Entre parasol Ricard et inoffensif petit parasol dans ton verre de Bloody Mary, le parapluie de l'été est partout, de la terrasse de restaurant à la plage. Il y a encore quelques centaines d'années, ton humble personne n'aurait probablement pas eu les honneurs d'un repos à l'ombre. Et pas de repos tout court d'ailleurs.

De l’époque babylonienne à nos jours, cet objet à première vue d’une affligeante banalité occupe avec son cousin parapluie une place primordiale dans la mise en scène du pouvoir politique et religieux. Si tu en doutes, souviens-toi de cet épisode pluvieux du quinquennat de Nicolas Sarkozy : alors qu’Angela Merkel portait elle-même son parapluie Nico se le faisait porter. Un mini scandale tenant à l’ambivalence d’un objet banal lorsqu’il était tenu par la chancelière allemande mais devenu politique lorsque le président français faisait tenir le sien par un larbin.

Attelage de la garde d’honneur découvert en 1979, site de Leitai. Musée provincial du Gansu. © Guimet

Rien de nouveau finalement, le parasol (et son cousin parapluie dans les pays tempérés) est un objet de pouvoir depuis la période babylonienne (IIe millénaire avant J.C. jusqu’au début de notre ère). Non pas parce qu’il faut éviter que le représentant de l’autorité religieuse ou politique (ou les deux) n’ait l’air idiot avec un coup de soleil, mais bien parce que la forme même que l’homme a donné à cet objet est empli d’une très forte symbolique que l’on retrouve partout dans le monde.

Marche à l'ombre

Le parasol n’est pas né rond, on l’a choisit rond. Plus tard, pour des raisons essentiellement esthétiques, de nouvelles formes apparaitront. Cette forme là, nous la devons au début de l’écriture vers 3000 ans avant J.C. dans le monde oriental, dans la région du Croissant fertile. L’influence de cette civilisation va s’étendre pendant plusieurs millénaires de l’est de la Méditerranée aux côtes du Golfe Persique et avec elle ses motifs et les idées qui s’y rattachent.

Dès les débuts de l’écriture, le cercle s’installe et correspond à une idée de chiffre parfait : son tracé est stable et ne semble jamais s’arrêter. Ce « grand nombre » comme il était appelé par les Babyloniens se nommait shar et signifiait le Tout, la Totalité et par extension l’Univers.

Ce grand nombre égal à 360 incarnait également le temps car il correspondait aux 360 jours de l’année. Ce qui laisse supposer que cette forme ait pu être inspirée par la course solaire ; émergeant de la terre et décrivant un arc dans le ciel tout au long de la journée avant de s’enfoncer dans le sol, il était logique d’imaginer que l’astre puisse reproduire le même trajet « sous » la terre à la nuit tombée. La course complète formait alors un cercle parfait.

Puis la fragmentation de cette forme parfaite aurait donné naissance à des entités de plus en plus « spécialisées » portant chacune l’emblème du Tout mais figurées par une baguette courte. Le cercle est assimilable au Cosmos tandis que la baguette est assimilable à l’unité. La baguette aussi le lien unique qui relie le Cosmos à la terre et donc au monde humain.

Il se trouve qu’en plus d’avoir l’écriture, la Mésopotamie bénéficie d’un ensoleillement très soutenu tout au long de l’année. Se protéger du soleil est de fait un réflexe quasiment naturel. En couplant cette nécessité à la symbolique du cercle et du bâton, on obtient assez rapidement un parasol. Les autorités politiques et religieuses eurent tôt fait de repérer l’opportunité d’élever la fonction du monarque à l’aide du parasol. Protéger par ce cercle symbolisant le cosmos, le souverain incarne la fameuse baguette (ou en tous cas son prolongement) et ainsi le messager élu par le Cosmos pour interférer avec les pécores.

L’usage du parasol se répandit vers l’Europe et vers l’Asie. Dans le monde arabe, ce parasol est nommé mizalla et son usage remonte aux Abbassides qui le tenaient eux-mêmes de la civilisation persane. Plusieurs sources témoignent de l’usage du parasol par les Califes de Bagdad entre le IXe et le XIIe siècle puis c’est pratiquement tout l’Orient musulman qui s’empare de cet emblème du pouvoir : Samânides et Alavides (Iran), Saljûkides (Iran puis Irak et Asie Mineure), Mamelûk (Égypte, Levant et Hedjaz), Timûrides (Asie centrale et Iran) mais aussi Mongoles et Moghols (Inde) l’utilisent encore au XVIe siècle.

Le monde européen prend connaissance de l’objet et de sa symbolique via les souverains byzantins. Les souverains européens trouvent ça cool et adoptent la mode mais surtout, le parasol devient un insigne ecclésiastique, notamment papal.

Dans le monde chrétien, ce parasol porte le nom de Pavillon, ombrellino ou Gonfalon. Il est présent dans toutes les églises ordonnées basiliques par la volonté du Pape, car il s’agit bien là d’un titre honorifique. À demi ouvert dans les basiliques mineures et complètement déployées dans les basiliques majeures, il est de soie jaune et rouge et surmonté d’un globe de cuivre doré orné d’une croix. On peut difficilement faire moins symbolique. Le Pavillon est aussi, selon l’Église, le signe de communion avec l’évêque de Rome : donc avec l’homme unique qui est relié à la ligne directe de Dieu, comme chez ces bons vieux Mésopotamiens.

En Inde, le chatra est un insigne de la royauté et symbolise la protection du peuple. Il est d’ailleurs un des huit objets auspicieux de l’hindouisme, du bouddhisme, du jaïnisme et du sikhisme.

