Les rhumes, virus et autres miasmes t'assaillent de toutes parts ? Avant d’ingurgiter une boîte de Fervex au premier mot de tête, prends le temps de jeter un coup d’œil non pas à la posologie mais aux ingrédients. Crois-moi, on n’est jamais trop prudent.
De l'influence de Google Translate dans la thérapeutique médiévale
L’image illustrant cet article étant parfaitement contractuelle, je m’en vais t’expliquer pourquoi la momie fut longtemps un Aspégic sérieux. La raison de cette présence incongrue tient essentiellement au manque d’assiduité des préposés à la médecine et à la pharmacie médiévales, personnages savants qui ne brillèrent pourtant pas en cours de langues, préférant sans doute le délicieux argot médiéval à la délicatesse du persan ou de l’arabe.
L’étymologie du mot « momie » est instructive. En persan, le mot موم, mūm signifie « cire » et donnera en arabe le mot مومياء mūmiyā « mélange de poix et de bitume ; substance dont les Égyptiens se servaient pour embaumer leurs morts ».
Saisis-tu le malaise ? La momie n’est pas un macchabée emmailloté dans des bandelettes mais bien la substance qui sert à l’embaumement. La seule incompréhension explique-t-elle qu’un cadavre égyptien empaqueté puisse se retrouver émietté au fond d’une apothicairerie médiévale ? Je répondrai par la négative. Les débuts de la momie en pharmaceutique connurent un relatif bon début dans la France du XIIIe siècle.
À cette époque, le mot « momie » dérivé du latin médiéval mumia désigne encore une substance bitumeuse servant à l’embaumement et par extension le terme « momie » est employé pour désigner une « drogue médicinale de composition visqueuse, constituée de bitume et de poix » (Utilisation des momies de l’antiquité à l’aube du XXe siècle, p.307). À partir de la fin du XIIIe siècle, la signification de « momie » va dangereusement dériver, entrainant avec elle la déliquescence des remèdes pharmaceutiques dont l’acmé sera atteint au XVIIe siècle lorsque la « momie » adopta sa signification moderne, à savoir un cadavre conservé grâce à l’embaumement selon un procédé égyptien.
La période moderne traita donc ses malades avec de la momie – et pour la grande majorité des remèdes, il s’agissait bien de morceaux de cadavres embaumés réduits en poudre.
Néanmoins, de nombreuses querelles de l’époque témoignent d’un sérieux doute quant à la nature véritable de la momie. La question se pose : s’agit-il d’une mécompréhension des textes antiques traduits par les humanistes ou traite-t-on ici d’un véritable cadavre préservé par l’embaumement ?
Au Moyen-Âge (du Ve au XVe siècle, pour faire simple), la momie est une substance que l’on trouve au Proche-Orient et dont témoignent Dioscoride (environ 40 – 90 ap. J.C.), Pline l’Ancien (23 – 79 ap. J.C.) ou Rhazès (vers 850 – 923 ap. J.C.), ce dernier étant considéré comme l’Hippocrate de la médecine arabe. Cette substance, c’est le bitume ou l’asphalte dont l’usage était recommandé en traumatologie.
Le bitume est un produit issu du pétrole et l’asphalte un mélange de bitume et de roche calcaire. On possède des traces de l’utilisation du bitume au Proche-Orient depuis le Paléolithique. Les civilisations mésopotamiennes utilisaient déjà ces substances comme produit cosmétique. Le bitume et l’asphalte furent aussi utilisés comme mortier, comme combustible, comme moyen d’éclairage et même comme désodorisant ou désinfectant. Surtout, et c’est important concernant notre sujet, bitume et asphalte entrent dans la composition des baumes destinés au processus de conservation des corps : la momification.
Deux hypothèses formulées par Jacques Connan (professeur à l’Université de Strasbourg et spécialiste mondialement reconnu, rock-star du bitume et de ses applications en archéologie) permettent d’expliquer ces utilisations du bitume dans la pharmacopée.
La première hypothèse s’appuie sur l’effet antiseptique du bitume reconnu dès la plus haute antiquité. La seconde propose une influence de la pratique égyptienne consistant à noircir les momies car la couleur noire était chez les anciens Egyptiens synonyme de renaissance.
Depuis le IIIe millénaire avant J.C., les Égyptiens étaient connus pour embaumer leurs morts. Hérodote décrit d’ailleurs le processus d’embaumement (Histoire, Livre II, 86) et précise qu’après que le cerveau et les entrailles aient été retirés et remplacés par des mélanges d’aromates, la cadavre était desséché puis après 70 jours on l’enveloppait dans des linges enduits d’une sorte de cire faite de bitume.
