À tant le voir, le voici ignoré : le trident de Poséidon (ou Neptune) est l’attribut par excellence du dieu de la mer. Or quel peut être l’usage d’un tel objet par un dieu qui côtoie les sardines ? Histoire et origine de cet objet de pouvoir.

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Pièce de monnaie en bronze à patine verte. Sicile, Syracuse Hiéron II (275-216), Poséidon et son trident flanqué de deux dauphins © NumisBids

Poséidon, un enfant qui échappa aux services sociaux 

Fils du Titan Cronos qui épousa sa sœur Rhéa (ce qui pose déjà problème), Poséidon est notoirement le frère de Zeus et d’Hadès ainsi que le petit-fils d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), deux divinités primordiales. Cronos avait pour mauvaise habitude de dévorer ses propres enfants, ce qui déplaisait naturellement à son épouse Rhéa. Cette dernière, contrariée, sauva son dernier-né Zeus qui parvint à mettre un terme à cette gastronomie originale, évinçant son père en libérant ses frères et sœurs de l’estomac paternel. Zeus devenu dès lors divinité suprême (et psychotique), se partagea l’univers avec ses frangins Poséidon et Hadès. Tandis que le petit dernier s’accaparait le royaume des Cieux, l’empire des Eaux revint à Poséidon et celui des Enfers à Hadès. Chacun reçut un attribut forgé et offert par leurs oncles autrefois prisonniers de Cronos, les Cyclopes ouraniens. Les trois tontons se nommaient Bróntês (Tonnerre), Sterópês (Éclair) et Árgês (Foudre). À Zeus ils offrirent le foudre, à Hadès la kunée (un casque rendant invisible son porteur) et à Poséidon son trident. Les trois attributs sont ainsi tous forgés par des manifestations météorologiques synonymes de fertilité et caractérisant les dieux les plus puissants et ce dans tous les récits démiurgiques des sociétés humaines. Tonnerre, éclair et foudre sont les manifestations reliant le ciel à la terre. Émanant du ciel dans le bruit et la lumière, le foudre frappe la terre, atteignant ses entrailles pour la rendre fertile. Or, Zeus, Poséidon et Hadès sont désormais les trois maîtres de l’Univers puisqu’ils ont chacun hérité d’une de ses parties. Leurs attributs forgés par les trois Cyclopes sont déjà l’indication que cet Univers tripartite émane à la fois du Ciel (Ouranos) et de la Terre (Gaïa). L’eau qui tombe du ciel sur la terre est le lien entre ces deux mondes ; elle s’infiltre dans les profondeurs avant de remonter à la surface et de s’évaporer vers le ciel. Et puisque Ouranos le Ciel et Gaïa la Terre n’étaient pas chastes, ils donnèrent naissance à Póntos, personnification de la Mer.

Comme l'eau et à l'image de Póntos, Poséidon est le lien unissant ciel et terre. 

Neptune calmant la tempête accompagné d’un triton, marbre sculpté en 1737 par Lambert-Sigisbert ADAM (vers 1700 – 1759) © Musée du Louvre / Pierre Philibert

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Pégase, l’incarnation de l’unité des trois mondes

Poséidon est le père de Pégase, le cheval ailé mythologique. Son lien avec le trident n’est certes pas évident et pourtant, l’un comme l’autre sont deux attributs presque semblables de ce dieu. L’étymologie de Pégase semble déjà relier la créature à l’eau puisque selon Hésiode, Pếgasos provient du grec ancien pêgế signifiant « source » : il suffit d’ailleurs que le canasson emplumé frappe d’un coup de sabot le sol pour qu’une source apparaisse miraculeusement. Tout cela semble on ne peut plus logique une fois admis que, d’après une légende de Thessalie, c’est bien à Poséidon que l’on doit la création de Scyphios, le premier cheval, animal chthonien (lié aux puissances telluriques) et psychopompe par excellence qui devint un des attributs du dieu. 

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La Renommée retenant Pégase, groupe sculpté d’Eugene-Louis Lequesne (1839 - 1917) © Museum of Fine Arts Boston

Or, lorsqu’un cheval apparaît dans la mythologie grecque, il dévoile systématiquement la véritable nature de Poséidon et te rapproche sans que tu t’en aperçoives, du fameux trident. Pégase par exemple n’est pas qu’un simple cheval sous acide, il remplit une mission de la plus haute importance : il porte les éclairs et le tonnerre à Zeus, sur l’Olympe. Pégase, assimilé à l’eau et fils du seigneur des Eaux porte vers le maître des Cieux ce qui caractérise son attribut, le foudre. Grâce à Hésiode, te voilà au fait de l’étymologie reliant Pégase à la flotte. Ajoutons que des études linguistiques récentes ont aussi pointé une connexion avec des racines étymologiques indo-européennes liées à la lumière. Enfin, notons l’épithète sonipes « au pied sonore » accompagnant parfois le nom de Pégase et nous voilà en présence d’un animal, par essence, chthonien (Hadès), né de l’eau (Poséidon) et capable de s’élever dans les cieux (Zeus) portant éclairs et tonnerre (dont il semble pouvoir reproduire le bruit) tout en étant invisible aux yeux humains. Pégase semble porter à la fois le foudre de Zeus et la kunée d’Hadès, tous deux forgés par les Cyclopes. Ne manque plus que le trident pour réunir les trois mondes qui forment l’univers. Souviens-toi, le trident comme le cheval sont des attributs de Poséidon. Pégase est à l’image du trident, une charnière indispensable entre les trois mondes. Sa puissance invisible s’exerce aussi bien sur l’Olympe auprès de Zeus que sur terre.

