L’histoire de la citrouille d’Halloween n’est pas seulement celle de Jack, cet ivrogne irlandais qui crut un jour pouvoir berner le Diable. La lanterne grimaçante se propose en réalité d’expliquer un phénomène naturel longtemps incompris.
Dans les pays anglo-saxons, ce que tu nommes lanterne-citrouille d’Halloween se désigne par « Jack-o’-lantern » en hommage à ce mythique soulard irlandais qui se joua par deux fois du Malin (qui ne l’était donc pas tant que ça) avant d’être condamné – par sa propre maladresse – à errer indéfiniment entre le monde des vivants et celui des morts sans pouvoir jamais trouver le repos, son cheminement éternel seulement éclairé d’un charbon ardent offert par le Diable (qui finalement, est un type peu revanchard). Jack-o’-lantern devient parfois Will-o’-the-wisp. Mais toujours l’idée d’errance, de déséquilibre et de vacillement qualifie à la fois la démarche physique du personnage et l’oscillation de la lumière émise par le charbon. Jack ou Will synthétisent l’inquiétude de l’humain lorsque les jours durent moins que les nuits, que le froid tue doucement (l’Oscillococcinum longtemps n’exista pas) et que la nourriture se fait rare (la raclette longtemps n’exista pas). Incertitude du retour de la vie, instabilité de la vie même et lumière moribonde faisant vaciller l’humain – pas encore équipé de Google Home – entre vie et mort, tout un programme de réjouissances qui ne joua jamais en faveur d’une revalorisation de cette période de l’année, pourtant agréable pour ceux ayant le bon goût de n’être pas des pécores.
Une lumière entre deux mondes
Nombreux sont les dictionnaires anglo-saxons anciens alléguant que, depuis au moins le XVIIe siècle, l’expression Jack-o’-lantern désigne un feu follet. Ce dernier, aussi connu sous le nom de Ignis fatuus, qualifie un phénomène naturel lumineux et éphémère qui éveilla chez nos ancêtres autant de crainte que de curiosité. Ces petites flammes apparaissent lors de la combustion spontanée d’émanations de gaz (contenant du méthane) et de phosphore généralement émis par la décomposition de matières organiques comme, par exemple, de frais et dodus cadavres. D’où l’observation récurrente par nos ancêtres de feux follets dans les cimetières ce qui, tu t’en doutes, laissa libre cours à toutes sortes d’interprétations dont la plus commune fut que les feux follets étaient des âmes errantes. Une période de Fake News qui eut donné raison à Donald Trump avant qu’on ne le brûla pour sorcellerie arguant du contraste chromatique démoniaque opposant sa peau à ses cheveux.
Il se trouve par ailleurs que la toponymie des villages britanniques connait des récurrences tels que « Hoberdy », « Hob », « Puck », « Jack » ou encore « Will » qui sont historiquement liés à des légendes indiquant la présence en ces lieux des curieuses flammes. Dans le comté du Worcestershire, les ignes fatui portent par ailleurs le nom de « lanterne d’Hoberdy » ou « lanterne d’Hobany », « Hob et sa lanterne » sans compter les classiques Jack et Will. Un peu plus au nord, le comté de Cheshire s’adonna longtemps à « Old Hob », une tradition consistant à faire gambader sous un drap un homme animant le crâne d’un cheval, tel un canasson sorti tout droit des enfers. Nombreux sont les comtés à se targuer de cette festivité dont les noms ont toujours pour étymologie commune ce « hob » dérivé du mot gothique « hoppe » désignant le cheval. Que vient foutre un poney décédé dans notre histoire de feu follet ? C’est une question que tu es en droit de te poser. Posons-là.
Historiquement, les premières lanternes d’Halloween furent creusées non pas dans de sympathiques citrouilles mais dans de britanniques navets. La citrouille venue d’Amérique du sud supplanta le malheureux navet lorsque les États-Unis s’imposèrent comme les leaders de cette célébration de la fin octobre.
