Cet article s’intéresse uniquement au ballon en tant qu’objet. Le football étant pour moi aussi abscons que l’est le maniement d’un couteau pour un gallinacé, cet article ne prendra aucune position forte sur les choix douteux de la FIFA ou sur la pertinence de jouer au ballon en plein désert.

Tour du monde

Il est l’objet le plus important de chaque coupe du monde, celui dont chacun essaie de s’emparer : le ballon, cet objet rond et plus ou moins rigide qui ne déchainerait pas autant de passions s’il eut été carré. Car il s’agit bien là de sa caractéristique principale : le ballon roule. Il roule tant et tant qu’il déclenche depuis les origines des pulsions maniaques terribles auxquelles peu sont capables de résister. Depuis que la balle roule, l’homme essaie de s’en emparer afin de « ranger » l’objet réticent dans un « but ». Le mot n’est pas choisi au hasard, faire entrer le ballon dans un filet est un véritable objectif. Alors pourquoi l’avoir créé rond quand des angles auraient éviter un effort inutile ? Car l’être humain est joueur (et maso) mais surtout maso joueur.

La plus ancienne trace d’une balle de jeu se trouve dans la civilisation chinoise où le Cù jū chinois est à la fois un exercice militaire brutal et – dans une version plus douce – un loisir apprécié des élites. Formé du mot Cù signifiant frapper et de jū signifiant balle, le Cù jū oppose plusieurs joueurs essayant de faire entrer la balle dans un but.

Sous les Tang (618 – 907), la balle est faite d’une vessie d’animal gonflée et recouverte de cuir. Ce modèle fera fureur pendant de nombreux siècles partout dans le monde.

Sous la dynastie Song (960 – 1279), la balle pouvait aussi être faite de cuir et remplie de matériaux mous comme des poils d’animaux ou des plumes.

Huang Shen (vers 1682 ou 1687, mort après 1768). Peinture de Cù jū, XVIIIe siècle. Encre sur papier
Huang Shen (vers 1682 ou 1687, mort après 1768). Peinture de Cù jū, XVIIIe siècle. Encre sur papier

Les Japonais jouaient (et jouent encore) au Kemari (littéralement « balle frappée ») introduit au début du VIIe siècle et directement inspiré du Cù jū. Là encore, le raffinement japonais rend ridicule à peu près toute tentative de dignité pour un autre peuple.

Tsukioka Yoshitoshi (Japon, 1839-1892) Tokugawa Yoshimune jouant au Kemari Xylographie, 1875
Tsukioka Yoshitoshi (Japon, 1839-1892) Tokugawa Yoshimune jouant au Kemari Xylographie, 1875

Le but n’est pas ici d’envoyer une balle dans un but mais de la maintenir en l’air le plus longtemps possible sans la faire tomber. À la place des maillots moches et synthétiques, les délicats joueurs nippons sont vêtus de vêtements de cour et leur balle (mari) est cousue de peau de cerf parfois mouchetée et remplie de sciure.

Balle de Kemari japonais © Kyotokiss.com
Joueur de Kemari en tenue traditionnelle japonaise.

Notre Antiquité romaine connut elle aussi la joie de courir après une balle : le jeu avait pour nom Harpastum, mais on ne connaît ni véritablement les règles ni l’objectif de cette discipline. Ce que l’on sait en revanche c’est que la balle nommée pila était faite de bandes de cuir enroulées.

Et de constater que ni le bikini, ni le football, ni le beach volley ne sont des inventions modernes.

Mosaïque de la villa romaine du Casale, Piazza Armerina, Sicile. Construction débutée à la fin du IIIe siècle.

De nos jours en Asie du sud-est, on joue (pieds nus) avec une balle faite de rotin tressé. Le jeu nommé Chinlon en Birmanie trouve son équivalent dans le sepak takraw thaï et malais. Pour l’avoir vu de mes yeux, je peux t’assurer qu’au bruit que fait la balle sur un pied, ce jeu ressemble plus à une punition qu’à un loisir. Aujourd’hui les joueurs professionnels jouent avec des balles en plastique et des chaussures (ces tocards). Les joueurs plus humbles sont en revanche plus durs à cuire.

Partie de Chinlon en Birmanie (à laquelle je n'ai pas participé pour d'évidentes raisons podologiques).

"Au Mexique", le football reconnaissant

Néanmoins, ceux à qui le ballon rond moderne doit tout, ceux sans qui rien n’aurait été possible sont également ceux chez qui le jeu de balle fut – il y a bien longtemps – un véritable prélude aux cérémonies rituelles et parfois aux sacrifices : les Aztèques et les Mayas.

Les civilisations mésoaméricaines considéraient le jeu de balle comme un jeu rituel basé sur des croyances religieuses. Il possédait une signification cosmologique complexe très importante. Il était à la fois un jeu et une forme de guerre rituelle. Le jeu se nommait pitz en maya classique, pok’ol pok en maya yucatèque, tlachtli ou ullamaliztli en náhuatl, ou encore taladzi en zapotèque.

Notons qu’à l’occasion de leurs « tournois » il n’était pas rare que l’on sacrifiât le capitaine de l’équipe perdante ce qui, tu t’en doutes, pimentait grandement le jeu.

