Rapide histoire des luxueux sex-toys au Japon avant son ouverture au monde à la fin du XIXe siècle.
Avant Uniqlo : les Sex Toys Unisexes Japonais
Les religions monothéistes mi – schizophrènes mi – asexuées prônent l’amour sans condition d’un dieu invisible dont il ne fait pourtant aucun doute qu’il soit masculin, tout en proscrivant (sous peine des pires châtiments) l’amour d’un homme envers un autre homme biologiquement reconnu comme tel. C’est à n’y rien comprendre.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Japonais imprégnés des idéaux bouddhistes et confucéens adoptèrent une toute autre réflexion. Ce qui compte alors n’est pas tant le genre (féminin ou masculin) que les valeurs de déférence, de loyauté et de dévouement. Et c’est ainsi que depuis la période Heian (794 – 1185), il fut régulièrement attesté que les temples et monastères bouddhistes abritaient des relations platoniques et sexuelles entre personnes de même sexe. Durant l’ère Edo, l’homosexualité et l’hétérosexualité relèvent davantage de la mode et de l’humeur des hommes. Car il s’agit toujours bien du choix de l’homme et non de celui de la femme dont le statut social n’est pas pire que son homologue européenne à la même époque. De fait le lesbianisme, qui n’était pas considéré comme une catégorie puisqu’il n’impliquait pas les hommes, était accepté.
Ces caractéristiques qui concernent la culture japonaise ancienne et (surtout) urbaine sont importantes puisqu’elles étendent l’utilisation des sex toys aux hommes ! Il est possible que ces jouets aient aussi été utilisés entre hommes mais rien ne l’atteste véritablement. Quoiqu’il en soit, les deux pratiques sont parfaitement impensables dans une société monothéiste occidentale à la même époque.
La Fête de Tous les Slips
Il existe une très grande variété de sex toys dans le Japon ancien. Les noms et modèles peuvent varier et la liste ci-dessous n’est donc pas exhaustive. Remercions au passage les plus célèbres artistes japonais (dont le très fameux Hokusai) pour leur participation active à la diffusion de prospectus publicitaires faisant la réclame élogieuse des derniers accessoires à la mode et grâce auxquels nous avons aujourd’hui l’illustration quand l’objet nous manque.
Les harigata sont l’équivalent de nos godemichets européens. Les plus luxueux et les plus représentés dans les estampes érotiques dites Shunga sont les kamezō, ceux en écailles de tortues appréciés aussi car ils sont pensés comme hautement bénéfiques (les tortues vivant longtemps, il semble alors logique qu’utiliser leur carapace transmette à l’utilisateur cette même longévité).
Il en existait également en ivoire, en corne de buffle (ushizō) et en bois (mokuzō). Comme les godemichets en verre de Murano, les harigata japonais étaient creux et pouvaient être plongés dans de l’eau chaude ou rembourrés de ouate imbibée d’eau chaude avant d’être utilisé.
Les estampes shunga en témoignent, les pratiques sexuelles japonaises impliquant un harigata étaient nombreuses !
Le harigata est le sex toy le plus commun dans les estampes shunga et probablement le plus fréquent dans les quartiers de plaisir.
Coffret présentant deux harigata en corne et d’autres accessoires.
Le dokata ou « Dokyō no yoroi-kabuto » (l’armure et le casque de Dokyō) est un sex toy en une ou deux parties. Il se présente sous la forme d’une armature portée sur le pénis parfois accompagnée d’une sorte de « casque » placé sur le gland. Les deux éléments pouvaient être dissociés ou ne former qu’un seul et même objet.
Son nom vient de celui du moine Dokyō, amant de l’Impératrice Koken (718 – 770) à qui l’on doit, d’après la légende, l’invention de cet accessoire.
Généralement en écaille de tortue, il existe des exemplaires plus souples dont la taille pouvait être adaptée et maintenue par des boutons.
