Entre le XIVe et la fin du XVIe siècle, le Renaissance accorde beaucoup d’importance aux bijoux : les enseignes (dérivées des enseignes de pèlerinage) sont une des représentations artistiques de l’humanisme qui encense le pouvoir créateur de l’homme.
La transformation d’une pierre brute en une forme intelligible fascine les artistes et les humanistes. Art et nature se confondent. La redécouverte de l’Antiquité offre un éventail de sujets et permet au commanditaire de briller par son érudition.
Renaissance d'une pensée
Le Moyen-Âge s’émerveillait du monde comme de la Création de Dieu. L’idée même de souhaiter percer les mystères de la nature laissait poindre un tempérament provocateur vigoureusement réprouvé par le clergé qui protégeait son champion. Pourtant, reconnaître que Dieu était le meilleur en tout relevait d’un manque d’objectivité patent (d’autant que s’il était si doué, personne n’aurait mal aux dents) et revenait à désigner vainqueur un type qui n’avait pas même pris la peine de s’inscrire à l’appel d’offre de la création de l’univers. Alors, sans remettre en doute les talents démiurgiques du bonhomme, le début du XIVe siècle émit timidement l’idée que le monde qui nous entoure et la nature pouvaient être étudiés sans froisser Dieu qui – à en croire ses émissaires terrestres – semblait peu ouvert aux critiques, même constructives.
Le mouvement intellectuel de cette période remit l’humain au centre des préoccupations. Ses accomplissements et sa capacité à maîtriser le monde qui l’entoure allaient de paire avec une redécouverte des textes antiques. Les œuvres poétiques, scientifiques et philosophiques antiques furent traduites par des érudits puis l’invention de l’imprimerie permit à ces connaissances de circuler. Les beautés de la nature et leur transformation par la main humaine abondèrent comme preuve justifiant l’importance centrale de l’Homme. Cette nouvelle société se gavant de culture antique lisait Ovide. Or l’art de transformer les matières naturelles et brutes en des objets trouvait dans les Métamorphoses du poète un écho fascinant qui s’incarnait pleinement dans la bijouterie.
Ce gemme semble avoir servi de prototype à l’édition de plaquettes de bronze très répandues à la fin du XVe siècle et dont certaines furent utilisées comme enseignes de chapeau. Le sujet est typique de cette redécouverte exaltante de l’art antique.
Provenant du bout du monde, les pierres précieuses utilisées dans les bijoux évoquaient pour l’érudit les merveilles infinies de la nature et la capacité de l’Homme à leur donner du sens. Sans doute, le prix exorbitant de ces cailloux jouait dans le plaisir que les commanditaires prenaient à les exhiber. Mais comme le prétentieux étale sa culture en citant des ouvrages dont il n’a lu que le titre, le faux érudit de la Renaissance eut été bien vite mis à nu en exhibant des bijoux auxquels il ne connaissait rien. L’élite était une garce cultivée, exigeante et prompte à juger le vaniteux surprit à ne rien connaître du bijou qu’il portait.
Les commanditaires des bijoux avaient ainsi une connaissance remarquable de cet artisanat et de ses techniques et matériaux. Catherine de Médicis était dans ce domaine une docte princesse. Si elle avait collectionné les bagnoles, elle aurait été du genre à expliquer au garagiste impudent où il pouvait se mettre son joint de culasse. Les commandes de bijoux de cette époque témoignent de l’implication des commanditaires dans le dessin, la conception et l’apparence finale de l’objet. Dans le cas des enseignes de chapeaux, on n’hésitait pas à recourir à des érudits : en plus des matériaux, le sujet souvent mythologique impliquait une parfaite adéquation entre formes, matériaux et couleurs.
