Unicum méconnu en Europe, la poule et ses poussins d’or du Trésor de Monza sont un chef d’œuvre d’orfèvrerie lombarde encore mystérieux. L'objet ne relève sûrement pas seulement de la chrétienté et s'ancre dans une préoccupation humaine universelle incarnée par la poule et l’œuf de Pâques.
Dualité pascale : poule chrétienne et poule païenne
Toute de vermeil (argent doré), la poule de Monza et ses sept poussins sont présentés sur un plateau. La légende veut que cette pièce d’orfèvrerie remarquable fut retrouvée au XIIIe siècle dans la tombe de la reine Théodelinde de Bavière (570 – 627) lorsque ses cendres furent transférées dans la basilique San Giovanni Battista de Monza, en Italie lombarde.
Comme sa particule de géolocalisation l’indique, cette reine catholique naquit en Bavière. Puis dès qu’elle fut en âge de brandir un crucifix, là voilà participant activement à la conversion au catholicisme des Lombards à commencer par son arien et païen de second mari. Une fois ondoyé l’heureux époux pouvait espérer sceller de solides liens avec Rome. Une aubaine qui valait bien un plongeon. Naturellement, le fils de Théodelinde écopa du même traitement et devint en son jeune âge le premier roi lombard baptisé dès la naissance. Prénommé Adaloaldo (602/3 – 626), son prénom fut choisi d’après l’onomatopée qu’il fit lorsqu’on le plongea dans l’eau bénite (non). La foi, et davantage encore le prosélytisme consciencieux de Théodelinde, lui valurent de faire l’objet d’un culte dès les premières années suivant sa mort. Dès lors, le trésor découvert au XIIIe siècle dans son sarcophage lui fut naturellement lié aussi bien qu’à la religion catholique.
Contre toute attente, on crut donc reconnaitre dans le gallinacé doré, les honneurs de l’analogie biblique. Car dans les Évangiles de Matthieu (23 : 37) et de Luc (13 : 34), Jésus, cet esprit malade, se présente comme une poule :
Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu !
Saint Augustin (354 – 430) se référait déjà au volatile car la théologie, alors naissante, se plaisait à employer l’image d’animaux familiers, comme le feraient ultérieurement les exempla médiévaux pour parler aux pécores. Chacun a en tête (à l’époque du moins) l’image d’une poule protégeant sous ses ailes ses poussins :
L’amour qu’elle [la poule] a pour ses poussins, la change tout à fait. Parce qu’ils sont faibles, elle se rend faible avec eux. Tout de même à cause que nous étions faibles, la sagesse de Dieu s’est revêtue de notre faiblesse, le Verbe s’étant fait chair et ayant fait sa demeure au milieu de nous, afin que nous espérions sous ses ailes.
Jésus est un poulet, voilà tout. Plusieurs mosaïques parmi celles des premières églises chrétiennes présentent le sujet à plumes avec ce même parallèle et de curieuses légendes en France (comme celle du Trésor de Puy-Notre-Dame en Anjou) mentionnent des sculptures de poules et de poussins dorés, disparues depuis longtemps mais ayant fait jadis la fierté de Trésors religieux.
La poule de Monza serait-elle l’allégorie de l’Église protégeant ses fidèles comme la poule protége ses petits ? C’est possible, mais rien n’est certain. Avant que le christianisme ne se répande, les cultes et cultures païens usèrent aussi bien de l’image de la poule et de ses poussins. Or, si la datation de cette œuvre pose problème – j’y reviendrai – il est néanmoins certain qu’un commanditaire exigea et paya pour une poule et des poussins qu’il souhaita aussi dorés qu’un poulet grillé.
Les matériaux composant une œuvre religieuse médiévale sont tout sauf choisis au hasard. Leur valeur mystique est aussi capitale qu’elle est symbolique. Une caractéristique qui ne peut être ignorée de personne depuis la publication de l’histoire des couvertures des livres carolingiens.
Partout et depuis toujours, l’or symbolisme l’éclat solaire. Car l’Homme, à quelques exceptions près, a l’analogie facile et moins fine que ce qu’il aimerait laisser croire. L’or est lumineux, solide, imputrescible et semble garant de l’éternité de la lumière, de son retour immuable après la nuit. Ce minerai incarne l’immortalité inaccessible aux mortels moches, faibles et pourrissants. L’or fraye avec le divin, ce que précisément l’homme n’est pas. Choisir de recouvrir une sculpture d’or implique donc d’offrir à cette dernière toute la dignité du divin. Quelle que soit la datation de cette œuvre, une fois qu’elle a été placée dans un contexte funéraire et religieux – d’autant plus dans le cas de Théodelinde d’abord enterrée dans la chapelle de son palais puis dans une basilique – poule et poussins ne pouvaient échapper à la symbolique sacrée.
La propension du catholicisme à s’approprier des cultes païens pour mieux faire passer la pilule du monothéisme attesta à nouveau de sa redoutable efficacité. La team Jésus étouffa peu à peu les anciens rites qui perdurèrent parfois sous un autre nom ou s’essoufflèrent inéluctablement avant de disparaître tout à fait.
