Que l'époque soit à la Saint-Valentin ou pas, il n'est aucun sujet sur lequel le lecteur curieux ne mérite de pérorer avec grâce. L'histoire des bagues de fiançailles et alliances ne fait pas exception.

Naturellement, on imagine la genèse de ce bijou très liée au cérémonial religieux, catholique cela va sans dire. Sans surprise pourtant, ce n’est pas le cas et l’Église de confisquer un symbole païen, comme elle sait si bien le faire.

La bague de fiançailles : anneau de la discorde

Sans doute téméraire fut l’inconscient enthousiaste qui, sûr d’agir doctement, dit oui à sa promise en brandissant l’anneau païen, au pied de l’autel, face à un curé médusé. Gollum ne pouvait pas mieux ébranler Jésus sur sa croix dont, comme chacun sait que les clous n’étaient pas bien plantés.
L’Église chrétienne ne fut probablement pas mis au pied du mur (ou de la croix) aussi brutalement. L’adoption et l’assimilation d’une pratique comme tant d’autres issues de cultes païens ne devaient pas se faire dans la précipitation. Néanmoins, une fois le processus enclenché, le nouveau culte entendait transformer les objets polythéistes liés aux cultes païens en hommage ému au seul et unique, leur champion en tutu : Jésus.

Alliance romaine en or. Circa IIe ou IIIe siècle de notre ère © Australian Antique & Art Dealers Association
Alliance romaine en or. Circa IIe ou IIIe siècle de notre ère © Australian Antique & Art Dealers Association

Hélas, il eut fallu remonter le temps pour éradiquer les racines païennes de nombre de pratiques. À commencer par celle de l’alliance. Car l’anneau marital n’est pas une invention romaine mais égyptienne.

La plus ancienne bague de mariage est âgée d’environ 6000 ans et fut l’œuvre d’un habile artisan dont le peuple génial s’adonnait autant à l’art du khôl qu’à celui de la géométrie 3D. Par cet objet anodin mais au combien symbolique, les heureux époux matérialisaient leur union en s’échangeant des anneaux de chanvre ou de roseau tressé.

Alliance païenne n'échappe pas à l'iconographie chrétienne liant celui qui la porte autant à ses serments qu'à celui qui pourra juger de leur observance.

Alliance décorée de scènes de la vie du Christ. Or niellé, VIe siècle. © Walters Art Museum
Alliance décorée de scènes de la vie du Christ. Or niellé, VIe siècle. © Walters Art Museum

L'alliance : jurer de protéger

Pour comprendre la valeur symbolique de l’alliance, de l’anneau de mariage, il faut en passer par le récit démiurgique de l’Égypte antique (circa 3150 avant notre ère – 30 de notre ère). La période est longue mais les mythes ont la peau dure et, si le lecteur trouvera ça et là des versions légèrement divergentes, il pardonnera la généralisation que je lui propose subséquemment. Ainsi, comprenons-nous bien, il s’agit pour cette histoire de saisir la richesse du mythe de la création de l’Univers dans la mythologie égyptienne.

Au tout début est une immensité d’eau et de ténèbres, ni le jour ni la nuit ni aucune dualité n’existent : nous sommes plongés dans la tiédeur inquiétante du Noun. C’est alors que Atoum apparaît dans une sorte d’embrasement, d’explosion de lumière formidable qui repousse les ténèbres.

Atoum n’est pas définissable comme une entité à laquelle notre esprit est habitué. Il est une singularité grandissant constamment, une expansion créatrice très tôt symbolisée par une sorte de spirale formée par les anneaux d’un serpent enroulé. À l’intérieur de cette spirale se tient le cosmos, en perpétuel mouvement, en perpétuel expansion.

Bientôt la membrane extérieure du cosmos se stylisa pour prendre la forme d’un serpent encerclant dont le corps souple ceindait les contours du cosmos, comme un rempart. Ce serpent protecteur parvint en Grèce sous le motif connu de οὐροϐóρος, Ouroboros, « qui se mord la queue ».

Il incarne un cercle infini longtemps considéré comme un symbole d’éternité : le serpent s’engendre lui-même en muant, et, de fait, ne connaît jamais la mort. Son cycle de mue lui garantissant l’éternité.

Ce n’est pourtant pas l’unique signification de ce motif. Dans le mythe égyptien, le serpent ourobouros encercle le cosmos et le protège des ténèbres abyssales primitives. Tant que cette barrière demeure intacte, la réalité ordonnée du monde ne risque rien. En revanche, l’effondrement de cette barrière protectrice précède la fin du monde tel que nous le connaissons.

