Bientôt la Chine dominera le monde. Autant se mettre tout de suite dans le bain et adopter une ou deux coutumes de l’Empire du Milieu. Pour commencer, arrête d’adopter des chats et des chiens. Mange-les. Préfère leur plutôt les criquets, cigales et autres sauterelles, qui en plus d'un gain de place feront également office d'IPod si tu t’équipes correctement de superbes petites cages à insectes.

Cage à insectes chinoise en bambou, perle de jade et passementerie, XIXe siècle. © Live Auctioneers

Les chatons sont so overrated

Les Chinois adorent les insectes. Cette habitude de les adopter remonte (au moins) à la dynastie Tang (618 – 906). On peut légitimement se demander pourquoi les Chinois ont été tant fascinés par les insectes si on juge les dites bestioles à l’aune de ce que les Occidentaux attendent d’une relation avec un animal de compagnie. Les insectes sont notoirement mauvais en matière de surveillance de domicile et je te mets au défi de lancer une balle à un criquet, a priori tu finiras par aller chercher toi-même la baballe. De notre point de vue étriqué, nous sommes sur une échelle de 1 à 10 au niveau – 6 de l’interaction homme / animal. Mais pas pour les Chinois. Car au quotidien, les Chinois sont bien plus poètes qu’un ennuyeux propriétaire de caniche royal.

Qí Báishí (1864 – 1957). Lavis sur papier Collection privée
Criquet dans une cage. Œuvre chinoise, lavis d'encres. Circa 1950 © Sanne

Les insectes chanteurs ont une place de choix dans l’affectif chinois pour la bonne raison qu’ils furent longtemps les principales aides des sociétés agraires. L’humain est toujours reconnaissant envers ceux qui l’aident à manger. À une époque où personne ne possédait encore de calendrier moche avec des chatons dans des paniers, où la principale préoccupation était de ne pas bêtement mourir de faim, le meilleur moyen de s’en sortir consistait à observer avec attention la nature afin de ne pas foirer sa récolte annuelle de riz. Or, du point de vue du timing, les insectes furent longtemps ce qu’il se faisait de plus fiable car leur apparition coïncidait avec l’arrivée du printemps donc du labour. Cette redoutable ponctualité leur valut une période de l’année bien spécifique dans le calendrier solaire chinois. Cette période est joliment appelée Jing-Zhe ce qui signifie « L’éveil des insectes ». Essaie de remplacer « insectes » par « cochons d’Inde » et tu verras qu’on perd en puissance poétique.

Ainsi, entendre chanter un insecte devint rapidement synonyme du retour de la belle saison et par extension celui des récoltes et de la nourriture. Le raccourci insectes chanteurs = symbole auspicieux fut vite adopté (on connaît l’amour des Chinois pour les porte-bonheurs). Entendre le chant de plusieurs insectes dans sa maison devint synonyme de richesse. Bientôt, le voisinage avec les petites bêtes devint insuffisant pour les Chinois devenus addict aux orthoptères (ça fait un mot de plus à ton vocabulaire). Ils entreprirent alors de fabriquer toutes sortes d’objets destinés à garder près de soi – et le plus longtemps possible – les insectes chanteurs et profiter de leurs mélodies.

Les cages à insectes devinrent des objets de raffinement et de luxe tant par leurs matériaux que par le chant des petits chanteurs prisonniers.

Cage à insecte en ivoire et soie, XIXe siècle. © Cooper Hewitt Museum

Les criquets pour les nuls

L’ouvrage T’ien Pao i shi (« Contes de la période T’ien Pao ») témoigne des nombreuses habitudes, coutumes et traditions chinoises entre 742 et 755 dont celle des femmes du palais – en particulier des concubines – qui pour tromper l’ennui de leur soirée solo écoutaient le chant des criquets. En plaçant de petites cages près de leur oreiller, elles profitaient de leurs chants quand bon leur semblait. Cette habitude fut d’abord considérée comme un hobby de luxe avant de se répandre au fil du temps dans toutes les strates de la société.

La hiérarchie s’invitant dans tous les recoins de la vie sociale, les insectes chantant furent rapidement répartis en différentes catégories et une littérature spécialisée vit même le jour quelques siècles plus tard avec notamment le Classique du grillon (qui n’a rien à voir avec le pâté) rédigé par Jia Si Dao (1213 – 1275) au XIIIe siècle, sous la dynastie Song pour ceux que ça intéresse.