Depuis l’Antiquité, la persistance de l’assimilation de la poule à la famille des volatiles lui donne l’aura d’animal chtonien et psychopompe (qui circule entre le monde des vivants et celui des morts). Raison pour laquelle les antiques la sacrifient largement sur les autels des divinités et sûrement aussi, par commodité. Car la poule est docile, domestique et plus facile à attraper qu’une autruche, tout comme les poulets et les coqs. Certains assurent même (et d’autres l’affirment encore) pouvoir lire la volonté des dieux en farfouillant dans les entrailles de la bestiole. Quelle que soit l’efficacité de cette activité salissante, l’assimilation des qualités mystiques de la poule aux sacrifices et à la mort fut sans doute à l’origine de nombreuses traditions païennes – notamment slaves ou germaniques – consistant à enterrer une poule auprès d’un défunt. À défaut de poule, des œufs ou des objets figurant des poules faisaient aussi bien l’affaire. Le message était limpide : il s’agissait de favoriser la résurrection du défunt dans l’autre monde. Encore aujourd’hui nos poules et œufs de Pâques ne symbolisent rien d’autre que la résurrection.
L’idée d’abondance associée à la poule (elle pond tous les jours et se nourrit de peu) a certainement favorisé les vertus de ce volatile dans l’imaginaire collectif. La fable de la poule aux œufs d’or parle d’elle-même et date déjà du temps d’Ésope (620 - 564 avant J.C.).
Le premier œuf impérial de Fabergé fut commandé par le tsar Alexandre III comme présent pour sa femme. L’Œuf de poule daté de 1885 est en or et sa coquille émaillée d’un blanc opaque s’ouvre pour révéler un jaune d’or mat, qui à son tour s’ouvre sur une superbe poule en or © The Jewellery Editor
Il serait facile d’arguer qu’œufs ou poules n’étaient dans ces tombes que de vulgaires offrandes alimentaires – pratiques païennes courantes – dont nombre de sépultures découvertes aujourd’hui offrent toujours le souvenir et l’illustration. Pourtant, plusieurs tombes présentent des squelettes entiers à l’inverse des offrandes alimentaires caractérisées par l’absence de certains os car l’animal était préalablement découpé et cuisiné par le KFC de l’époque.
Par ailleurs, les archives de l’Archidiocèse de Milan révèlent que des enquêtes furent menées au XVIe siècle à propos d’une tradition consistant à placer une poule ligotée auprès de ceux qui venaient de passer l’arme à gauche. Plusieurs tombes germaniques du haut Moyen-Âge (entre l’an 476 et l’an 1000) témoignent de cette tradition. Ne serait-il pas temps de te souvenir de la particule de Théodelinde, cette Bavaroise de culture germanique ? Est-il possible que les cultes païens et chrétiens aient fusionné dans la poule de Monza si cette dernière a effectivement accompagné la reine au tombeau ? Peut-être. Quelle que ce soit la raison de la présence d’une poule dans la tombe de la germanique Théodelinde, les symboliques de résurrection associées à l’oiseau se rejoignent, qu’elles soient chrétiennes ou païennes.
Plus probablement, cette poule de Monza – qu’elle ait été créée ou pas pour Théodelinde la Teutonne – fut très tôt associée à la reine, absorbant tout à la fois le culte naissant rendu à la Lombarde et les modèles d’eschatologie individuelle (des modèles ayant trait à la préoccupation de la vie après la mort) ancrés profondément dans les cultures locales. Les chercheurs s’affrontent encore pour percer la signification de cette œuvre et plient parfois la matière et les techniques aux nécessités de leurs argumentaires. Car cette poule et ses rejetons sont difficilement datables.
Jean Hubert (1902 – 1994), historien de l’art, tenait pour certain que les cocottes dataient de la fin du IVe siècle. D’autres les pensent beaucoup plus tardives, du XIIIe siècle parfois, époque où l’on découvrit l’œuvre. D’autres encore affirment que la poule fut réalisée bien avant ses poussins.
Aucune réponse n’est à ce jour formellement reconnue comme étant la bonne. Mais aucun doute non plus ne vient contredire la préciosité de ce chef d’œuvre de l’orfèvrerie lombarde.
Pâques : fabriquer une poule en or
La technique du vermeil consistant à appliquer une fine couche d’or sur une surface en argent n’est pas spécifique aux orfèvres lombards. La technique est maîtrisée depuis l’Antiquité puisque Homère y fait référence dans l’Odyssée. Par pliage, martelage et plus tard au mercure, l’application de l’or sur l’argent est une opération délicate et le seul apanage des orfèvres talentueux.
Sur cette poule dont la taille équivaut à celle d’un petit poulet, il est tout à fait remarquable que seulement une unique feuille de métal ait été appliquée sur l’âme de bois. Dans une optique naturaliste, la feuille fut ornée de motifs exprimant la texture et le mouvement des plumes de l’oiseau grâce à la technique du repoussé. Cette dernière est pratiquée à froid et consiste à pousser le revers de la feuille métal à l’aide d’un outil de sorte que le motif apparaisse à l’avers. Sur la tête, le duvet de plumes est rendu grâce à un poinçon rond, comme pour les poussins. Les pattes ont été fabriquées séparément puis soudées au corps de la poule.
