Rapide histoire de la poêle, ustensile d’une remarquable banalité que le Mardi Gras honore de sa spécialité : les crêpes.

Si les crêpes, galettes ou autre pancakes sont vraisemblablement des aliments vieux comme le monde, tu te doutes bien que l’ustensile qui permet de les réaliser n’est pas non plus de prime jeunesse.

Poêle d'époque romaine manche repliable. Musée d'Archéologie de Nice - site de Cimiez

Homo Crêpus ?

Si on ignore tout des crêpes au Nutella préhistoriques, on sait néanmoins que les hominidés depuis Homo Erectus (il y a environ 1,9 millions d’années) faisaient cuire leurs aliments.

Les nombreuses fouilles des habitats préhistoriques ont démontré que les foyers eux-mêmes ainsi que leurs pourtours étaient jonchés d’ossements d’animaux : la première explication est évidemment que les allumeurs de feu bouffaient les bestioles auxquelles appartenaient les ossements et que, secondement, les susnommés allumeurs de feu utilisaient également les ossements comme combustible. Habile.

Il existe encore beaucoup de questions autour des modalités de cuisson des aliments mais en considérant les niveaux de développement technique, on peut imaginer que les aliments étaient cuits sous forme de grillades, de broches ou brochettes ou bien en utilisant un système de cuisson à l’étouffée ou dans des fours en terre. Le poêle ne semble pas encore être d’actualité.

Crêpes au Pancréas de Biche Confit aux Pruneaux

C’est l’Antiquité qui nous fait découvrir les premières poêles. Les fouilles de l’Agora d’Athènes ont mis au jour un grand nombre d’ustensiles de cuisine aux fonctions diverses. Parmi eux, le tagênon une grande poêle en céramique. À cette époque tout ou presque est en céramique. Les plus riches possèdent quelques objets en métal mais il s’agit généralement de vaisselle.

Les Romains prennent la suite des Grecs et l’influence de ces derniers sur l’art culinaire romain est palpable. Pour mitonner leur saloperie de loir confit à la gelée de fraise (une référence cinématographique se cache ici), les Romains les plus fortunés utilisent des poêles en bronze, nommées sartago. Certaines sont retrouvées à Pompéi et Herculanum. Pour les pouilleux, on maintient la terre cuite.

Poêle pour la cuisson des oeufs ou des galettes. Boulangerie de Donatus Musée de Naples © Aperto Blogo
Poêle romaine militaire en bronze. Marque du fabricant de Publius Cipius Polybius, 65 - 85 après J.C. (période flavienne) © Sands of Time

Le Gras c'est la Vie

Au Moyen-Âge, le feu est encore nécessaire pour tous les types de cuisson. Ils existent alors une multitude d’ustensiles qui sont tout autant de variantes de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Si ces libéralités dans le domaine de l’appareillage culinaire sont réservées aux classes les plus fortunées (ce qui est logique puisque les pauvres n’ont pas d’argent et ne mangent pas, se contentant de bêtement mourir de la famine), la poêle tient du modèle égalitaire puisqu’elle se retrouve dans de nombreux foyers.

Au Moyen-Âge, la poêle est, comme à l’époque grecque et romaine, majoritairement en terre cuite.

Ci-contre :

Poêle en terre cuite, XIVe – XVe siècle
©Boijmans Collection, Hollande

Le grand manitou de la cuisine aristocratique est alors le maître queux – dénomination qui n’est pas insultante puisque « queux » vient du latin cognus et de coquere « cuire ». C’est lui qui manie la poêle, poêle qui est désormais en cuivre.

Et c’est ainsi que dans un même élan – qui pourrait tenir du Carrousel si on poussait un peu l’image – tous les Chrétiens le jour de Mardi Gras, empoignaient avec ferveur leur poêle pour y déverser la pâte à crêpes épuisant ainsi les réserves de beurre et d’œufs qui ne pouvaient être consommées pendant le Carême, se dirigeant ainsi de leur plein grès vers une période de régime forcé alors même que le bikini n’avait pas encore été inventé. Même les gamins pouvaient participer :

Poêle-jouet en fer pour enfant contenant deux poissons, également en fer, XVIIe siècle © Portable Antiquités Scheme
Poêle-jouet en fer pour enfant contenant deux poissons, également en fer, XVIIe siècle © Portable Antiquités Scheme

Pourtant, derrière cette charmante abnégation, se cache une réalité plus crue : le Carême est ni plus ni moins qu’une période de jeûne qui tombe – comme par hasard – pile au moment où les réserves de bouffe commencent à s’épuiser. Dans une société médiévale (mais c’est aussi valable jusqu’au XIXe siècle) majoritairement agraire, mettre tout le monde à la flotte et au pain sec avant la fin de l’hiver pour raisons religieuses, ce n’est ni plus ni moins qu’une belle opération politique pour éviter que les pauvres ne se soulèvent contre le pouvoir parce qu’il n’y a plus rien à bouffer (coucou Louis XVI).

N’oublie pas que Mardi Gras est à l’origine une fête païenne romaine. Or il se trouve que les Chrétiens eurent quelques démêlés avec les Païens, certains servirent parfois malencontreusement de snack à des lions. La pardon chrétien étant ce qu’il est, un paquet de fêtes païennes furent christianisées, histoire de faire passer la pilule du dieu unique plus facilement. Mardi Gras en est l’exemple : à l’époque romaine, cette fête était connue sous le nom des Calendes de mars ; elles célébraient notamment la renaissance de la nature et l’arrivée du printemps.

À cette occasion, les interdits étaient transgressés et il était autorisé de se travestir ; raison pour laquelle le Mardi Gras est aussi le jour où les enfants se déguisent.

Poêle et ustensiles médiévales en terre cuite In La Cuisine Romaine, Glénat