C’est en particulier leur balle qui révolutionna le monde du ballon puisqu’elle fut la première fabriquée en caoutchouc. Contrairement à ses descendantes, cette balle mésoaméricaine était remplie d’eau et non d’air. Le caoutchouc fut l’élément essentiel du futur triomphe des jeux de balles et ballons. Toutes les conditions étaient réunies pour faire de ce matériau un futur grand favori dans la fabrication des balles occidentales : de merveilleuses capacités élastiques, un rebond incomparable et une souplesse admirable. Or le caoutchouc ne pousse pas sous le sabot d’un cheval gaulois.

Balle olmec (Mexique) en caoutchouc retrouvée lors de fouilles et datée de plusieurs siècles (pas de datation précise) © National Geographic
Balle olmec (Mexique) en caoutchouc retrouvée lors de fouilles et datée de plusieurs siècles (pas de datation précise) © National Geographic

Par manque de savoir-faire, le caoutchouc ne fut donc pas exploité dans le domaine de la baballe avant le XIXe siècle.

De la vessie au Wifi

C’est véritablement en 1890 que la production industrielle de caoutchouc se met en marche. Les vessies animales recouvertes de cuir et jusqu’alors utilisées partout en Europe pour les jeux de balle disparaissent peu à peu au profit de « vessies » en latex (la forme liquide dont est extrait le caoutchouc). Elles se gonflent facilement et sont moins fragiles que les vessies animales.

Parallèlement, en cette fin de XIXe siècle, les ouvriers anglais se voient généreusement allégés de leur obligation de travail le samedi. Le football autrefois sport de riche se démocratise. En 35 petites années, la Football Association britannique voit ainsi le nombre de clubs exploser passant en Angleterre de 50 à … 10 000 clubs de football. Une augmentation colossale qui exigea un nombre considérable de balles.

Si les vessies en latex ont remplacé les vessies animales, l’aspect de la balle ne change pas. L’extérieur est fait de bandes de cuir cousues entre elles. La nécessité de devoir regonfler régulièrement la vessie explique la présence d’une couture laissée ouverte et que l’on referme par un lacet.

Ballon de la finale de la Coupe du Monde de 1930 © National Football Museum
Ballon de la finale de la Coupe du Monde de 1930 © National Football Museum
Ballon de football en cuir, XIXe siècle © Sebastian Holland
Ballon de football en cuir, XIXe siècle © Sebastian Holland

La fragilité du cuir imposait une attention méticuleuse. Jouer dans la boue ou sur la neige nécessitait d’enduire la balle de paraffine ou de mine de plomb. On pouvait aussi la frotter avec une bougie. Une fois le match terminé, il fallait nettoyer puis appliquer généreusement du saindoux ou de la graisse de phoque sur le cuir. Jouer à la balle était donc aussi affaire de popote.
Pour cette raison – car il ne sied pas à un bonhomme de tartiner du cuir – et aussi car les inconvénients minaient le plaisir des troisièmes mi-temps, les Anglais, les Allemands et les Français s’essayèrent à tester les ballons en plastique. Dans les années 1920, Michelin initia une fabrication en série destinées aux enfants mais le résultat ne fut pas à la hauteur des attentes : les balles se révélèrent dures en hiver et molles en été, bref : pourries.

Ballon de la coupe du monde en Uruguay en 1930 © National Museum of Football, Manchester
Ballon de la coupe du monde en Uruguay en 1930 © National Museum of Football, Manchester

L’avènement de la télévision et des matchs en nocturne allaient entraîner un premier changement révolutionnaire dans l’aspect même du ballon. Ce dernier se pare peu à peu des couleurs blanche et noire que l’amateur de football lui a longtemps connu et ce pour être une bonne raison : grâce à ces couleurs contrastées, le ballon est mieux visible sur les écrans de télévision – alors en noir et blanc – mais aussi par les joueurs lorsque la nuit tombe sur le terrain. Le ballon suit la modernité : à lui la télé et l’électricité.

Le cuir tire finalement sa révérence lors de la Coupe du Monde de 1986. La firme ADIDAS présente lors de la compétition – qui se tient cette année-là au Mexique – le ballon Azteca. Entièrement synthétique, il rend un hommage légitime et mérité aux cultures précolombiennes. Depuis cette merveilleuse année, les ballons de foot sont un enjeu capital dans le business du football mondial.

Le ballon Azteca produit par Adidas pour la coupe du monde organisée au Mexique en 1986. © worldcupballs.info
Le ballon Azteca produit par Adidas pour la coupe du monde organisée au Mexique en 1986. © worldcupballs.info

Chaque coupe de monde y va de sa nouvelle prouesse technologique et tous les 4 ans des ballons toujours plus performants roulent sur les gazons des plus grands stades du monde. ADIDAS l’assure, le ballon du futur est un domaine où « on peut tout imaginer maintenant avec les nouvelles technologies : des ballons connectés calculant la vitesse de frappe, avec une caméra embarquée, résistant à tous les climats… Tout est possible ».  (SoFoot, Des labos aux pelouses, le ballon au centre de toutes les attentions, écrit par Aymeric le Gall et paru le mardi 15 décembre 2015).

Ballon officiel de la Coupe du Monde de football 2018 © ADIDAS
Ballon officiel de la Coupe du Monde de football 2018 © ADIDAS

Une chose en revanche n’est pas prête de changer : l’incapacité humaine à rester stoïque face à une balle. Comme les chiens (Oh ça va, je déconne).

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