Anneau en or. Circa Ier siècle avant et Ier siècle de notre ère. Exhumé à Alexandrie en Égypte et conservé au British Museum © The Trustees of the British Museum
Anneau en or. Circa Ier siècle avant et Ier siècle de notre ère. Exhumé à Alexandrie en Égypte et conservé au British Museum © The Trustees of the British Museum

Le serpent qui se mord la queue symbolise donc l’enceinte protectrice et circulaire du cosmos. Il est la limite la plus éloignée du monde et définit la course du soleil, l’astre parcourant l’orbe intérieur qui suit le corps enroulé du serpent. Alors, le serpent protège autant le cosmos des dangers extérieurs qu’il protège l’intégrité du soleil pendant sa course diurne et nocturne, dans le monde souterrain.

Horus l’Enfant dans le disque de soleil symbolisé par un Ouroboros. Papyrus Dama Heroub, Musée de Guizeh. XXIe dynastie, VIe – Xe siècle avant notre ère.

Dans sa grande modestie, l’homme élabora un parallèle à son échelle. L’être humain se définit par des phases d’éveil (à la lumière) et de sommeil (dans l’ombre). Dans la culture égyptienne, ces alternances d’éveil à la lumière et de sommeil dans l’obscurité sont à mettre en parallèle avec la course du soleil. Cette conception permet d’invoquer la protection du serpent Ouroboros à l’échelle de la vie humaine car, de la même manière qu’il protège la course de l’astre solaire tout au long de ses phases d’éveil (le jour) et de sommeil (la nuit), il protègera les hommes pendant ces mêmes phases qui rythment leur vie.

Anneaux sculptés en stéatite verte. Égypte ptolémaïque. 305-30 avant notre ère. © Sadigh Gallery Ancient Art, Inc

Un grand nombre d’objets apotropaïques, d’amulettes et de bijoux attestent de cette croyance en la foi et la force protectrice du serpent.
Si le serpent protège le cosmos, il protège logiquement l’homme qui y vit. L’anneau en tant qu’objet devient ainsi une stylisation particulièrement efficace de ce serpent protecteur. L’ancêtre de cette bague de fiançailles qui fait se chaque année se ruiner une palanquée d’amoureux transis est donc un reptile égyptien.

Offrir un anneau, c’est offrir la protection du serpent Ouroboros. S’échanger ces anneaux au serpent lors d’une cérémonie avec ou sans mignardises formalise alors l’idée abstraite et symbolique d’une protection mutuelle. C’est mignon.

Alliance en or sertie d'une aigue-marine. Les noms Valerianus et Paterna sont incrustés en nielle sur les bords de l'anneau. IIIe siècle de notre ère. Conservée au British Museum © The Trustees of the British Museum
Alliance en or sertie d'une aigue-marine. Les noms Valerianus et Paterna sont incrustés en nielle sur les bords de l'anneau. IIIe siècle de notre ère. Conservée au British Museum © The Trustees of the British Museum

Quant à la tradition de placer cet anneau à l’annulaire gauche, il semble que les Égyptiens aient encore une certaine responsabilité dans cette histoire. Ils furent en effet les premiers à penser qu’une unique veine reliait le cœur directement à l’annulaire gauche : la vena amoris.

Autant ils furent remarquables en emballage de corps humains et dans toutes sortes de domaines, autant ils se sont montrèrent ici notoirement mauvais. En revanche, l’annulaire est le premier doigt qui se forme durant le développement des fœtus humains ou des grands singes. Comme quoi, qu’on le veuille ou pas, l’annulaire a une drôle d’importance dans la vie humaine…

Bague de foi ou bague de promesse. Ces bagues étaient offertes comme bagues de fiançailles au Moyen-Âge. Leur matériau différaient selon les moyens des futurs époux. Or, XVIe siècle. © MET Museum
Bague de foi ou bague de promesse. Ces bagues étaient offertes comme bagues de fiançailles au Moyen-Âge. Leur matériau différaient selon les moyens des futurs époux. Or, XVIe siècle. © MET Museum
  • GUILHOU N., PEYRÉ J., La mythologie égyptienne, Poche Marabout, Hachette, Paris, 2005
  • MICHAEL REEMES Dana, The Egyptian Ouroboros : an iconological and theological study, dissertation for the Doctor of Philosophy in Near Eastern Languages and Cultures diploma, University of California, Los Angeles, 2015