube de renvoyer tous ses concurrents au rang de vulgaires pots percés en ferraille. Il faut dire que Haws a fait du terrain pour aboutir à ce nec plus ultra de l’irrigation de surface. En poste à l’île Maurice comme fonctionnaire colonial, il s’essaie à cultiver de la vanille sous serre. Or, cette plante n’est rien d’autre qu’une liane, elle s’étire donc en hauteur, grimpant à tout ce qu’elle trouve pour se développer. Les arbres étant ses supports de prédilection, elle s’abreuve par ses racines aériennes au ruissellement de l’eau le long du tronc. Le jardinier ambitieux doit donc pallier en serre l’apport d’eau vertical grâce à toutes sortes d’élévation plus ou moins précaires. Comme beaucoup, John Haws souffre ainsi de douches imposées et d’éclaboussures maladroites, toutes deux résultantes d’une manipulation délicate d’arrosoirs encombrants, lourds et incommodes. Mais Haws n’est pas du genre à se laisser pourrir la vie par un contenant, ni suffisamment pleutre face à l’ennemi pour renoncer à cultiver la vanille. Il s’attèle donc à créer l’arrosoir de ses rêves, celui qui préservera aussi bien la dignité de l’arroseur que la santé de l’arrosée. D’abord, il allonge le goulot pour atteindre plus facilement les hauteurs d’une plante. Puis il déplace l’anse et en ajoute une seconde.

Arrosoir Haws en acier galvanisé © Gardenheir
Arrosoir Haws en acier galvanisé © Gardenheir

La première, servant originellement à transporter et à verser l’eau, est désormais uniquement dédiée au transport et placée opportunément entre le goulot et la panse. Une solution qui existait déjà, mais jamais associée à un si long goulot. La seconde, uniquement destinée à un arrosage précis, est fixée à l’arrière de l’arrosoir. Les roses amovibles sont aussi l’objet d’une attention particulière. Outre les roses classiques à pommeau rond et percé, Haws développe une rose oblongue qui existait déjà sur quelques modèles anglais. Ce pommeau allongé est tourné vers le haut et permet ainsi de voir très précisément la quantité d’eau versée.

Fabriqués en cuivre puis en acier galvanisé, les arrosoirs Haws connaissent un succès immédiat. Élégants, pratiques et parfaitement britanniques, ils équipent tous les jardiniers raffinés, sont grossièrement copiés par les concurrents jaloux, mais jamais égalés. Encore aujourd’hui, ils font l’objet d’une attention particulière et l’on prend garde de s’assurer de la présence du médaillon frappé du nom de l’inventeur, médaillon attestant de l’authenticité de l’objet, et de son lieu de fabrication.

De 1885 à 1926, les arrosoirs Haws sont fabriqués à Clapton, puis de 1926 à 1953 à Bishop’s Stortford. De 1953 à 1976, ils sortent de la manufacture de Stourbridge quand aujourd’hui, ils sont expédiés depuis Smethwick. Au contraire de John Haws, jamais la fabrication de ce fleuron du jardinage britannique – qui n’aurait jamais vu le jour sans l’empire colonial – ne quitta son île.

Aujourd’hui, les arrosoirs Haws sont toujours fabriqués avec soin. Pour se mettre à la portée des jardiniers esthètes, mais sans le sou, ils ont aimablement adopté des matériaux modernes comme le plastique recyclé.

Arrosoirs Haws en plastique recyclé © Tumbleweed
Arrosoirs Haws en plastique recyclé © Tumbleweed

L’arrosoir des ouvriers, au service de l’industrialisation

Loin des serres aux plantations luxuriantes et des jardins anglais, les banlieues des villes nouvelles industrialisées attirent à elles un exode rural, appâté par les promesses d’une vie citadine bien meilleure qu’à la campagne. Mais les espérances sont loin de se réaliser, en Angleterre comme en France. Tout de même, l’octroi d’un lopin de terre par les entreprises à leurs salariés permet d’améliorer le quotidien et de retrouver un contact perdu avec la nature. Le patronat à la manœuvre n’est pas mu par charité, mais entend ainsi fixer une main d’œuvre vagabonde qui papillonne d’une usine à l’autre, en fonction des offres et des besoins. En France, en 1896, l’abbé Lemire (1853 – 1928), prêtre et député fonde la Ligue du Coin de Terre et du Foyer pour encourager la création de jardins ouvriers. Le temps passé au jardin est autant d’heures prises à la fréquentation des troquets ou – pire ! – des réunions politiques ou des syndicats, autorisés en France à partir de 1884, mais déjà embryonnaires depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle en Angleterre. Alors que les jardins ouvriers affiliés aux entreprises disparaissent progressivement au XXe siècle, ils renaissent sous la forme de jardins familiaux proposées par les municipalités à leurs administrés, d’abord sur critères de sélection (desquels la moralité paternaliste n’est pas absente).

