Très présent dans la culture grecque et romaine, le parfum ne laisse de lui qu’un éphémère et insaisissable sillage. L’archéologie et les objets qu’elle met à jour permettent pourtant de redécouvrir jusqu’aux fragrances des cités antiques. Histoire du parfum à Pompéi à travers ses objets.
Avant-propos. La ville de Pompéi détruite en 79 par l’éruption du Vésuve offre aujourd’hui un instantané de la vie antique durant le Ier siècle de notre ère. Encore faut-il rester prudent quant à l’interprétation de ces vestiges. Les objets exhumés des chantiers de fouilles témoignent dans leur majorité de cette vie antique précédant le désastre que l’on connaît. On ne peut logiquement étudier que les objets ayant survécu et accepter l’idée que d’autres aient été détruits. Or ces derniers sont parfois la clef pour la compréhension des vestiges. Les objets doivent donc être mis en relation avec les autres sites de fouilles de la Campanie et plus largement de nos connaissances de l’Antiquité à cette période. C’est pourquoi tu ne te formaliseras pas lorsque pour mieux éclairer mon propos je citerai d’autres villes et montrerai d’autres objets de Campanie, la région italienne s’étendant autour de Naples.
Ville de parfums
Notre époque est extrêmement sensible aux odeurs. Pour preuve, elle est l’initiatrice des parfums pour animaux de compagnie et des designers olfactifs. Les Pompéiens, à leur mesure, n’avaient rien à nous envier – sauf peut-être en ce qui concerne les parfums pour caniches qui sont une de nos prérogatives en matière de stupidité.
Les parfums dans la culture antique étaient présents à chaque instant de la vie et sous toutes sortes de formes. D’abord religieux, le parfum à brûler était réservé aux dieux et aux prêtres. L’usage était hérité des Grecs qui le tenaient eux-mêmes des civilisations orientales. Sous cette forme, le parfum était un encens, autrement dit une résine odoriférante mélangée ou pas à d’autres ingrédients – et non pas des bâtonnets pulvérulents achetés chez Nature & Découvertes.
Les parfums à enduire se présentaient sous forme d’onguents ou d’huiles parfumés. Le culte des dieux préconisait d’en enduire les animaux à sacrifier, parfois aussi les statues des divinités avant qu’on ne les mena en procession. Car au contraire de leurs subordonnés humains qui montraient à cette époque trop d’enthousiasme à la consommation d’ail, les dieux, eux, sentaient divinement bon.
L’usage de ces préparations s’appliqua bien avant, dès l’antiquité grecque archaïque au moins (VIIIe siècle à 600 avant notre ère), aux soins du corps pour raisons médicales ou par plaisir. Les athlètes grecs puis les Romains en général en furent friands pour se masser après l’exercice ou après le bain aux thermes. Lors des funérailles, de nombreux flacons de parfums ainsi que du parfum à brûler étaient déposés dans les tombeaux .
Au quotidien, les Romains parfumaient leur linge, les banquettes et les murs des plus riches villas ou des thermes. Toutes les catégories sociales utilisaient les parfums dont les qualités allaient du bas de gamme (pour les prostituées notamment) aux fragrances les plus luxueuses. Les légionnaires n’y échappaient pas : la fouille de plusieurs camps militaires a attesté de l’usage d’huiles parfumées.
Rien n’a changé aujourd’hui : du corps au linge en passant par la maison et même la voiture, rien n’échappe au parfum. La seule différence tient aux formes que prennent les fragrances. Et aux fragrances : la plupart des parfums d’ambiance synthétiques modernes sont une insulte à l’odorat, ce sens merveilleux qui nous permet d’apprécier les heures de pointes du métro parisien en plein été. À Pompéi, trois types de parfums tenaient le haut du pavé : le parfum à brûler sec, les huiles parfumées liquides et les onguents crémeux.
La multiplicité des usages et des usagers ne laisse planer aucun doute : le parfum dans l’Antiquité – et en particulier à Pompéi et en Campanie – au premier siècle de notre ère était une véritable industrie. Une industrie qui a laissé des traces.
Les objets de fabrication du parfum
À l’intérieur de la Maison dei Vettii à Pompéi, une des superbes fresques du Triclinium (l’équivalent d’une salle à manger mais où l’on mangerait du loir confit à la gelée de fraise, allongé sur des banquettes) représente des Amours fabriquant et vendant du parfum à une Psyché.
Le processus y est très précisément détaillé, en commençant par la presse nécessaire à la fabrication de l’huile.