Page du Livre des Morts de Hunefer détaillant une séance d'embaumement.
Circa 1275 avant notre ère. Thebes, Égypte. © British Museum
Imagine-toi deux minutes vivant sans Wikipedia. Considérant cette dystopie surprenante qui fut tout de même la réalité la plus longue de l’histoire humaine, ne te semblerait-il pas magique qu’un processus soit capable de conserver des corps humains morts pendant des millénaires ?
La conclusion te semblera dès lors évidente : ces corps sont parvenus quasiment intacts jusqu’à toi grâce à ce merveilleux bitume. Alors, dans ta quête vaine et inconsciente d’immortalité, tu en viendras peut-être à « t’imprégner » de cette substance dans une ultime tentative pour préserver tes chairs de leur inéluctable et lente décomposition (quoique la rapidité dépende de l’environnement).
C’est précisément ce qui se passe au cours du Moyen-Âge. Et au fil du temps, les propriétés de l’asphalte et du bitume furent transposées aux corps dont ils provenaient.
La combinaison des différents ingrédients nécessaires à l’embaumement a véritablement fasciné le Moyen-Âge et selon le principe similia similibus curantur (les semblables se guérissent par les semblables), les momies au sens des corps embaumés ont commencé de devenir une sorte de panacée préservant de la mort.
La transition menant du bitume à la poudre de cadavres égyptiens embaumés ne s’est pas faite en une nuit, les mecs y sont allés crescendo mais n’ont pas tellement perdu de temps non plus.
Au commencement, il est donc admis que ce sont les substances utilisées pour l’embaumement qui préservent le corps. On s’attache alors davantage aux bandelettes qu’au corps lui-même. Les bandelettes sont grattées pour récupérer les huiles résineuses, la fameuse « momie ». Et puis peu à peu, ça dérape.
À la fin du Moyen-Âge une intéressante distinction apparaît entre la momie dite « naturelle » et celle dite « artificielle ». L’utilisation de cette dernière semble être née grâce à un médecin du Caire qui précise dans un traité sur l’emploi du bitume comme médicament qu’en cas de « difficulté pour se procurer du bitume, il est possible d’utiliser des corps momifiés ». Oh la brillante idée.
La momie naturelle serait donc le bitume tel qu’il est utilisé au Proche-Orient et la momie artificielle, du bitume utilisé au cours du processus de momification puis récupéré. Sauf que l’Europe de cette époque a peu de second degré et en lieu et place du bitume récolté sur les bandelettes des momies, nous avons compris qu’il était possible d’utiliser littéralement des « corps momifiés ».
Rapidement, la poudre de momie devint un élément indispensable à la pharmacopée médiévale. Je ne t’apprendrai rien, toi le fin connaisseur des habitudes de nos rois de France, en te rappelant que François Ier (1494 – 1547) portait toujours sur lui une petite réserve de poudre de momie mêlée à de la poudre de rhubarbe (pour le goût, c’est comme le sirop pour les enfants) qu’il lui suffisait de mélanger à un peu d’eau de vie (comme le sirop pour les enfants) en cas de maux de tête ou d’attaques bactériologiques.
Le deal de momies frelattées, l’ancêtre méconnu du trafic de drogue
Ambroise (Paré 1510 – 1590), chirurgien à qui tu dois beaucoup – notamment l’affirmation que les licornes n’existent pas – Ambroise donc, dénonce déjà l’incroyable contrebande de corps servant à fabriquer de fausses momies :
La momie se fait et se façonne en notre France où l’on dérobe de nuit les corps au gibet, puis on les cure, ôtant le cerveau et les entrailles avant de les faire sécher au four. Après, on les vend pour vraies et bonnes momies et, dit-on, les avoir achetées de marchands portugais et avoir été apportées d’Égypte. Mais qui voudra rechercher, comme je l’ai fait chez les apothicaires, trouvera des membres et portions de corps morts, voire tout entiers, embaumés de poix noire, lesquels sentent une odeur cadavéreuse.
D’après Ambroise, les DLC courtes étaient monnaie courante sur le marché de la momie et il n’est pas le seul à l’affirmer. De nombreuses recherches historiques ont révélé un circuit bien installé de momies entières ou déjà conditionnées qui embarquaient à Alexandrie sur des bateaux vénitiens ou portugais à destination de Lyon puisque la France se positionnait en première consommatrice mondiale de médicament miracle (comme aujourd’hui avec les anxiolytiques).