« Jack-O-lantern » sculptée dans un navet, XIXe siècle, Fintown, conté de Donegal en Ireland. Présentée au Museum of Country Life, comté de Mayo, Ireland. © National Museum of Ireland
Reprenons. L’équidé vient occuper une place de choix dans cette glaçante histoire car le déplacement du feu follet évoqua à beaucoup le déplacement d’un cheval au petit galop, une allure par nature instable puisque composée de 3 temps. Cette assimilation du feu follet au cheval se trouve encore dans les toponymies désignées par « Puck » puisqu’une fée populaire du folklore celte se prénomme Puck, Púca ou Pwca. Cette dernière prend malicieusement plaisir à orienter un temps les voyageurs perdus grâce à une faible lueur chancelante. Lorsque les voyageurs éreintés parviennent en la suivant au beau milieu d’un marais ou d’une tourbière, la vilaine créature éteint le feu et abandonne les malheureux perdus dans la nuit et bien loin du chemin du retour. Or il se trouve que régulièrement, Puck joue ses désagréables tours sous la forme… d’un cheval.
Toutes les civilisations européennes considèrent le cheval comme un animal psychopompe (et pas seulement parce que le mot est drôle), à savoir un animal capable de se déplacer entre le monde des vivants et celui des morts (chez les Grecs, les ailes de Pégase sont la preuve de cette aptitude). Puisque les feux follets apparaissaient en général à nos yeux vifs dans de lugubres cimetières et se déplaçaient au train d’un galop infernal, l’assimilation de l’un à l’autre se fit naturellement. Feu follet, âme errante et cheval psychopompe s’amalgamèrent. Dès lors, les légendes invoquaient à l’envie ces lumières blafardes assimilées de près ou de loin au cheval et feignant de guider une âme en peine, qu’elle soit vivante (comme un voyageur perdu) ou morte (comme celle de Jack).
La veillée de la mort
La porosité entre le monde des morts et celui des vivants semblait être favorisée autour du 31 octobre, date charnière entre l’équinoxe d’automne et le solstice d’hiver. On ne compte plus les articles liant la fête d’Halloween originellement nommée All Hallows Eve (la veillée de tous les saints) à une antique fête païenne (Samhain), la raison nous intime pourtant de rester modeste : nous savons très peu de choses de ce Samhain d’antan. Une quasi certitude néanmoins, les lanternes spécialement confectionnées pour Halloween semblent vouloir reproduire ce feu follet rapide et instable dans son allure, incertain quant à sa nature et aussi fugace que la lumière d’une journée d’hiver.
La lanterne instable et faiblement lumineuse incarne le feu follet lui-même assimilé au cheval psychopompe. Comme le cheval psychopompe, la lanterne favorise la communication entre les âmes errantes et les vivants lorsqu’aux alentours du 31 octobre, les deux mondes semblent plus proches que jamais… l’obscurité et le froid ne sont sans doute pas étrangers à cette évocation morbide. Pour les vivants, cette lanterne est une lumière bienvenue mais dont il faut toujours se méfier. C’est une lumière liminale, entre deux mondes et nul ne sait si elle continuera de briller ou finira par s’éteindre, d’où son visage souvent grimaçant peu enclin à susciter un paisible et rassérénant sentiment de confiance.
Jack-o’-lantern, Will-o’-the-wisp, Hoberdy’s lantern ou Puck ne sont donc que les personnifications des feux follets. Ils sont parfois si bien installés dans la culture locale qu’ils en laissent le souvenir dans une toponymie favorable à l’apparition de ces manifestations lumineuses. À l’occasion d’Halloween, ces apparitions lumineuses s’incarnent dans des lanternes favorisant la communication entre les morts et les vivants, pour le meilleur mais surtout pour le pire…
- Jabez Allies, On the Ignis Fatuus : Or, Will-o'-the-wisp, and the fairies, London, Simpkin, Marshall and Co, Stationers Hall Court and Deighton, Worcester, 1865
- www.museum.ie
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