L’Antiquité ne maîtrisait pas encore le processus de distillation de l’alcool et, par conséquent, les parfums qu’elle produisit ne furent pas élaborés sur une base d’alcool mais sur une base d’huile végétale. Les parfumeurs s’évertuaient à obtenir une huile la plus neutre et la plus visqueuse possible en pressant des olives juste mûres. Cette huile presque neutre permettait de laisser s’exprimer les essences aromatiques des produits odoriférants. Des sources écrites comme celles de Théophraste (philosophe, botaniste, naturaliste et alchimiste grec né en 371 et mort en 288 avant notre ère) recommandent de n’utiliser que de l’huile fraîchement pressée tandis que certains ingrédients nécessaires aux fragrances comme la myrrhe, les amandes ou le sésame nécessitaient l’usage d’une presse pour être incorporés aux préparations. Rien d’étonnant donc à trouver une presse dans les boutiques des parfumeurs de Campanie. Il fut retrouvé à Pompéi des maies de presse en pierre (les presses en bois ont naturellement disparu) que les archéologues identifièrent d’abord comme nécessaires à la fabrication d’huile d’olive. Mais que ferait une maie et (donc une presse) de ce genre en pleine ville lorsque les plantations d’oliviers étaient situées à la campagne ? Par ailleurs, les insulae (nom des différentes parcelles urbaines sur les sites antiques) dans lesquelles furent retrouvées ces maies se situaient tout près du forum !
Si on envisage un instant que ces maies situées à deux pas du forum (lieu où se traitaient les affaires politiques, économiques et religieuses de la ville) aient servi à l’usage des paysans, c’est un peu comme émettre l’idée qu’un cultivateur modeste installe une parcelle de pommes de terre dans le hall de l’Assemblée Nationale. Ce serait très circuit court et développement durable je te l’accorde mais ça jurerait de la pire façon avec la valeur hautement symbolique du lieu.
En revanche, les boutiques de parfums s’adaptaient parfaitement à ces emplacements : en étant situées à proximité des lieux de culte et de sacrifices, les parfumeries pourvoyaient aux parfums à brûler, huiles parfumées et onguents nécessaires aux cérémonies ou aux bains publics. Sans compter que toute l’élite de la ville flânait dans les parages, une aubaine pour s’en mettre plein les fouilles. Et en effet, les archéologues découvrirent le long de la Via degli Augustali pas moins de trois boutiques de parfumeurs (Nota bene : les noms des rues à Pompéi sont des inventions récentes. Les archéologues n’ont même pas de certitudes quant au fait qu’on ait pu nommer les rues durant l’Antiquité). Or c’est une caractéristique commune des villes antiques : à Rome, à Capua, Pozzuoli ou encore à Pompéi, les parfumeries étaient un quartier typique à proximité immédiate du forum.
Par ailleurs, une presse en bois carbonisée par la coulée de boue brûlante lors de l’éruption de 79 fut découverte à Herculanum. Après plusieurs études, il fut confirmé qu’elle servait bien à l’extraction d’huiles pour une production esthétique.
L’utilisation de ces presses compactes adaptées aux petits espaces des boutiques nous indique que la fabrication des parfums comportait des enjeux de conservation. Ces derniers imposaient donc de fabriquer les produits sur le lieu de vente. Du fait de sa base oléagineuse, le parfum pompéien devait avoir une tenue dans le temps inversement proportionnelle à celle du parfum émanant d’une boutique Sephora. Il était donc nécessaire pour le parfumeur d’extraire les fragrances au fur et à mesure de la demande. Une fois l’huile extraite grâce à la presse, on procédait à l’enfleurage : les fleurs et plantes aromatiques étaient mises à macérer dans l’huile tout juste extraite. On y incorporait éventuellement des ingrédients rares et odoriférants au préalable broyés au mortier.
Les jardins de Pompéi sont toujours l’objet de patientes recherches mais l’on sait déjà grâce à eux que de nombreuses variétés végétales étaient cultivées durant l’Antiquité, certaines indigènes d’autres pas. Parmi ces espèces on trouve les roses (Virgile, Ovide, Properce et Martial évoquent joliment les étendues des jardins de roses fleurissant deux fois l’an), les lys et les violettes, les giroflées et le pavot, le thym, le romarin et le laurier, les fleurs de lotus et les dattiers. Dans les campagnes environnantes, de nombreux témoignages attestent de la culture intensive des fleurs et des plantes aromatiques tandis que certaines recettes ont pu être restituées de nos jours.
Lors de l’enfleurage à chaud, le chaudron d’huile était chauffé au bain-marie sur un foyer. Le placer directement en contact avec les flammes risquait de donner à l’huile (et donc au parfum) une odeur de brûlé. Dans le cas d’un enfleurage à froid, aucun foyer n’était nécessaire. Les chaudrons étaient fixes (maçonnés) ou mobiles et en fer (comme sur la fresque).
Une Psyché procède à l’enfleurage à chaud sur la fresque de la maison dei Vettii.
Les flacons de parfum de Pompéi
Lorsque le Vésuve entra en éruption, il y avait déjà un moment que, dans le domaine de la parfumerie, les Pompéiens avaient abandonné l’usage de la céramique au profit de celui du verre. Depuis la période augustéenne (entre 27 avant notre ère et 14 de notre ère), le verre était devenu un produit commun qui n’était plus réservé à l’élite, excepté dans ses modèles les plus luxueux. Je passerai donc sous silence les contenants en céramique pour te faire uniquement découvrir les merveilleux flacons de verre.