L’enseigne de chapeau Renaissance était essentiellement masculine et sa mode fut initiée par Charles VIII (1470 – 1498). Cette mode puissante s’avéra très éphémère et commença à s’essouffler au début du règne d’Henri II (1519 – 1559). L’humanisme déjà introduit en France par Charles VIII se déploya rapidement en France et conquit les successeurs du souverain. Guillaume Budé (1467 – 1540), un érudit hautement respecté et professeur de François Ier (1494 – 1547) introduisit à la cour de France des thèmes antiques raffinés et savants qui rivalisèrent avec les sujets religieux. François Ier, sensible aux récits d’Hercule, fit de ce personnage son modèle de vertu, de force et d’éloquence.
L’érudition et le goût du roi pour la Renaissance contaminèrent un peu plus les élites et les sujets antiques devinrent l’expression d’un raffinement d’esthètes. Il fut bientôt de bon ton de se faire portraiturer avec à son chapeau une enseigne remarquable. Puis, la mode passant, les enseignes furent transformées en pendentif ; leur premier usage est aujourd’hui plus connu par les portraits que par les enseignes parvenues jusqu’à nous sans transformation.
Artistes et commanditaires se plaisent à donner du sens aux matériaux naturels précieux. Le diamant devient un miroir, une perle baroque devient le torse d'Hercule, l’onyx un bouclier, etc.
Enseigne montée en pendentif, seconde moitié du XVIe siècle. Or, émail, pierres précieuses et calcédoine. © MET Museum
Les nombreux vestiges que l’érudit marcheur découvre à l’occasion de ses promenades sur les sites antiques italiens sont pour lui une source d’inspiration inépuisable. Une fois les sujets relevés, patiemment étudiés et identifiés, il s’en va gaiement vers son souverain ou protecteur qui ne manque pas, si le sujet s’y prête, d’en faire un bijou et en l’occurrence, une enseigne. La colonne trajane à Rome, le Camposanto de Pise, les sarcophages et autres vestiges archéologiques sont l’équivalent du Google Images de la Renaissance. Hormis que dans ce contexte, les érudits et commanditaires de l’époque se font une passion sinon un devoir d’être incollables sur le sujet représenté.
Le combat du siècle : Hercule versus Jésus
La pensée humaniste n’est tout de même pas hérétique. C’est une chose de redécouvrir la culture antique, ses mythes, son histoire et son art, c’en est une autre de dire à Jésus d’aller se rhabiller (lui qui passe sa vie en paréo) et de sacrifier à Bacchus pour la simple raison que lui au moins il partage le pinard.
Mais force est de reconnaître que les héros antiques furent bien plus appréciés à la Renaissance que les tristes sires de la Bible. Sûrement, leur humanité qui s’épuisait à s’élever au rang des dieux de l’Olympe devait inspirer les esthètes et les grands d’Europe. De la même manière, la pensée antique, l’intérêt pour la nature et l’amélioration des techniques sont autant de nouveaux centres d’intérêts qu’il faut prendre soin de ne pas opposer à l’Église. Sans remettre en cause la toute puissance créatrice de Dieu, les Hommes de la Renaissance affirment leur talent de démiurge. Ils s’ouvrent à de nouveaux horizons au sens propre comme au sens figuré : les frontières géographiques reculent (découverte de l’Amérique) et les esprits s’ouvrent (redécouverte de la culture antique)mais leur foi dans le dieu unique reste inébranlable. À tel point qu’elle fut source de désaccords et de conflits, chacun voyant Jésus à sa porte.
En ce sens, Bernard Palissy (1510 – 1589-1590) est un artiste représentatif de son époque. Savant, artisan pluridisciplinaire et autodidacte, orfèvre préféré de Catherine de Médicis, Palissy se passionne pour la céramique, le verre, les fontaines, la botanique, les métaux, l’alchimie et tout ce qui lui passe sous la main. Bernard Palissy est sans doute l’incarnation géniale et unique de l’idéal de l’Homme de la Renaissance. Nature et technique s’imbriquent dans ses créations et ses réflexions, faisant de l’homme une création dans la Création mais aussi, à l’image de notre-père-qui-êtes-aux-cieux-etcetera, un créateur de son propre monde. Le seul défaut de Palissy fut – pour l’époque – d’être protestant ce qui lui valu quelques frayeurs. La religion était encore prégnante et n’aurait pas épargné ce génial Bernard s’il n’avait pas été dans les petits papiers de Catherine.
