Au mois de mars à Bali a lieu le Nouvel An Hindou nommé Hari Nyepi, un jour de fête caractérisé par le retrait des habitants chez eux. Entre bruit et silence, rapide coup d’œil sur cette fête unique en Indonésie.
Timing Balinais
Première mise au point, Bali n’est pas hindouiste. La religion balinaise repose sur de fortes racines hindouistes entremêlées à des cultes animistes et au culte des ancêtres issus des traditions indigènes. Le sujet est complexe et passionnant mais ce n’est pas le propos ici.
Résultant de l’histoire de l’Indonésie et des différentes assimilations culturelles dont elle bénéficia, on dénombre à Bali pas moins de trois calendriers, tous utilisés :
- le calendrier grégorien
- le pawukon, importé d’Inde et utilisé par l’empire Majapahit javanais (1293 – 1527) qui le transmet à Bali
- le calendrier lunaire Saka, un calendrier venu d’Inde du sud
C’est de ce dernier calendrier Saka que le Nouvel An Nyepi provient. Nyepi se tient le premier jour du dixième mois, ce jour se nomme Kedasa et tombe généralement en mars. Lors de cette journée très particulière, Bali devient silencieuse et déserte : les habitants restent chez eux, jeûnent et consacrent leur journée à la médiation. Aujourd’hui la tradition est toujours respectée avec ferveur : aucun avion n’est autorisé à décoller ou atterrir et ce n’est pas non plus le moment d’aller profiter de la plage avec noix de coco et mini parasol. Des gardiens veillent à ce que la tradition soit scrupuleusement respectée car le jour de Nyepi conditionne l’équilibre de l’année à venir.
La veille, les pratimas, de petites sculptures, souvent en bois et servant de « réceptacles » aux dieux et ancêtres sont symboliquement lavées dans des sources sacrées ou dans l’océan, c’est le rituel melasti.
Melasti – purification dans l’océan. © Threads of life Bali
Mais ce sont avant tout des offrandes fabriquées à l’occasion de la veille de Nyepi dont dépend l’équilibre de l’année à venir. Ces offrandes sont différentes des offrandes quotidiennes canangque l’on peut admirer chaque jour à Bali.
Alors que les canang sont destinées aux divinités de haut rang (comme Shiva par exemple), les offrandes de la veille de Nyepi se nomment caru et sont spécifiquement adressées aux Bhutas Kalas les forces négatives et perturbatrices de la terre, des démons qui se plaisent à tourmenter les humains. Ces offrandes sont installées sur des nattes faites de feuilles de cocotier aux carrefours des villages et aux endroits dangereux, lieux où les humains sont les plus à mêmes de faire la malencontreuse rencontre d’un Bhuta Kala.
L'antique opposition entre ceux qui mangent des graines et ceux qui mangent ceux qui mangent des graines.
Ces Bhutas Kalas sont peu sensibles au raffinement et à la délicatesse exigés par les autres divinités dans la préparation des offrandes qui leur sont adressées. Gloutons, ces esprits malins font voracement main basse sur à peu près tout ce qui leur passe sous la main et sont peu enclins au régime yummy-smoothie-céleri comme leurs collègues de la haute. Leur kiff gustatif donnerait plutôt dans la bonne grosse viande sanguinolente d’animaux sacrifiés spécialement pour eux. S’ils avaient connaissance du MacDo, ils boufferaient l’intégralité de l’établissement. Les Balinais préparent donc pour eux une offrande « caru » spéciale appelée panca sata. Cette dernière nécessite cinq poulets de différentes couleurs.
La symbolique des couleurs est très importante dans le système d’offrandes balinais car l’ordre cosmique balinais repose sur la position « spatiale » attribuée à chaque dieu et la couleur qui lui est associée :
- Vishnu et la couleur noir se placent au nord
- Mahadewa et le jaune sont à l’ouest
- Brahma associé à la couleur rouge est au sud
- Iswara et le blanc sont à l’est
- Shiva tout puissant est logiquement multicolore et prend place au centre
La veille de Nyepi, en fin d’après-midi, les Balinais sortent dans la rue et se mettent à faire du bruit, beaucoup de bruit. Ils tapent sur des plats en métal, des bidons, utilisent des pétards, crient, dans le but de réveiller ces sales petites feignasses de Bhutas Kalas pour qu’ils découvrent et profitent des offrandes faites spécialement pour eux, dévorent tout aux frais de la princesse, en échange de quoi ils ne sont pas sensés refoutre les pieds à Bali pendant un long moment.
Il ne s’agit pas, comme il est communément expliqué dans les guides, de leur faire peur. Au contraire, les Balinais les attirent pour qu’une fois rassasiés, les démons acceptent de ne pas (trop) les ennuyer pendant l’année à venir. De la même manière, le silence qui règne sur l’île des dieux le lendemain, le jour de Nyepi, n’est pas un subterfuge pour faire croire aux démons qu’il n’y a personne à embêter à Bali. Avec tout le tapage fait la veille, même le démon le plus demeuré sait que l’île n’est pas déserte.
Bali déserte le jour de Nyepi
Ce silence est au contraire une marque de reconnaissance envers les Bhutas Kalas : les Balinais gardent humblement le silence pour signifier leur contentement à voir les démons satisfaits des offrandes qui leur ont été faites. Ils signifient ainsi leur reconnaissant de la garantie que les Bhutas Kalas foutent la paix aux humains, au moins quelques temps.
Le jour de Nyepi est une sorte de purification par le silence, le jeûne, la méditation qui permet d’aborder la nouvelle année comme un nouveau commencement. Les offrandes caru spécialement préparées pour ce jour participent activement à ce nouveau départ. Elles rappellent aux Bhutas Kalas quel est l’ordre du cosmos et les encouragent à le respecter en échange de poulets KFC en technicolor. Une fois ce respect acquis, la nouvelle année peut commencer sereinement, sans crainte des démons turbulents et malveillants.
- BAKAN Michael B., Music of Death and New Creation, experiences in the world of balinese gamelan beleganjur, The University of Chicago Press Books, December 1999, Chicago
- EISEMAN Fred B. JR, Bali Sekala and Niskala, Essays on Religion, Ritual, and Art, 1990, Singapour
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