Les flacons de parfums sont les seuls témoins matériels des parfums antiques. Bien avant la diffusion du verre soufflé, la céramique fut massivement utilisée pour fabriquer ces flacons. Leur propriété poreuse emprisonna des résidus de cet antique parfum, résidus qui permettent aujourd’hui de reconstituer les fragrances de l’Antiquité.

Aryballe (flacon à huile parfumée) signée Nearchos, peintre athénien actif entre 570 et 555 avant notre ère. Parmi les motifs on reconnait trois Satyres, Hermès et Persée. © MET Museum

Composition des parfums : de la cuisine aromatique

Tout comme on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, il fallut sacrifier quelques flacons pour aboutir à des résultats significatifs tout aussi savoureux. Je prendrai pour exemple l’expérience menée par l’archéologue Jean-Pierre Brun en 2012 qui s’est entouré de chimistes, philologue, épigraphiste, jardinier et parfumeur pour percer les secrets de la recette du célèbre parfum à la rose d’Italie. Le parfum de rose est mentionné dès le VIIIe siècle avant notre ère et sa recette fut employée et adaptée selon les régions productrices de parfum et les ingrédients à disposition.

Flacons en céramique, culture hellénistique. IIIe - Ier siècle avant notre ère. Anciennement exposé au Cyprus Museum of Jacksonville. © Leland Little

Quelques fragments de ces flacons en céramique furent donc broyés puis l’on confia l’étude de leur composition à un éminent chimiste. Les résultats révélèrent la présence d’huiles végétales et de myrrhe. En alliant ces résultats aux sources textuelles et artistiques antiques, il a pu être attesté que les huiles végétales servaient d’excipient – c’est-à-dire de support aux matières odorantes – dans le processus de fabrication du parfum. Il pouvait s’agir d’huile d’olive, d’amande ou de sésame, ce qui est attesté par la présence de presse ou de traces de presse retrouvées dans les boutiques des parfumeurs de Campanie. Les sources textuelles comme celles du médecin Dioscoride (né en 20-40 et mort en 90 de notre ère) proposent des recettes de parfum à la rose dans lesquelles sont préférées les huiles d’olive ou de sésame. Mais il en allait surtout du goût et des moyens financiers de chacun : les recettes étaient largement adaptables.

La myrrhe quant à elle était avec l’encens une gomme-résine très précieuse au parfum puissant et donc très onéreuse. Elle semble avoir été réservée à l’élite royale ou aristocratique. Les classes plus populaires préféraient la résine de pin, arbre qui ne manquait pas dans le bassin méditerranéen et dont le parfum persistant se prêtait parfaitement à la fabrication d’huiles parfumées.

Les matières odorantes utilisées variaient selon les recettes. Les parfumeurs créaient des fragrances à partir de feuilles odorantes comme le myrte et le laurier, à partir de racines comme la marjolaine ou à partir d’aromates locaux comme le thym, le romarin, l’anis ou la coriandre ou bien exotiques telles que la cannelle et la cardamome.

La plupart des ingrédients utilisés pour fabriquer les huiles parfumées se trouvait à proximité de la boutique du parfumeur. Seules les matières odoriférantes les plus luxueuses étaient importées du Moyen ou de l'Extrême Orient.

Fresque représentant Flora. Musée Archéologique de Naples (originellement dans la Villa Ariana, Stabies). Ier siècle de notre ère.

Pour imprégner les huiles végétales de ces parfums, les parfumeurs antiques procédaient selon deux méthodes. L’enfleurage à froid consistait simplement à plonger les matières odoriférantes dans l’huile et à les laisser macérer. Puis l’huile était filtrée. Pour procéder à l’enfleurage à chaud, l’huile était chauffée au bain-marie et on y versait les matériaux aromatiques en veillant à ne pas faire bouillir l’huile.

Ces deux techniques permettaient d’obtenir une huile parfumée mais très volatile ! Il était donc ajouté aux préparations des fixateurs (fleur de sel, jonc odorant ou vin) ainsi que des conservateurs (principalement du miel ou de la cire d’abeille) au cours du processus d’enfleurage.

Fresque de la Villa Farnesina de Rome. Femme fabriquant un parfum. Ier siècle avant notre ère. © Pinterest

Le parfum pour tous

À partir du VIIIe siècle avant notre ère, la production de flacons de parfum en céramique devint massive. À Corinthe notamment, mais également dans bien d’autres cités grecques, les flacons de parfum se multiplièrent, attestant d’une démocratisation de leur usage.