Voici de quoi encore alimenter cet argument et faire de toi l’objet de tous les regards lors de ton prochain brunch graines de lin /vodka, si tu parviens à manier avec un talent consumé, à la fois une concision esthète mais néanmoins désinvolte, et une modestie qui t’engagera à citer tes sources (moi). Retiens donc que Poséidon était également le dieu énosikhthon « qui ébranle la terre ». Dans la pensée grecque ancienne, l’eau supportait la terre ; Poséidon était donc responsable de ses mouvements et, par conséquent, responsable des tremblements de terre. Te souvient-il l’histoire du cheval de Troie, qui une fois entré dans la ville, la détruisit entièrement ? Les belles métaphores finirent par remplacer la réalité dans le récit : car c’est un tremblement de terre qui détruisit la ville vers 1275 avant J.C. Le cheval n’est autre que Poséidon entrant dans la ville et la détruisant. Il ne s’agit finalement, que d’un simple mouvement géologique. 

Le trident, une manifestation de l’univers

Comme je te l’avais expliqué dans l’article consacré à la peau de tigre de Bacchus, les mythologies grecques et romaines puisent leurs racines dans la culture védique puis hindouiste. Nos langues latines sont dites indo-européennes et découlent dans une bonne part du sanskrit (évidemment, je grossis le trait puisque la linguistique n’est pas aussi simple). C’est ainsi du côté de l’Inde antique que nous amène cette histoire du trident. Car Poséidon, qu’il soit hippios, le « dieu des chevaux », énosikhthon « celui qui ébranle la terre » ou bien phytalmios « le nourricier des plantes », ce dieu apparaît toujours comme un homologue de Shiva. Ce dernier, un des trois dieux les plus importants du panthéon hindou avec Brahma et Vishnu, possède les mêmes attributs que notre Neptune. Associé aux chevaux, il est aussi responsable de la fertilité des végétaux car il est jala-murti « celui qui a la forme de l’eau ». La danse cosmique de Shiva Naṭarāja (Shiva roi de la danse) engendre dans un cycle sans fin la destruction et la création et la préservation de l’univers. Shiva contrôle ainsi l’espace et le temps, il est le « l’ébranleur cosmique ». Poséidon n’agît pas autrement. Ces deux divinités incarnent un flux créateur éternel et cyclique symbolisé par l’eau qui relie le monde des cieux (Zeus ou Brahma praja-pati, le seigneur démiurgique) et le monde souterrain (les « sombres » Hadès ou Vishnu). Chacun de ces dieux représente une phase de la création de l’univers : la vie naît d’une volonté démiurgique favorisée par l’eau et la lumière puis meurt et retourne sous la terre. 

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Trident ou Trishula de Sadhu (homme saint). Inde du nord, circa XVIIIe siècle © Michael Backman Ltd

Tout comme Poséidon, Shiva se reconnaît avant tout par son trishula, son trident. Cet objet de pouvoir est à la fois créateur (l’eau, les chevaux), capable de préserver (il calme les flots de la mer et préserve les plantes) tout comme il est destructeur (les tremblements de terre). Bien que le foudre de Zeus ou la kunée d’Hadès puissent circuler entre les trois mondes qui forment l’univers, le trident possède la pouvoir de les unir en les incarnant tous. Dans la plupart des traditions exégétiques, chaque dent de la trishula de Shiva correspond à un pouvoir du dieu : la création, la préservation et la destruction.

Ainsi, le trident de Poséidon semble finalement posséder les mêmes compétences que celui de Shiva. À cela s’agrège une capacité à agir sur les royaumes où règnent chacun des divins frères. Les trois dents de cet attribut extrêmement puissant ne semblent donc pas être dues au hasard : elles portent une véritable symbolique de réunion.

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Triomphe de Poséidon, camée italien sur Cassis madagascariensis, circa 1860 © Antique cameos
  • CHAVOT Pierre, Le Bestiaires des Dieux, Dervy, 2016
  • COLAVITO Maria Maddalena, The New Theogony : Mythology for the Real World, State University of New York Press , 1992
  • Collectif sous la direction de Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANDT, Dictionnaire des Symboles : Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Robert Laffont, 1997
  • DURAND Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire - 12e édition, Dunod, 2016
  • HAMILTON Edith, La Mythologie : ses dieux, ses héros, ses légendes, Poche Marabout, 2013
  • MAURY Louis-Ferdinand, Histoire des religions de la Grèce Antique, depuis leur origine jusqu’à leur complète constitution, Tome 1, Librairie philosophique de Ladrange, Paris, 1857
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