La technique du verre soufflé fut élaborée au premier siècle avant notre ère, probablement en Syrie, et opéra une véritable révolution de cette production. Cette technique beaucoup plus simple et rapide permis au verre de rapidement supplanter la céramique dans de nombreux domaines grâce à sa qualité première : sa parfaite étanchéité.
Non seulement le Moyen-Orient produisit et exporta des contenants en verre dont des flacons et fioles à parfums mais également du verre brut en grande quantité. Dans un contexte favorisé par la pacification du bassin méditerranéen à l’époque d’Auguste, cette matière première fut dispersée à travers toute l’Europe puis façonnée et revendue à bas prix.
Ce schéma surprenant illustrant l’industrialisation du verre à l’échelle d’une vaste région allant de l’Europe de l’ouest au Moyen-Orient a été attesté grâce aux données analytiques rassemblées par le projet ARCHGLASS qui a prouvé que plus de 60% du verre romain étudié avait une composition chimique et isotopique indicative d’une origine primaire en Méditerranée orientale, et principalement en Syro-Palestine. Ce verre pouvait être légèrement coloré, incolore ou bien coloré et mat.
Le verre étant composé de sable, il contient toujours un faible pourcentage de métal. La variation de ce pourcentage et du type de métal contenu dans cette matière première influe mécaniquement sur la couleur du verre. Si les verriers romains savaient que la couleur dépendait du type de métal contenu dans le sable, on ignore cependant dans quelle mesure ils étaient capables de contrôler la couleur de leur production.
Les belles nuances de verts et de bleus des flacons antiques sont dues à la quantité de métal dans la matière première.
Balsamaires en verre soufflé découvert à Pompéi, Hospitium.
© Galileo Museo
Des fouilles à Pompéi révélèrent la présence d’ateliers de verre tandis qu’à Pozzuoli (Pouzzoles, à l’ouest de Naples) il fut découvert que les verriers partageaient le même quartier que les parfumeurs ! Les deux industries avaient évidemment des intérêts convergents et nécessitaient toutes deux des fonds financiers importants pour l’import de matières premières onéreuses ou lointaines. Très certainement, il en allait à Pompéi comme à Pozzuoli. Naturellement, ces entreprises ne pouvaient appartenir qu’aux classes les plus aisées de la société.
Chaque atelier de verrerie se caractérisait par une production propre influencée par les goûts de l’aristocratie. Lorsque la verrerie était encore un produit de luxe, les formes reprirent celles des céramiques : les unguentaria à l’allure fusiforme coexistèrent avec des lacrymatoires à la panse souvent plus bombée. D’autres formes plus rares et luxueuses apparaissaient selon le désir des clients les plus riches.
Lorsque les contenants en verre se démocratisèrent, la verrerie de luxe se singularisa non pas dans ses formes mais dans ses couleurs. Le verre cameo élaboré par les Romains tendait à imiter l’effet des camées en pierres semi-précieuses ; il fut très prisé à Pompéi. Certaines couleurs étaient plus rares et plus précieuses que d’autres : ainsi la couleur ambre évoquant l’or était très recherchée alors que le verre bleu cobalt était certainement un des plus onéreux.
Au premier siècle de notre ère, à Pompéi et au moins en Italie, le verre n’était plus un produit de luxe mais se déclinait à l’envie du vert bleuté bon marché aux verres les plus rares et les plus précieux. Dans son Satyricon, Pétrone vanta la beauté de ce matériau dont les formes et les couleurs auraient pu, d’après lui, être préférées à l’or s’ils n’eussent pas été si fragiles. Tout comme ce qu’ils contenaient, les flacons de parfums de Pompéi reflétaient la place sociale de celui qui le portait.
- Brun Jean-Pierre. Une parfumerie romaine sur le forum de Paestum. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité, tome 110, n°1. 1998. pp. 419-472
- Brun, Jean-Pierre. “The Production of Perfumes in Antiquity: The Cases of Delos and Paestum.” American Journal of Archaeology, vol. 104, no. 2, 2000, pp. 277–308. JSTOR
- Musée royal de Mariemont, Parfums de l'antiquité. La rose et l'encens en Méditerranée, guide du visiteur, exposition 2008
- Nicolas Montiez et Jean-Pierre Brun, Les parfumeries en Campagne antique. Artisanats antiques d'Italie et de Gaule. Des pp 115 - 133, 2009, Collection du Centre Jean Bérard
- Patrick Degryse, Rebecca B. Scott and Dieter Brems, « The archaeometry of ancient glassmaking: reconstructing ancient technology and the trade of raw materials », Perspective [Online], 2 | 2014, Online since 30 June 2015
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