La réalisation des poussins pose davantage de questions. la surface du métal semble plus épaisse ce qui amène certains à suggérer que les poussins ont été fabriqués en métal moulé tandis que d’autres soutiennent que l’épaisseur de la feuille donne au repoussé une apparence plus grossière. Alors que la poule ne semble pas avoir subi de dommages, les poussins ont été à plusieurs endroits réparés à la feuille d’argent.
De cette glorieuse mère poule, les poussins héritèrent de ses yeux précieux de saphirs. Qui n’a jamais échouer – pour peu qu’il s’y soit essayé – à saisir la profondeur du regard de la poule ? L’imperturbable volaille a pourtant ici des yeux d’une remarquable intensité car faits de rubis ou de grenat. L’œil gauche est même une intaille antique figurant, assez grossièrement, un guerrier. Le réemploi courant des œuvres de glyptique antique au Moyen-Âge trouva souvent un nouvel ancrage sur les réalisations d’orfèvrerie. Notre poule est un vivant exemple de cette pratique.
Regardant l’ensemble volailler, on ne peut nier qu’il s’en dégage un surprenant naturalisme sans doute hérité de la maîtrise lombarde en matière de représentation animale dans l’orfèvrerie. La fin de l’Empire romain marqua une effervescence des échanges techniques partout en Europe, les influences orientales infusant notamment l’art du métal. Les motifs végétaux et animaliers remportant tous les suffrages comme aujourd’hui la bienveillance et les coach de vie.
Incrustations et cloisonnés coloraient de teintes précieuses des surfaces sinon trop uniformes. La volonté de rendre la variété des formes, des couleurs et des nuances de la nature est toujours palpable. Déclinés depuis des siècles, les sujets animaliers orientaux circulaient aux gré des échanges, s’adaptant aux goûts des différentes cultures qu’ils rencontraient. Les relations commerciales impliquant la Lombardie à l’époque de la reine Théodelinde témoignent déjà de cette richesse multiculturelle et les objets venus des proches cultures orientales de devenir des sources d’inspiration pour les artistes d’Italie du nord.
La tradition artistique lombarde naturellement marquée par l’empreinte germanique, elle-même imprégnée de l’art byzantin, offrit ainsi des objets d’art d’une admirable qualité et d’un délicat raffinement. Ces œuvres orientales et germaniques marquèrent-elles sournoisement l’esprit de l’orfèvre auteur de notre poule et de ses poussins ? Très probablement.
Quelle que soit la symbolique et la datation qui pourraient être attribués à la poule du Trésor de Monza, cette œuvre unique et luxueuse incarne l’effervescence artistique qui anima la fin de l’Antiquité mais aussi une large partie du Moyen-Âge. Cette lointaine époque est souvent loin des idées caricaturées communément admises. L’époque médiévale n’est pas plus sombre que la notre. Elle est seulement différente dans ses préoccupations et ses codes culturels. Et tous ses défauts ne l’empêchent pas de faire preuve d’éclat dans ses qualités.
Les fructueux échanges ayant trait au commerce ou bien à l’art de se foutre sur la gueule avec le monde oriental n’auront d’ailleurs de cesse d’enrichir le vocabulaire artistique médiéval et toutes ses formes d’expression. Ces échanges caractérisant les relations humaines ne demeurent jamais bassement matériels et touchent inévitablement l’esprit. L’assimilation de symboliques provenant de différentes cultures, les déplacements des cultes et des croyances construisent finalement une unité de pensée à la poule de Monza. Presque partout en Europe, le quidam un tant soit peu familier de la religion (monothéiste, païenne ou polythéiste) y décèlera une symbolique de protection maternelle, d’abondance et de lien mêlant la mort à la renaissance.
- DUFEIL, Michel-Marie. Les deux ors In : L’or au Moyen Âge : Monnaie, métal, objets, symbole [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 1983
- Erlande-Brandenburg Alain. La poule aux poussins d'or du trésor de Monza. In: Bulletin Monumental, tome 127, n°4, année 1969. p. 333
- LOMBARD, Maurice, Les métaux dans l'Ancien Monde du Ve au XIe siècle, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2013
- MÜNTZ, Eugène, Notes sur les mosaïques chrétiennes de l’Italie les pavements historiés (Suite Et Fin).” Revue Archéologique, vol. 33, 1877, pp. 32–46.
- ROSE Elizabeth, Faith, Memory, and Barnyard Fowl, The Hen and Chicks Sculpture of the Basilica di Giovanni Battista at Monza, University of Toronto Art Journal, Vol. 1, Printemps 2019
- SEIGLE, Michaël. « Ce sont les principaux maîtres des maîtres du monde » (Pline l’Ancien X, 24) : le coq dans les religions romaine, grecque et gauloise In : L’animal symbole. Paris : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2019
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