Les rin no tama plus connues sous l’appellation de « boules de Geisha » sont généralement en jade ou en cristal de roche pour des raisons trop longues à t’expliquer ici mais qui tiennent à la symbolique de ces pierres en Asie. Elles étaient et sont toujours utilisées dans les pratiques du tao et du tantrisme pour activer et maîtriser les muscles du périnée. Les nouveaux gourous en sarouel du développement personnel en sont également friands. Au Japon elles étaient réputées pour permettre de vivre longtemps et en bonne santé.
Les taigaita sont des godemichets doubles dédiés aux pratiques lesbiennes et qui semblent très répandus, eu égard à tous les noms qui leurs sont attribués. Ainsi, les clients ou clientes désireux de s’en procurer pouvaient tout aussi bien demander un azumagata, un taigai haritaka (ou harigata), un ryôtô no kubi, un ryôkubi ou un ryôchidori et j’en passe.
Le produit remportait un tel succès auprès du public qu’il fut créé des tagaigata triples voire quadruples.
Plus on est de fous…
Pignon sur Rue
Puisque l’offre était si diversifiée, il faut bien que ces produits aient été vendus quelque part. D’autant que les marchands se payaient le luxe d’employer pour leur publicité des artistes renommés. Alors où se fournissaient les riches et grivois habitants d’Edo (l’ancien nom de Tokyo) te demandes-tu avec raison ?
En bas de chez eux pour ainsi dire. Le quartier des plaisirs d’Edo était réputé très haut de gamme et se nommait Yoshiwara. Tout près de là, dans le quartier de Ryoguku, le plus ancien sex shop de la capitale nippone ouvrit ses portes en 1626 sous le nom de Yotsumeya. Le nom fait encore figure de patrimoine mythique de la ville de Tokyo bien qu’il dut fermer ses portes à la fin du XIXe siècle lorsque la morale victorienne pudibonde se fraya vicieusement un chemin au Japon. Ce magasin réputé pour sa marchandise très haut de gamme et sa clientèle aristocratique et nantie proposait toutes les sortes de sex toys inventoriés ci-dessus ainsi que des lubrifiants, préservatifs et autres recettes artisanales de viagra.
Les bourgeois se fournissaient quant à eux auprès des médecins et pharmaciens qui proposaient un large choix de ces mêmes objets dans des matériaux moins luxueux (et symboliquement moins puissants) que l’écaille de tortue, l’ivoire ou la corne de buffle.
Quant aux moins fortunés des Japonais, le Higo Zuiki semble avoir été de tous les foyers. Ce petit godemichet végétal était facilement fabriqué à partir de tiges séchées de colocasia géant. Cette plante appréciée pour ses vertus aphrodisiaques (la saponine contenue dans le colocasia est une molécule active augmentant l’afflux sanguin vers les organes génitaux) n’avait alors rien à envier aux matériaux de luxe. Une fois les tiges séchées, il suffisait de les tresser à la forme souhaitée (toutes les fantaisies étaient donc envisageables). Une fois l’objet terminé, il suffisait de le plonger 5 minutes dans de l’eau chaude pour le rendre doux et lisse.
- CALZA G-C., UTAMARO, HOKUSAI et autres artistes du Monde Flottant, Poème de l’oreiller et autres récits, Phaidon, Paris, 2010
- HOFMEESTER K. et GREWE B-S., Luxury in Global Perspective: Objects and Practices, 1600–2000, Cambridge University Press, 2016
- JONES S., Sex, Art and Edo Culture, In : The East Asian Institute, Bloomington, USA, 1996
- LEUPP, G. (2007). Capitalism and Homosexuality in Eighteenth-Century Japan. Historical Reflections / Réflexions Historiques, 33(1), 135-152.
- LEUPP, G. Male Colors: The Construction of Homosexuality in Tokugawa Japan, University of California Press, 1995
- REDJOU, Rachael, « Shunga: Erotic Art in the Tokugawa Era » (2016). Western Libraries Undergraduate Research Award. 10.
- de VRIES N.M. et BEST J., Thamyris 5.1 Mythmaking from past to present, Najade Press Amsterdam, 1998
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Très intéressant!!!
Merci pour ce partage.
Avec plaisir !