Que serait ton sapin sans ces décorations rondes et colorées ? Un arbre égaré planté au milieu du salon, installation empruntant autant au surréalisme belge qu'à la défense toute relative de la nature. Les boules de Noël sont bien le symbole de cette glorieuse époque de l'année, réjouissances pour les uns, calvaire pour les oies.
La forme la plus ancienne de boule de Noël emprunte naturellement et sans grande originalité aux pommes rouges et rondes mais également, et c’est une curiosité moins connue, aux hosties non consacrées (appelées « oublies ») que les Alsaciens accrochaient aux sapins, tradition attestée depuis le XVIe siècle. La pomme évoquait le péché originel d’Adam et Ève, les deux nudistes du jardin d’Eden, tandis que l’oublie annonçait la rédemption enfin rendue possible par le sacrifice de Jésus, un personnage à peine plus porté sur les vêtements que notre couple primitif.
Puisque les pommes étaient du plus bel effet, quelques excentriques s’essayèrent à enrichir les arbres d’autres fruits aussi colorés que savoureux, ajoutant également de ces fruits hivernaux que sont les glands, noisettes et pommes de pin. Ces dernières, non comestibles, furent parées de dorures artificielles dès que la chimie nous rendit cette prouesse possible et financièrement accessible – soit au XXe siècle.
En 1820 à Lauscha en Allemagne, un talentueux souffleur de verre – dont le projet peut laisser supposer une forme d’allergie aux fruits à coque – entreprit de reproduire ces fruits en verrerie. Une mission dont il s’acquit sans difficulté.
Néanmoins, il ne fut pas le seul à revendiquer la paternité de cette idée originale. Un tout aussi anonyme souffleur de verre de la verrerie de Goetzenbruck en Lorraine, ou bien de Meisenthal (ou d’ailleurs dans cette région), est crédité dans les années 1850 de la même brillante idée. D’autres artisans, fiers représentants de leur bourgade natale, ont certainement été applaudis pour des créations similaires.
L’intérêt n’est finalement pas de savoir qui est le véritable inventeur de la boule de Noël en verre. Il y a d’ailleurs peu de chance pour que nous ayons l’assurance de trouver cette réponse un jour. En revanche, on peut remarquer – et je ne doute pas que ta sagacité dans ce cas ait été aussi remarquable que fulgurante – que tous ces inventeurs ont en commun d’avoir vécu au XIXe siècle – et plutôt dans sa seconde moitié – et de résider dans des régions forestières très proches les unes des autres et justement réputées pour leurs industries… verrières.
Les boules de Noël auraient-elles pu apparaître à une époque plus ancienne ? Rien n’est moins sûr. Le développement et la maîtrise du verre, longtemps perdu, fut redécouvert en Italie avant de se développer en Bohême et dans l’est de la France. Jusqu’au XIXe siècle, le verre est un produit cher lorsqu’il est parfaitement blanc, il relève même du luxe aux époques précédentes.
Il faut attendre la révolution industrielle du XIXe siècle et les perfectionnements apportés à cette technique – dont le verre églomisé et le verre coloré en série sont parmi les innovations les plus spectaculaires – pour que le verre entre dans les intérieurs bourgeois.
Dans le cas des boules de Noël, la rencontre et l’articulation des technologies développées au XIXe siècle avec les nouvelles pratiques sociales adoptées par la bourgeoisie vont permettre à ces boules de verre coloré de trouver leur public. Jusqu’à envahir la société tous les ans au mois de décembre, comme c’est toujours le cas aujourd’hui.
Les premières décorations de Noël telles que nous les connaissons sont d'abord désignées par le terme kugel, « sphère ».
Peu à peu s’agrègent à ces boules des traditions populaires liées de près ou de loin à la crainte de cette période où les nuits durent toujours longtemps que les journées. Dans la région de Bohême, en Allemagne et dans l’est de la France, il semble que ces sphères réfléchissantes répondaient à une peur panique des mauvais esprits. Au lendemain d’une inquiétante fête de la Toussaint, rien n’était plus terrifiant que d’imaginer qu’un démon puisse entrer dans une maison. Il en allait de la santé – et de la vie ! – des occupants de la chaumière car un esprit de ce genre ne manquait jamais d’apporter maladie, malheur ou mort.
Pour s’en défendre, la parade consistait à suspendre les kugel au plafond, face à la porte d’entrée (il semble que, tous démons qu’ils soient, ces êtres maléfiques n’aient jamais envisager de passer ailleurs que par la porte d’entrée) : si la boule reflétait le visage de la personne qui la regardait en entrant, l’invité n’était autre qu’un inoffensif humain. Dans le cas contraire, il fallait craindre un esprit ectoplasmique. Aucune indication n’indique cependant comment refuser l’hospitalité à ce genre d’individus.
Les innovations aidant, le kugel s’affina esthétiquement et l’inclusion de nitrate d’argent à l’intérieur de la boule lui apporta une belle brillance reflétant parfaitement la lumière. Quelques années plus tard, toujours au XIXe siècle, on remplaça l’onéreux nitrate d’argent par une pellicule de mercure, dont le prix était inversement proportionnel à sa dangerosité lors de la fabrication de l’objet.
Aujourd’hui, les matériaux et les formes se sont diversifiés. La finesse de la porcelaine et du biscuit ont séduit les amoureux des Noëls blancs depuis la fin du XIXe siècle. Depuis les délicates créations des ateliers de Limoges aux traditionnelles créations verrières de la belle Bohême, les boules de Noël n’en finissent pas d’inspirer les artisans.
Pourtant le versant sombre d’internet nous confronte chaque année à l’imagination débridée de jeunes créateurs faisant fi de l’ancien caractère religieux de cette décoration, telle cette entreprise innovante à laquelle est promis -comment en douter ? – un bel avenir…
- Lautman Françoise. Culmann (Oscar) La Nativité et l’arbre de Noël. Les origines historiques. In: Archives de sciences sociales des religions, n°84, 1993. p. 315.
- La collection d’ornements de Noël Claude-Davis
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