Le sapin de Noël connait aujourd'hui une diversité remarquable : sapin naturel dont l’épicéa, qui perd l’intégralité de ses épines avant d'arriver à bon port, ou encore le Nordmann, qui fait le bonheur des chats.
Citons également le sapin artificiel, plébiscité par les maisons équipées de chauffage au sol car il résiste à cette technologie, ennemie de la magie de Noël, qui épile une à une les épines naturelles, terrassées par cette source de chaleur inhabituelle. Le sapin d’extérieur lumineux qui, non content de clignoter comme un raveur sous acide, augmente considérablement nos chances d’être les prochains hôtes malheureux d’une catastrophe nucléaire. Enfin le sapin miniature enneigé en plastique, succès commercial des années 1980 mais tristement oublié aujourd’hui.
La question qui se pose néanmoins est bien celle-ci : pourquoi le sapin plutôt qu’un autre arbre ?
Car nos ancêtres, rompus aux périodes glaciaires, avaient le sens de l’observation. Dans les pays nordiques, la tradition voulant que l’on place des végétaux au feuillage persistant à l’intérieur des habitats est attestée depuis l’époque préhistorique. Les fêtes romaines des Saturnales, fêtes en l’honneur du dieu Saturne célébrées lors du solstice d’hiver, sont les lointaines héritières de cette pratique commune à de nombreuses sociétés antiques d’Europe.
À l’occasion des Saturnales, un carnaval accompagnait l’évènement et autorisait l’inversion temporaire des rôles classiques, enracinés dans la société. Les déguisements étaient autorisés instaurant un désordre fugace au cours duquel il était bien difficile de retrouver le confort de repères rassurants. C’est ainsi qu’en inversant les rôles, en encadrant un temps le désordre, on soutenait le retour inévitable de l’ordre.
Nous ne nous éloignons pas de notre sapin. Car il en va du désordre de la société comme des rôles de prédominance qui s’inversent deux fois par an dans la nature. À partir du solstice d’hiver, la nuit perd son emprise sur le jour et la lumière regagne chaque jour quelques minutes sur l’obscurité.
Accrocher des branches de sapin aux portes des habitations ou les suspendre à l’intérieur de la maison à la manière du carnaval. C’est une garantie rassurante qui promet le retour à un ordre et une sécurité naturels favorisant la vie (le printemps). Quand la période allant de la Toussaint au solstice d’hiver semble s’acharner à détruire la vie, les branches vertes et persistantes des sapins sont la promesse de la défaite hivernale et de l’avènement d’une nature qui s’épanouira à nouveau. La promesse que l’équilibre basculera du côté de la lumière après cette longue période d’obscurité.
Le sapin est la promesse du retour prochain de la vie. La persistance de son feuillage face aux rigueurs de l’hiver atteste de la défaite inévitable de cette saison au retour du printemps.En faisant entrer le sapin dans l’habitat, on souhaite s'approprier un peu de sa résistance au froid et aux privations. On émet le souhait que la vie soit aussi persistante que ce feuillage. Et le sapin de devenir un symbole apotropaïque.
Photographie © Marielle Brie
Chez les antiques Germins, le combat du roi Houx contre le roi Chêne est une parabole de cette inversion tant attendue au solstice d’hiver.
Chez les Celtes, le sapin évoquait la renaissance de la vie. Or il est remarquable qu’en vieil irlandais le mot sapin se dise ailm, terme désignant également le palmier, l’arbre de la nativité en Égypte, à Babylone et en Arabie. Les entrecroisements des langues réservent toujours de curieuses surprises.
Traditionnellement le palmier est l’arbre du phénix immortel depuis qu’une confusion en grec ancien a créé ce lien par homonymie : palmier et phénix s’écrivent dans cette langue de la même manière.
Par de tortueux méandres, le sapin au feuillage persistant (éternel ?) est considéré par le mot irlandais qui le désigne comme aussi éternel que le phénix. Le sapin renaît-il de ses cendres ? Nous sommes malheureusement privés de réponse par la multiplication des arbres artificiels…
Le sapin de Noël tel que nous le connaissons semble apparaître dès le XVe siècle à Sélestat (en Alsace) où un document atteste d’une réglementation mise en place pour réguler la coupe des sapins à l’approche de Noël (et du solstice d’hiver). Naturellement, il faut bien que cette tradition soit née dans des régions froides et forestières. On aurait certainement eu plus de difficulté à localiser la naissance de cet usage sur la Côte d’Azur.
À Versailles en 1738, la reine Marie Leczinska, d’origine polonaise, fit installer sans trop de succès un arbre de Noël au palais. Les courtisans n’eurent pas la délicatesse d’apprécier la poésie de cette démarche, leur intérêt allant davantage aux épines qu’ils pouvaient placer dans les souliers de leurs camarades plutôt qu’à celles qui tombaient sur le parquet versaillais.
Il faut attendre le XIXe siècle pour que cette pratique se propage jusqu’à devenir celle que l’on connaît aujourd’hui.
- CONTON J., L'Ogham celtique ou le symbolisme des arbres - L'oracle des druides, éditions Mémoire du Monde, 2014
- UELTSCHI K., Histoire véridique du Père Noël, du traineau à la hotte, Imago, Paris, 2012
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