À l’occasion de l’exposition "Les objets de l’encens : Parfums de Chine au musée Cernuschi" (printemps 2018), voici le mode d’emploi du Fébrèze le plus ancien du monde : le brûle-parfum et l’encens.
Le parfum de la haute société
Les parfums jouent un rôle prépondérant dans la culture chinoise et sont présents dans presque tous les moments de la vie quotidienne. Dans les nombreux rituels qui organisent la société chinoise (taoïstes, bouddhistes ou bien confucianistes), les Chinois emploient résines et bois odoriférants pour délimiter un espace ou un temps sacrés. La présence seule du brûle-parfum suffit à signaler ou à définir un lieu sacré.
Dans la vie quotidienne, on soigna longtemps son corps grâce à l’usage des produits odoriférants et des parfums comme en témoignent les ouvrages de recettes médicales (fangshu), ceux consacrés aux parfums et même certains recueils de poésies (voir le traité Materia medica – ou Ben Cao Gang Mu – traité de médecine le plus complet et le plus détaillé jamais écrit dans toute l’histoire de la médecine traditionnelle chinoise. Il fut rédigé par Li Shi-zhen (1518-1593), expert en médecine de la dynastie Ming).
Les parfums furent pendant plusieurs siècles réservés à l’élite. Le pécore de base devait bien souvent se contenter du parfum des fleurs pour s’évader un peu de l’odeur des eaux usées et autres joyeusetés qui parfumaient alors villes et villages.
Pour le Chinois aisé (et le plus souvent pour la catégorie sociale que l’on nomme les Lettrés) les substances aromatiques faisaient partie de la vie quotidienne. Le quotidien de ces esthètes nécessitait l’utilisation de nombreux objets raffinés – comme le brûle-parfum – témoignant du rang du propriétaire, ou leur permettant d’exercer leur profession – comme l’encrier.
La combustion de produits aromatiques permettait de mesurer le temps : les bâtonnets d’encens (xiangbang) ou les cordes spiralées indiquaient l’écoulement des heures ou des jours.
La culture chinoise attribue pas moins de dix utilités à l’encens (alors que tu n’en aurais probablement donné qu’une seule) :
- communiquer avec les esprits et les divinités
- cultiver son tempérament et sa nature propre
- chasser les insectes et les mauvaises odeurs
- stimuler et éveiller le corps et l’esprit
- dissiper les mauvaises ondes d’un lieu
- délimiter une zone de calme dans un endroit bruyant
- satisfaire l’esprit, mettre à l’aise les personnes
- procurer du plaisir (forte notion d’hédonisme)
- favoriser la constance de l’amitié ou de l’amour
- créer une atmosphère agréable
Dégustation d'encens
L’appréciation – on pourrait presque parler de dégustation – des parfums sous tendait une grande érudition et un statut social élevé. Les Lettrés se retrouvaient pour « déguster » ces parfums subtils. Ces séances se nommaient littéralement « session d’encens » (xiangxi).
Cette habitude des élites chinoises se développa à partir de la dynastie des Tang (618-907) et s’affina sous celle des les Song (960-1279). Il s’agissait pour les participants d’un moment de sociabilité distinguée où chacun appréciait le raffinement des parfums d’encens. Considérée comme une véritable expérience esthétique, cette dégustation était l’occasion pour les érudits d’échanger et de débattre, de la même manière qu’ils le faisaient autour d’une calligraphie, du thé, de la poésie ou du jardin.
Dans la pratique d’un cérémonial comme dans celle d’une « dégustation », chaque participant suit un déroulement précis et codifié. Et mieux valait ne pas se planter dans la succession des différentes étapes sous peine de passer pour un grossier personnage.
Il fallait d’abord tailler le bois odorant et le faire apprécier à l’assemblée afin de le « classer » par rapport à une même essence de haute qualité. Ce moment permettait de distinguer le connaisseur de l’amateur.
La pratique rituelle religieuse se distinguait de cette pratique sociale par la fumée produite lors de la combustion de l’encens. Cette fumée permettait de communiquer avec les esprits et les divinités. Au contraire, les réunions d’érudits jugeaient du parfum de l’encens grâce à une combustion à l’étouffée ne dégageant aucune fumée. Cette caractéristique entraîna l’usage du brûle-parfum.
On procédait en plusieurs étapes. Le brûle-parfum était d’abord rempli au trois-cinquièmes de cendres d’encens (xianghui). Puis à l’aide d’une spatule à encens, on creusait dans les cendres un trou suffisamment profond, tout en prenant bien garde que ce dernier n’atteigne pas le fond du récipient. On introduisait dans ce trou une poudre d’encens que l’on enflammait et qu’il fallait rapidement recouvrir d’une bonne quantité de la même poudre afin que la combustion se maintienne sans produire de fumée. La poudre odoriférante en ignition était ensuite recouverte de cendres jusqu’à former un dôme.
L’encens continuait de se consumer sous la forme de ce que les esthètes nommaient la « boule de feu » (huoqiu). Le parfum exhalait à travers les cendres et pouvait ainsi être apprécié sans gêne. La mise en scène de ce rituel était parfaitement normée et il convenait, pour savourer pleinement les parfums, de déguster du thé (chuocha) dans une petite pièce élégamment meublée. On oublie donc le Starbuck.
Durant cette séance de dégustation, le brûle-parfum est l’objet le plus important car il contient et exhale les différentes sensations olfactives.
Ce moment était généralement partagé par le maître de maison en compagnie de trois invités. Une stricte codification permettait de savoir de quelle manière passer le brûle-parfum à son voisin, la façon convenable de prendre en main le brûle-parfum puis la celle dont on devait apprécier l’encens en trois inspirations successives. Si l’art et la manière de juger les parfums étaient particulièrement respectés c’est qu’il en allait d’une véritable discipline artistique où chaque participant se devait de traduire dans les termes les plus poétiques les parfums qu’il inhalait.
Cette expérience se rapproche également de l’expérience spirituelle que les Japonais faisaient de l’encens à travers le kōdō japonais (Le kōdō est un des trois arts traditionnels avec la cérémonie du thé et l’ikebana, l’art basé sur la composition florale. Il s’agit « d’écouter » les fragrances de bois parfumés brûlés selon un rituel codifié dès la fin du XIVe siècle).
À l’occasion de l’exposition au musée Cernushi, le parfumeur-créateur de la maison Dior Parfums, François Demachy, avait puisé dans les recettes de six dynasties dont les Tang, Song, Ming et Qing afin de réinterpréter des parfums à partir d’anciennes formules chinoises en collaboration avec le conseiller scientifique de l’exposition Frédéric Obringer (CNRS). L’expérience était proprement fabuleuse. Les parfums fonctionnant comme une véritable machine à remonter le temps réservaient au visiteur des surprises dévoilant une dimension inédite de la culture chinoise.
- LIU Liang-you, Chinese Incense Culture, 2011, Tapipei, Zhonghua dongfang xiangxue yanjiuhui.
- Musée Cernuschi, Bronzes de la Chine impériale du Xe au XIXe siècle, dossier de presse éponyme de l’exposition qui eut lieu du 20 septembre 2013 au 19 janvier 2014 à Paris.
- www.guimet-grandidier.fr
- www.guimet.fr
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