Pour faciliter l’expédition de ces « produits exotiques », les marchands égyptiens réduisaient en poudre des momies entières ou fabriquaient même de fausses momies à partir de cadavres récents – souvent des condamnés à mort – et leur faisaient subir une momification grossière en les enterrant quelques temps dans le sable du désert.
En France, la même supercherie ne se fit pas attendre et selon l’adage « en France, on n’a pas de sable, mais on a des idées » voici que le marché de la momie fut alimenté par des momies made in France qui, comme le remarque justement Guy de la Fontaine (médecin du roi de Navarre en 1564), n’étaient pas de toute première fraicheur rapport à leur mort prématurée due à la peste, le choléra ou à une bonne vieille gangrène.
Rappelons aussi que les vertus médicinales de la momie ne concernaient que les momies humaines. Mais voilà qu’au XVIe siècle, l’Égypte commença d’être un peu à sec côté humain. Dieu merci, il restait encore un paquet d’animaux sacrés momifiés en réserve.
Or une momie de chat sur laquelle on a fixé une tête de nourrisson fraîchement décédé passe aisément pour la meilleure des cames sur le marché français. On ne répétera jamais assez l’importance de lire les étiquettes. Le fameux label « momie véritable » ne signifie pas que tout le produit est en véritable momie égyptienne. Une lecture attentive des étiquettes auraient certainement évité à nombre de braves gens de se choper une toxoplasmose pharaonique deux fois millénaires.
À défaut de momie humaine, une momie de chat sur laquelle on collait la tête d'un nourrisson fraîchement décédé faisait un doliprane de première qualité en France.
Momie égyptienne d’un chat. Circa 332–30 avant notre ère. © Smithsonian’s Natural History Museum.
Tous les chirurgiens médiévaux employaient la poudre de momie comme substance anesthésiante, calmante, cicatrisante, désinfectante et hémostatique puisque les plus anciens récits de médecins arabes attestaient de son efficacité. Au XVIe siècle en particulier, l’usage de la momie (emmaillotée, pas bitumeuse) se généralise.
Jérôme Cardan (1501 – 1576), médecin italien en fait l’apologie. Nicolas Lémery (1645 – 1715), apothicaire, chimiste de formation et médecin classe même l’homme parmi les « drogues simples » au même titre que les plantes médicinales qui peuvent être consommées sans être modifiées.
Les qualités de la momie (bitume) sont notamment attestées par le médecin arabe Avicenne (980 – 1037) qui utilise la momie pour guérir les éruptions, les fractures ou contusions, les paralysies et toutes sortes de maux. Il faut attendre le XVIe et XVIIe siècle pour que les détracteurs de la momie révèlent enfin la méprise entourant ce terme. Pour étayer leurs propos, ils précisent que chaque médecin digne de ce nom connaît les ingrédients nécessaires à un embaumement réussi et ne pourrait donc aucunement confondre la momie bitume avec la momie Ramsès III.
Même si chacun y va de son petit apport personnel comme les apprentis Top Chef s’épanchent sur Marmiton, les ingrédients demeurent grosso modo les mêmes : des aromates, des aromates et des aromates. C’est ce qu’on utilise déjà dans les pommes de senteurs.
Pourtant le commerce perdure car le souci de qualité de la matière première est bien peu de choses lorsque le corps d’un pestiféré se vend à prix d’or seulement quelques heures après sa mort.
Ingérer un cadavre momifié réduit en poudre est-il en adéquation avec la pratique médicinale antique recommandant l’utilisation de « momie » pour tout et n’importe quoi ? Et, en poussant un peu, est-ce Jesus compatible ? Puisque le type servait à l’apéro son sang et sa chair, on peut penser que oui mais il semblerait que finalement, non. Deux poids deux mesures, le credo des Chrétiens.
Pour Ambroise (Paré toujours) c’est un non négatif. Il exprima son refus agacé dans un texte daté de l’an 1582 et dans lequel il explique que la consommation de momie en tant que corps momifié et réduit en poudre :
peut beaucoup plus nuire qu’aider, à cause que c’est la chair des corps puants et cadavéreux [et d’ajouter que] le fait est tel de cette méchante drogue, que non seulement elle ne profite en rien aux malades, comme j’en ai plusieurs fois eu l’expérience par ceux auxquels on en avait fait prendre, aussi leur cause grande douleur à l’estomac, avec puanteur de la bouche, grand vomissement, qui est plutôt cause d’émouvoir le sang, et le faire sortir davantage hors des vaisseaux, que de l’arrêter.