Les enseignes témoignent donc elles aussi de ce mélange culturel et religieux. Alors que les enseignes de pèlerinage en plomb sont encore et toujours un des meilleurs investissements financiers du Moyen-Âge, les plus luxueuses bénéficient des dernières avancées techniques en matière d’artisanat. Le métal embossé se parfait grâce aux techniques transmises par les artistes italiens, l’émail et la taille de pierres précieuses permettent d’obtenir des couleurs et des jeux de brillance et de transparence qui donnent vie aux sujets représentés.
La redécouverte des camées antiques éveilla à la Renaissance un enthousiasme nouveau pour cette technique de glyptique. La transformation d’une pierre naturelle en scène historique, mythologique ou biblique, en portrait parfois, ravissait les esprits. Le dessin du sculpteur intégrait les nuances des pierres (ou des coquillages) liant la nature à l’intellect, transformant l’abstrait en forme intelligible.
À la fin du règne d’Henri II, les enseignes de chapeau perdirent de leur superbe. Alors que les enseignes de pèlerinage en plomb s’adaptaient et se transformaient, celles réservées à l’aristocratie durent se plier à de nouvelles modes. Transformées en pendentifs ou en ornements de ceinture, les enseignes laissèrent plus de trace dans les portraits Renaissance que dans les cassettes à bijoux. Les sujets longtemps originaux et uniques qui devaient refléter la pensée du propriétaire du bijou, de son rang et de son érudition se firent plus consensuels. On en revint aux sujets religieux et les thèmes antiques furent un temps oubliés. Dans un contexte politique et religieux tendus, mieux valait se montrer discret. C’est que tu découvriras dans l’article sur les enseignes profanes.
- BERGER J., Les enseignes de pèlerinage du Puy, épreuves extraites de : Jubilé et culte marial (Moyen Age - époque contemporaine), B. Maes, D. Moulinet, C. Vincent (dirs), (actes du colloque international organisé au Puy-en-Velay, du 8 juin au 10 juin 2005), Saint-Etienne, 2009, p. 87-114.
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- BRUNA D., Les enseignes de pèlerinage et les coquilles Saint-Jacques dans les sépultures du Moyen Age en Europe occidentale. In: Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, 1993. pp. 178-190
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- BRUNA D., Témoins de dévotion dans les livres d’heures à la fin du Moyen-Âge, Revue Mabillon, n.s., t.9 (= t.70), 1998, p. 127 – 161.
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- BURKARDT A., L'économie des dévotions: Commerce, croyances et objets de piété à l'époque moderne, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2016
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- HACKENBROCH Y., Enseignes : Renaissance Hat Jewels, SPES (août 1996)
- LABAUNE-Jean F., « Quelques enseignes de pèlerins et des moules de production de petits objets en plomb découverts à Rennes », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest
- STAHULJAK Z., Pornographic Archaeology: Medicine, Medievalism, and the Invention of the French Nation, University of Pennsylvania Press, 2013
- THUAUDET O., La pratique du pèlerinage en Provence à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne d’après les enseignes et les ampoules. Archéologie Médiévale, CRAHAM, 2017, 47, pp.89-129
- WARDROPPER, Ian. “Between Art and Nature: Jewelry in the Renaissance.” Art Institute of Chicago Museum Studies, vol. 25, no. 2, 2000, pp. 7–104.
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excellent article,
vous trouverez les empreintes de magnifiques enseignes de chapeau sur la panse de mortiers français du début du XVII° siècle.
n’hésitez pas à consulter mon site pour en découvrir quelques uns
Merci beaucoup Guillaume pour cette information !