D’abord lié au sacré, le parfum était considéré comme idéal pour communiquer avec les dieux, les deux ayant pour principale caractéristique d’être insaisissables. Le nom même de parfum vient de l’usage de brûler des matières aromatiques pour atteindre les dieux per fumum « à travers la fumée » (cette dernière étant également insaisissable et montant pour le même prix tout droit vers l’Olympe).

Petit à petit l’usage du parfum se répandit dans les cercles royaux puis aristocratiques (parce qu’on ne vaut pas moins que les dieux finalement) et enfin à toute la société qui déploya les fragrances dans de nombreuses sphères profanes allant des soins du corps aux raffinements les plus délicats.

Aryballe annulaire à figures noires. Elle pouvait être suspendue au poignet ou au vêtement. Corinthe, 575 - 550 avant notre ère. © Christie's
Lécythe attique de la collection Jacquemart-André, abbaye de Chaalis. Deuxième moitié du Ve siècle avant notre ère

Les flacons en céramique sont souvent peints et ne contiennent qu’une infime quantité d’huile ou de crème parfumées. Conçus pour tenir dans le creux de la main, ces contenants traduisent un usage quotidien. Ils sont parfois pourvus ou conçu comme un anneau pour être attachés au vêtement ou au poignet. Les propriétaires exhibaient ainsi leurs flacons au gymnase, à l’agora, aux sanctuaires puis plus tard les Romains ne s’en déferont pas même aux thermes. Durant l’Antiquité, les flacons à parfum semblent ainsi avoir été les équivalents parfumés de nos smartphones (qui ne devraient pas tarder à l’être également, n’en doutons pas).

Raison pour laquelle les céramistes grecques, étrusques puis romains exercèrent tout leur talent à réaliser des flacons délicats aux formes plus ou moins originales (selon le fric qu’on était prêt à y mettre). Faisant référence à la mythologie ou à la vie quotidienne, certains semblent avoir eu un succès remarquable comme en témoignent ces flacons à tête de soldats casqués :

D’autres flacons évoquaient poétiquement les dieux et déesses grecs. Le coquillage renvoie par exemple au mythe d’Aphrodite, déesse de l’Amour, née de l’écume de la mer.

Aphrodite n'était pas étrangère aux parfums puisqu'elle incarnait la séduction, activité pour laquelle le parfum n'était pas inutile.

Aryballe en céramique, Athènes, 525–475 avant notre ère. © Getty Museum

À moins qu’ils ne prennent des formes élégantes d’animaux plus ou moins exotiques :

Ces flacons se démodèrent avec l’invention du verre soufflé qui eut probablement sur la céramique le même effet que le plastique eut sur le bois dans les années 1960. Mais certaines formes, antiques, persistèrent…

Aryballe romain en verre soufflé. IIe ou IIIe siècle de notre ère. © MET Museum

Te sachant habile de tes mains, voici la recette du parfum à la rose de Dioscoride. Si tu réalises correctement cette recette, je tiens à en recevoir un flacon en guise de copyright.

Ingrédients :

  • 5 livres 8 onces de joncs odorants
  • 20 livres 5 onces d’huile
  • 1000 pétales de roses frais
  • miel

Après avoir pilé et dilué dans l’eau le jonc, faire recuire en remuant. Puis après avoir filtré, verser 1000 pétales de roses non humides dans les 20 livres 5 onces d’huile.

S’enduire les mains de miel odorant et remuer plusieurs fois en pressant doucement.

Laisser ensuite toute une nuit et retirer par pression.

Si on veut faire un deuxième chargement, charger l’huile de la première pression avec une quantité de roses fraîches non humides et remuer avec les mains préalablement plongées dans le miel puis exprimer.

À chaque fois qu’on opère ainsi, recharger avec de nouvelles roses ce qui donnera plus de puissance. L’huile peut recevoir un chargement de roses jusqu’au septième bain mais pas plus.

  • Brun Jean-Pierre. Une parfumerie romaine sur le forum de Paestum. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité, tome 110, n°1. 1998. pp. 419-472
  • Brun, Jean-Pierre. “The Production of Perfumes in Antiquity: The Cases of Delos and Paestum.” American Journal of Archaeology, vol. 104, no. 2, 2000, pp. 277–308. JSTOR
  • Musée royal de Mariemont, Parfums de l'antiquité. La rose et l'encens en Méditerranée, guide du visiteur, exposition 2008
  • Nicolas Montiez et Jean-Pierre Brun, Les parfumeries en Campagne antique. Artisanats antiques d'Italie et de Gaule. Des pp 115 - 133, 2009, Collection du Centre Jean Bérard
  • Patrick Degryse, Rebecca B. Scott and Dieter Brems, « The archaeometry of ancient glassmaking: reconstructing ancient technology and the trade of raw materials », Perspective [Online], 2 | 2014, Online since 30 June 2015
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