En 1992, la Ligue du Coin de Terre et du Foyer se rebaptise donc Fédération Nationale des Jardins Familiaux. Depuis sa création près d’un siècle auparavant, les jardins ouvriers puis familiaux ont essaimé et leurs vertus font toujours l’unanimité politique ; jusqu’à ce que les terrains maraîchers attisent la convoitise d’entrepreneurs immobiliers, trop heureux d’accaparer ces lopins au centre ou en proche périphérie des grandes villes.

Photographie d'un jardin de ville à New York dans les années 1940 ©Getty - FPG/Hulton
Photographie d'un jardin de ville à New York dans les années 1940 ©Getty - FPG/Hulton

L’arrosoir en fer blanc, produit de l’industrialisation, sert aussi bien l’ouvrier que le patron. Son humilité n’attire pas l’attention, il est pourtant tout un symbole. Alors que l’eau courante serpente de ville de ville, gravissant les immeubles d’étage en étage, le jardinier doit encore puiser l’eau qui irriguera son petit lopin ouvrier. Des légumes, quelques arbres fruitiers et surtout de jolies fleurs, entretenues avec soin et seulement pour le plaisir de leur contemplation. L’ouvrier renoue avec l’humilité du jardin médiéval, pour sa subsistance d’abord et, parfois, pour sa valeur spirituelle. L’arrosoir est indispensable, seul moyen d’animer les plantes, de leur prêter vie. Pourtant, cet outil, pas plus que les autres, ne s’élève au-dessus de sa condition ouvrière.

Dans le catalogue de la Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Etienne de 1912, l’arrosoir adopte différentes formes pour servir différents usages, mais toujours il est en fer étamé ou en zinc, vernis pour les plus chics.

Année 1912, catalogue Manufrance, Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Etienne © Gallica

Année 1912, catalogue Manufrance, Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Etienne © Gallica

À l’instar des arrosoirs luxueux de la maison Haws, les arrosoirs ordinaires prennent peu à peu des couleurs. Les exemplaires peints en rouge sont souvent moins chers que ceux peints en vert, pour de bêtes raisons de coût des pigments. Mais l’invention du plastique va enfin offrir à l’arrosoir la palette infinie de ce à quoi il donne vie.

L’arrosoir : l’art décoratif au jardin

À la fin des années 1950, apparaissent les premiers arrosoirs en plastique. Deux guerres mondiales sont passées, les jardins ouvriers, familiaux, les potagers ou les lopins de terre cultivés ont soutenu des périodes de restriction et de manque. Le jardinage est plus que jamais un emblème de résilience et l’arrosoir, l’outil indispensable d’un monde nouveau qui ne demande qu’à fleurir.

« Les dix commandements de la victoire. Devoirs d’après guerre. Cultive ton potager », affiche des années 1940 (in Histoire du jardin potager, voir bibliographie)
« Les dix commandements de la victoire. Devoirs d’après guerre. Cultive ton potager », affiche des années 1940 (in Histoire du jardin potager, voir bibliographie)

Le plastique lui offre la possibilité de le faire avec éclat. Les formes et les couleurs ne connaissent quasiment aucune limite, alors toutes les extravagances sont possibles. De l’arrosoir évoquant vaguement un Tupperware à vinaigrette à l’incontournable arrosoir Vallö commercialisé par IKEA, les déclinaisons sont innombrables.

Couverture du magazine Design présentant l’arrosoir dessiné par Martyn Rowlands pour Ecko Plastics. Octobre 1957 © Garden museum
Couverture du magazine Design présentant l’arrosoir dessiné par Martyn Rowlands pour Ecko Plastics. Octobre 1957 © Garden museum
MULDER Monika, Arrosoir Vallö. Dessiné pour IKEA en 2002 et mis en production en 2004 © IKEA
MULDER Monika, Arrosoir Vallö. Dessiné pour IKEA en 2002 et mis en production en 2004 © IKEA

Pourtant, l’arrosoir n’oublie pas d’où il vient. À sa petite échelle, il hérite de cette nécessité de capturer l’eau, de la retenir pour profiter de son pouvoir, et vivre, grandir, cultiver et récolter les fruits d’un labeur, qu’il s’agisse de plantes, d’âmes ou de civilisations. Dans tous les cas, il est bien question de culture, pour le meilleur et pour le pire, d’un avenir qui tour à tour est voué aux chants, et aux pleurs.

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