Soit dit en passant, Jia Si Dao fut un célèbre ministre chinois connu non pas pour ses exploits mais pour son incompétence notoire et son impopularité jamais égalée. Alors que les Mongols étaient en train de tout cramer en Chine, Jia Si Dao assistait à un combat de criquets. Se souciant aussi peu des rapports militaires qu’on lui apportait que de sa première paire de baguettes, il n’intervint pas et menaça sérieusement la sécurité de son pays. Sa passion dévorante alliée à son inutilité patente lui valurent d’être exécuté. Quoiqu’il en soit, l’homme laissa à la postérité un ouvrage sur les insectes qui fait encore autorité aujourd’hui.

Cage à cricket en bois. Chine, date inconnue. © Minneapolis Institute of Arts
Paire de cages tubes à insectes. Jade blanc et vert. Chine, période Qianlong, 1736-1795. Collection privée © Aspire Auctions

Cet intérêt national pour les criquets, grillons et autres sauterelles favorisa l’émergence d’objets, plus ou moins luxueux selon le rang du propriétaire dans la société. Les peintres, les poètes, les concubines, les ministres possédaient des cages en or, en argent, en jade, en ivoire ou en laque tandis que le commun des mortels se contentait de la version IKEA en bambou ou en bois.

À chaque objet était attribué un usage particulier. On distingue trois sortes d’ « habitats » pour insectes :

  • les cages
  • les contenants en céramiques
  • les gourdes ou calebasses

La forme des gourdes est particulièrement importante puisque, comme un instrument de musique, leur forme va déterminer le « ton » de la stridulation de l’insecte.

Calebasse à insecte chinoise. Courge et ivoire ciselé. Dynastie Qing (1644 - 1911), XVIIIe / XIXe siècle © MET Museum

Une technique – qui semble aujourd’hui perdue – consistait à insérer une fleur de courge à l’intérieur d’un moule en bois pour façonner la plante et lui donner la forme souhaitée. Ces contenants sont aujourd’hui sculptés ou façonnés. Leur fonction consiste aussi à garder l’insecte au chaud pour lui garantir la vie la plus longue possible. On dépose parfois au fond un peu de terre et d’argile, on nettoie régulièrement la gourde avec du thé, thé qu’on aura fait infuser avec amour et pas avec ta saloperie de machine Senseo qui est au thé ce que Aya Nakamura est à la poésie et l’élégance. La nuit, le propriétaire précautionneux déposera un morceau d’ouate pour que son insecte fasse de beaux rêves.

Autant d’attentions justifiées par le prix parfois exorbitant que certains sont prêts à payer pour un criquet Ninja ou contralto et dont la durée de vie n’excèdera pas 3 voire 5 mois pour les plus chanceux. Parce que 1600$ le criquet, ça commence à piquer (je trouve).

Gourde à criquet en forme de courge. Jade vert et blanc. Chine, XIXe siècle. © I.M. Chait

Les cages peuvent prendre plusieurs formes. Les plus communes ont un toit et une petite porte mais il existe aussi de très beaux tubes ajourés ou ciselés de motifs évoquant le printemps et l’été, la saison des insectes. La variété des matériaux témoigne bien de la diffusion de cet animal de compagnie dans la société chinoise : or, jade, ivoire, corne, os, laiton, bois de santal, noix de coco, bambou, roseau, céramique et porcelaine et même plastique pour les cages contemporaines.

Ces cages permettent de transporter l’insecte sur soi. On le suspend en général à sa ceinture ou à son corset et il suffit d’énerver un peu l’occupant avec une grande herbe ou une épingle pour qu’il se mette à chanter. L’ancêtre du IPod.

Gourde à insecte chinoise. Gourde, noix de coco et ivoire. Qing dynasty (1644–1911), Daoguang period (1821–50) © MET Museum

Les contenants en céramique sont utilisés en hiver (car ils conservent la chaleur et protègent l’insecte du froid) et les calebasses en été. Les deux sont traités avec un mortier spécialement conçu pour améliorer la sonorité des boîtes et donc améliorer l’ « acoustique » des chants des insectes. Le fabricant de cages et maisons à insectes c’était un peu le Bang & Olufsen de l’époque.

Perfectionnisme nippon : les cages à insectes japonaises

Les Japonais développèrent également un goût passionné pour les criquets. Bien avant que la mode ne soit à garder les insectes sur soi, leurs chants étaient célébrés par les poètes comme un des plaisirs esthétiques de l’automne.