Tu m’étonnes.
Le plus curieux est que tout le monde en redemande. Et pendant plusieurs siècles qui plus est. Si la consommation de la momie était de l’ordre du placebo pourquoi Paré (Ambroise) note-t-il de tels effets secondaires ? Probablement parce que la demande est telle que la plupart des « patients » consomment de la momie frelatée, à savoir du cadavre frais emballé à l’antique.
C’est ainsi qu’au XVIIe une réflexion sur ce produit médicinal est engagée et plusieurs auteurs reconnaissent puis défendent l’idée que la chair n’a finalement que peu de valeur dans ce remède, contrairement aux aromates utilisés pour l’embaumement. Ces derniers étant rares en Europe pouvaient être extraits des bandelettes. Il s’agissait donc de récupérer les substances rares et non la chair momifiée. Grosse nuance.
Confirmation apportée au XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles par les cadeaux diplomatiques des différents rois de Perse : du bitume de Tsjam Peh, lieu dit de Perse d’où provenait le plus précieux des bitumes, déjà vendu sur les marchés européens et dans les apothicaireries sous le nom de mumia vera (vraie momie).
Ce cadeau rare et excessivement onéreux (il valait quatre fois son poids en argent) fut offert à Louis XIV (1638 – 1715) qui en obtint deux cassettes, à Catherine II de Russie (1729 – 1793) et en 1809, le Chah d’Iran Fath Ali Shah Qajar (1772 – 1834) en fit envoyer au roi d’Angleterre.
Conclusion : les pécores illettrés persistaient à être soignés par des médecins peu portés sur l’art de la traduction des textes anciens tandis que les grands de ce monde pouvaient à loisir se tartiner de bitume livré avec force révérence dans de somptueux et rutilants coffrets.
Pendant près de deux siècles, entre le XVe et le XVIIe siècle (c’est long), la confusion entre momie naturelle (bitume) et momie-cadavre-embaumé (à la fois mélange de chair et d’aromates) va perdurer. Cette confusion devient matérielle sous la forme des pots d’apothicaireries.
Soirée Tupperware
Un principe préside au rangement des remèdes et des ingrédients nécessaires à leur confection dans une apothicairerie : on ne range pas les produits dits « secs » avec les produits « humides ».
Pour les produits secs comme les plantes, les écorces, les gommes ou encore la momie en poudre, on préférera les boites en bois (ou les tiroirs insérés dans les boiseries à partir du XVIIe siècle). Pour les produits humides, l’usage recommande les pots en céramique.
Cela étant dit, on trouve dans les musées et chez les collectionneurs les deux types de conditionnement reflétant la confusion qui exista longtemps entre le bitume et la momie véritable comme nous l’entendons aujourd’hui.
Les remèdes à base de momie (fausse ou véritable) perdurèrent jusqu’au XIXe siècle où leur disparition coïncida avec l’avènement de la chimie.
Il est toujours possible de trouver des pots à « momie » anciens en céramique et en bois, des objets aujourd’hui rares mais qui témoignent des tâtonnements de la médecine, de ses hésitations entre croyances irrationnelles et propriétés avérées de ses remèdes. Qu’ils soient bitume miraculeux propre à guérir tout les maux ou corps momifié parvenu à nous parfaitement conservé, les remèdes à base de momie participent de la quête de l’éternité et de jeunesse qui occupe avec constance l’être humain depuis maintenant plusieurs millénaires. Pour une autre utilisation rock’n roll de la momie cette fois-ci dans le domaine artistique, je t’invite à découvrir cet article.
- ARCHAMBAULT de BEAUNE S., « De la beauté du geste technique en préhistoire », Gradhiva [En ligne], 17 | 2013, mis en ligne le 27 mai 2013.
- BERLEANT R., Paleolithic Flints: Is an Aesthetics of Stone Tools Possible?,Contemporary Aesthetics, Volume 5, 2007 (https://quod.lib.umich.edu/c/ca/7523862.0005.006?view=text;rgn=main)
- LORBLANCHET M., « L'origine de l'art », Diogène, 2006/2 (n° 214), p. 116-131.
- MORRISS-KAY, Gillian M. (Department of Physiology, Anatomy and Genetics, Oxford, UK), The evolution of human artistic creativity, Journal of Anatomy (2010) 216, pp 158–176
- PIEL-DESRUISSEAUX J-L, Outils préhistoriques, de l’éclat à la flèche, Dunod, Paris, 2016
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Super article
J ai adoré
Merci pour vos articles toujours très intéressants !