Le Parasol (chatra). Jeu de carte initiatique (Tsakali) XIVe/XVe siècle, Tibet. Encre et aquarelle sur papier © Art Institute Chicago

En couleur

Cet objet protecteur du peuple ne peut pourtant pas abriter tout le peuple. Il abrite donc une seule personne, le souverain, représentant de ses sujets. N’étant pas avare de distinctions honorifiques, le monde asiatique a mis en place un système de parasol à étages. Plus il y a d’étages, plus la personne qui est dessous est hiérarchiquement élevée dans la société.

Chatra fabriqué dans la ville d'Udaipur, Inde. Velours, lin, papier et laiton doré, XVIIIe / XIXe siècle. Victoria & Albert Museum, Londres. © Victoria & Albert Museum
Parasol royal à 9 étages du Grand Palais de Bangkok, Thaïlande

À Bali en Indonésie, les divinités sont protégées par un parasol marquant leur caractère sacré.

Statues de divinités balinaises protégées par leur parasol. © Bourgeoisiegypsy.com

Dans la seconde moitié du XIXe siècle en Chine, il était toujours d’usage pour les dignitaires de se déplacer sous un parasol indiquant leur fonction. Largeur et couleur du parasol permettait de les identifier précisément. Les parasols rouges étaient ainsi destinés aux fonctions supérieures à celle de préfet. Certains de ces parasols rouges se distinguent par des languettes rouges brodées de noms en fil d’or ; ce sont les parasols aux dix-mille prénoms wan min san (inutile de compter, c’est juste une manière de dire qu’il y en a beaucoup). Ces parasols étaient offerts par la population reconnaissante aux magistrats qui se montraient sympas.

Luu van Sin (vietnamien, 1905 - 1983), Les Parasoliers, 1934. Encre et gouache sur soie. © Artnet

En Asie, et particulièrement en Chine et au Japon, l’usage de l’ombrelle (qui n’est ni plus ni moins qu’un parasol pour roturiers) est encore très répandu dans toute la société. On en trouve dans toutes sortes de matière : en soie, en papier, en papier huilé, en coton et même en bois laqué comme en Birmanie. Cet usage encore soutenu tient à des canons esthétiques préférant les peaux les plus claires possibles ; les femmes évitent donc autant que possible de s’exposer au soleil.

Ombrelle chinoise, XVIIIe / XIXe siècle. Musée des Ombrelles de Hangzhou, Chine © xsally90.wordpress.com
Ombrelle chinoise, XVIIIe / XIXe siècle. Musée des Ombrelles de Hangzhou, Chine © xsally90.wordpress.com

Sur tous les continents on retrouve le parasol en emblème du pouvoir, il serait vain de vouloir en faire le tour. Néanmoins, les parasols des Incas, Aztèques et peuples d’Amérique du sud valent le détour. Nommés achiwa chez les Incas, ces parasols caractérisant le pouvoir royal sont réservés à l’usage des élites et devaient être parfaitement merveilleux puisqu’ils étaient fait de plumes d’oiseaux multicolores importées de la forêt amazonienne.

On retrouvait dans ces parasols magnifiques des plumes d’ara et de perroquets bien sûr mais également de canards de Barbarie, de flamands roses, d’aigrettes et de tangaras paradis. L’effet devait être somptueux et il impressionna les colons espagnols qui en laissèrent plusieurs témoignages écrits émerveillés. Malheureusement, les rares représentations que nous en avons aujourd’hui sont très fades comparées à ce que ces parasols devaient être dans la réalité.

Mariage de Martin de Loyola avec la Princesse Dona Beatriz et Don Juan Borja avec la Princesse Lorenza. École de Cuzco, 1718. Huile sur toile. Musée Pedro Osma, Lima, Pérou

Il est très probable que ces parasols en plume d’oiseaux exotiques aient ressemblé à ça :

Panache de plumes d'oiseaux exotiques. Culture Chancay, Pérou, 1100 - 1450 après J.C. Musée Amano du textile Pre-Colombien. Lima, Pérou  © artsandculture.google.com
Panache de plumes d'oiseaux exotiques. Culture Chancay, Pérou, 1100 - 1450 après J.C. Musée Amano du textile Pre-Colombien. Lima, Pérou  © artsandculture.google.com

Autre temps, autres mœurs. Aujourd’hui les parasols n’ont de faste que le souvenir :

© Markenglas.de
© HEB
  • DAKHLIA Jocelyne, « Pouvoir du parasol et pouvoir nu », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles[En ligne],  | 2005, mis en ligne le 27 août 2010
  • MOULINE N., Le califat imaginaire d'Ahmad al-Mansûr: Pouvoir et diplomatie au Maroc au XVIe siècle, Presses Universitaires de France, Paris, 2015
  • Sous la direction d’Auguste RACINET (1825 – 1893), Le Costume Historique, planches et texte sur la Chine uniquement, Firmin-Didot, Paris, 1888
  • RUTTEN Marguerite. Les emblèmes géométriques dans la civilisation ancienne du Moyen-Orient. In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, tome 2, n°4, 1949. pp. 333-339
  • SPEED WILLIAMS C.A., Chinese Symbolism and Art Motifs Fourth Revised Edition: A Comprehensive Handbook on Symbolism in Chinese Art Through the Ages, Tuttle Publishing, 2012 (4eédition)
  • STANFIELD-MAZZI M., Object and apparition : Envisioning the Christian Divine In the Colonial Andes, University of Arizona Press, 2013
  • URTON G. et Von HAGEN A., Encyclopedia of the Incas, Rowman & Littlefield Publishers, 2015
  • nytimes.com