Les recueils de poésie du Xe siècle en témoignent. Les Japonais ont véritablement l’art et la manière de faire passer toutes les autres civilisations pour une bande de barbares consanguins. Pendant que l’Europe batifolait dans le sang des salles de tortures de l’Inquisition et jouait à Docteur Maboul en vrai lors de guerres de religion fratricides, les Japonais se refilaient en douce le nom des endroits les plus favorables à l’écoute du chant des criquets ou des grenouilles ; un hobby qui était l’objet d’excursions à la campagne pour les citadins. Pas moins de onze localités à travers le Japon sont devenues célèbres pour le chant de leurs insectes.

Puis lorsque l’élevage des insectes se développa, les citadins se tournèrent comme les Chinois vers les objets raffinés capables d’accueillir des insectes chanteurs. Les excursions perdirent un peu de leur intérêt. Pourtant lorsqu’aujourd’hui les citadins reçoivent chez eux, durant les beaux jours, il est toujours de bon ton de placer de petites cages à criquets dans les jardinières. De cette manière, les invités profitent de leur chant et se remémorent le souvenir paisible de la campagne.

Cage à insecte japonaise. Céramique Satsuma. Atelier Satsuma Hodota Takichi, signé Masanobu (probablement le décorateur). Circa 1900 © Art Gallery NSW

Dans le cas de ces deux pays, la symbolique des insectes chanteurs reste la même. Il s’agit d’un symbole auspicieux, lié au renouvellement de la vie, à la richesse qu’apportent le printemps et l’été. Cette symbolique est attestée en Chine depuis la très ancienne culture DongBa du peuple Naxi qui estimait que les insectes jouaient un rôle clé dans la création du monde.

Plus tard, sous la dynastie Song (960 – 1279), des cages à insectes furent déposées près des défunts dans des tombes du Zhenjiang. Sous la dynastie Han (206 av. J.C. – 220 ap. J.C.), les insectes chanteurs étaient aussi enterrés avec les morts comme symbole de résurrection.

Symboles auspicieux, les insectes furent également symboles de résurrection en Chine. C'est pourquoi l'idéogramme stylisé de la divinité de la longévité (Shòu) est inscrit au centre de cette cage.

Cage d’hiver à insecte. Chine, bois. Date inconnue. © Minneapolis Institute of Arts

Porter les insectes sur soi était (et c’est encore le cas aujourd’hui) un acte prophylactique qui laissait espérer aux propriétaires des petites cages que les vertus de renaissance et de richesse que l’on prêtait aux insectes se diffuseraient à leur personne par le simple fait d’être en contact avec les bestioles.

Quant à l’agrément de leur chant, il possède également une valeur apotropaïque puisque entendre chanter l’insecte, c’est l’assurance que les temps rigoureux sont passés. Son chant est le son rassurant et paisible d’une vie plus douce où climat et nature se montrent plus cléments.

Il est encore d’usage dans certaines régions de la Chine d’offrir un criquet à une personne qui emménage dans une nouvelle maison. Une manière de lui souhaiter richesse et longévité, deux préoccupations majeures en Chine qui ne datent donc pas d’hier.

  • Jin, Xing-Bao, Chinese Cricket Culture, Shanghai Institute of Entomology, Academia Sinica : https://www.insects.org/ced3/chinese_crcul.htm
  • Fan Pen Chen, YANG KUEI-FEI IN "Tales from the T’ien-Pao era: a Chu-Kung-Tiao narrative" Journal of Song-Yuan Studies, 22 (1990-1992), pp. 1-
  • GAIL RYAN L., Insect musicians and cricket champions, China books and periodicals, Inc, San Francisco, 1996Priest, Alan R. “Chinese Cricket-Cages.” The Metropolitan Museum of Art Bulletin, vol. 24, no. 1, 1929, pp. 6–9
  • BJAALAND WELCH P., Chinese Art: A Guide to Motifs and Visual Imagery, Tuttle Publishing, Sinagpour, 2013
  • Émission radiophonique Détours, « La Passion des Grillons en Chine » sur RTS, diffusée le 7 juin 2016. Disponible gratuitement à l’écoute ici : http://www.rts.ch/play/radio/detours/audio/la-passion-des-grillons-en- chine?id=7745015